Etat civil - Cartes d'identité : les Français n'iront plus forcément à la mairie de leur domicile
A partir du 8 novembre, seulement 34 mairies des Yvelines recueilleront les demandes de cartes nationales d'identité, alors qu'aujourd'hui toutes les mairies du département reçoivent leurs habitants pour cette démarche. L'Etat entend aligner la procédure de demande de carte nationale d'identité sur celle du passeport biométrique (voir le dossier de la préfecture des Yvelines). Et il ne compte pas en rester là. Selon l'Association des maires de France (AMF), les Bretons seront les suivants à tester la nouvelle procédure et ce "à partir du 1er décembre prochain". L'expérimentation sera de courte durée et ses résultats importeront assez peu pour la décision de généraliser la procédure à l'ensemble de la France, puisque celle-ci aurait déjà été prise. D'après l'AMF, le ministère de l'Intérieur envisagerait ce projet pour mars 2017. Il a d'ailleurs déjà mis en place les bases juridiques de ce changement.
En effet, par un décret paru le 30 octobre au Journal officiel, le gouvernement a autorisé "la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité". Ce nouveau fichier, dénommé "TES" (pour "titres électroniques sécurisés") intégrera "des données relatives à un fichier obsolescent qui existe déjà, le FNG [Ndlr : fichier national de gestion] permettant l'instruction des demandes de cartes nationales d'identité à un fichier beaucoup plus fiable - car récent - comportant les données notamment biométriques relatives aux passeports (...)", a expliqué le ministre de l'Intérieur, le 2 novembre, lors de la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. Bernard Cazeneuve a ajouté : "Cette injection permet deux choses : d'abord, donner une base informatique solide aux cartes d'identité (...) et permettre une instruction harmonisée entre ces deux titres d'identité et de voyage que sont les passeports et les cartes d'identité."
Un risque pour les libertés individuelles ?
La création d'un énorme fichier contenant les données personnelles de presque tous les Français a immédiatement inquiété les défenseurs des droits de l'homme. Certes, le gouvernement a tenu compte de la censure décidée en 2012 par le Conseil constitutionnel qui visait un projet de fichier de l'ensemble de la population préparé par le gouvernement de droite. Mais les garde-fous prévus ne sont pas suffisants, ont réagi certains. Comme Gaëtan Gorce, sénateur socialiste de la Nièvre et commissaire de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). "Ce que la technique a fait, la technique peut le défaire", a-t-il confié au quotidien Libération dans une interview publiée le 31 octobre.
Les dispositions du décret prévoyant "la suppression du principe de territorialisation des demandes de cartes nationales d'identité", comme l'indique la notice du texte, sont en revanche passées beaucoup plus inaperçues. Et ce malgré leurs conséquences sur la vie des Français. L'article 3 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité, selon lequel "les demandes [de cartes nationales d'identité] sont déposées auprès des maires", a ainsi été rayé d'un trait de plume.
La fin de l'hyper-proximité
Au lieu de se rendre à la mairie de leur domicile, les Français devront, pour toutes les démarches concernant la carte nationale d'identité, aller dans l'une des mairies équipées d'un des dispositifs de recueil de données mis en place pour les passeports biométriques. Les citoyens seront libres de choisir laquelle, en fonction de la localisation de leur domicile ou de leur lieu de travail par exemple. Ces mairies sont actuellement au nombre de 2.088. Mais le ministère de l'Intérieur reconnaît qu'il faudra à l'avenir davantage de dispositifs de recueil. Tenant compte du fait que les cartes nationales d'identité, devenues quasi indispensables pour la vie quotidienne, sont plus nombreuses que les passeports, l'Inspection générale de l'administration aurait préconisé l'installation de 250 dispositifs de recueil supplémentaires. Ces équipements viendront-ils renforcer la capacité d'accueil du réseau des 2.088 mairies, ou seront-elles mises en place dans de nouvelles mairies ? La réflexion serait encore en cours.
Dans un communiqué, l'Association des maires ruraux de France (AMRF) a vivement réagi à la parution du décret. Selon elle, la décision de l'Etat aura pour conséquence de compliquer les démarches au quotidien des Français et d'affaiblir le rôle de la mairie. Elle a appelé à "une démarche concertée voire commune, de toutes les associations de maires sur ce sujet".
"On s'attaque à un symbole"
De son côté, l'AMF évoque le "traumatisme" des maires des communes qui ne recevront bientôt plus les habitants pour leurs demandes de carte nationale d'identité. "Ils déplorent, après la loi Notr, une nouvelle tentative de remise en cause de la commune", souligne-t-on à l'association. Où l'on parle de véritable "grogne des maires".
D'autres élus sont inquiets à cause de l'afflux d'usagers que leur commune va devoir gérer, ajoute l'AMF. Dans certaines villes, ces usagers sont majoritairement des personnes non domiciliées dans la commune. Les mairies concernées sont indemnisées actuellement à hauteur de 5.030 euros par dispositif de recueil et par an. Un montant que le ministère de l'Intérieur prévoyait début octobre de relever à 8.530 euros pour tenir compte des nouvelles missions confiées aux communes. Une prime de 4.000 euros pour l'aménagement des locaux est aussi prévue. Mais ces aides seront-elles suffisantes ?
A l'AMF, on en doute. L'association a obtenu récemment du ministère de l'Intérieur une rallonge de 4 millions d'euros pour les communes équipées en dispositifs de recueil. Mais elle reste sur sa faim. Elle pointe aussi le calendrier de la réforme. Une entrée en vigueur en septembre 2017 serait plus raisonnable que le mois de mars qui verra les services sollicités par la préparation des élections. L'AMF réclame aussi l'affectation de davantage de dispositifs de recueil, dont une partie devra être mobile, selon elle, pour répondre notamment aux difficultés de déplacement de certaines personnes, par exemple handicapées ou âgées.