Carole Delga prône une "réforme massive" des aides aux entreprises

La région Occitanie, qui a fait de la décarbonation l'une de ses priorités économiques, regrette le manque de concertation de Bercy dans ses appels à projets. L'occasion pour sa présidente Carole Delga, auditionnée le 22 avril au Sénat, de plaider pour une décentralisation complète des aides aux entreprises. La présidente de Régions de France propose un "contrat de partenariat" entre l'Etat et les régions sur les créations d’emploi et les enjeux de souveraineté.

Au milieu d’une kyrielle de capitaines d’industries, la commission d’enquête sénatoriale sur les aides aux grandes entreprises a entendu, mardi, la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, présidente de Régions de France. Après avoir exposé dans le détail les dispositifs mis en place en Occitanie, elle a plaidé pour une "réforme massive de décentralisation et de transfert des aides économiques aux régions françaises". Selon une revue de dépense de l’Inspection générale des finances de mars 2024, les aides aux entreprises des collectivités s’élèvent à 7 milliards d’euros, soit moins de 10% du total des aides publiques qui, selon le rapporteur de la commission d’enquête, le sénateur communiste de la Seine-Saint-Denis Fabien Gay, représentent entre 70 et 100 milliards d’euros (hors exonérations de cotisations), avec une myriade de 2.200 dispositifs recensés. "Les aides directes des régions ne représentent qu’environ 1% du total des aides publiques avec, pour l’année 2023, un montant d’un peu plus d’1,9 milliard d’euros", a indiqué Carole Delga.

Souvent décriée, la loi Notre de 2015 a bien clarifié les domaines de compétences des collectivités, estime-t-elle : la région est responsable des aides aux entreprises, qui peuvent être complétées par les intercommunalités via des conventions, voire plus exceptionnellement par les départements (notamment en matière agricole). Pour l’immobilier d’entreprise, "c’est l’inverse" : l’intercommunalité a la compétence et la région peut intervenir en complément, par conventionnement. "Donc il n’y a pas de doublons" et "il y a une grande transparence", assure-t-elle. D’autant que la Commission européenne impose un reporting strict : toute aide de plus de 10.000 euros doit être enregistrée sur la plateforme européenne TAM (Transparencey Award Module). Et au 1er janvier 2026, la Commission mettra en place un registre central pour toutes les aides de minimis qu’il faudra déclarer dans un délai de 20 jours. 

"Il m’est arrivé de devoir moi-même appeler le ministre de l’Economie"

Pour ce qui est des aides de l’Etat, là encore, Carole Delga ne voit pas de doublon mais la perte de "beaucoup d’énergie" avec "les appels à projets des administrations centrales qui souvent ne sont pas élaborés en concertation avec les régions". C’est notamment le cas à travers les nombreux appels à projets "décarbonation" lancés dans le cadre de France 2030. "Nous faisons en sorte que nos aides soient bien complémentaires et efficaces. Mais clairement, on a souvent une perte de temps pour rattraper des initiatives au niveau des administrations centrales (…). Il m’est arrivé parfois de devoir moi-même appeler le ministre de l’Economie pour lui signaler une initiative qui n’a été aucunement concertée", a-t-elle évoqué. 

Sans surprise, la représentante des régions demande "qu’il y ait un maximum de décentralisation sur les aides aux entreprises. Que les régions aient la responsabilité de l’ensemble des aides aux entreprises". L'ancienne secrétaire d'Etat au Commerce propose un "contrat de partenariat" entre l’Etat et les régions sur les créations d’emploi et les enjeux de souveraineté. Ce contrat pourrait décliner des "objectifs de créations d’emploi et de décarbonation de l’industrie". "Il est bien sûr nécessaire d’avoir des objectifs européens et nationaux mais après, il faut que chaque région puisse les décliner, parce que le système aéronautique est différent entre la région Centre-Val de Loire et la région Occitanie", argue-t-elle.

Conditionnalité rigoureuse

Aujourd’hui, entre 97 et 99% des aides des régions concernent les TPE et PME, indique Carole Delga. Depuis son arrivée à la tête de l’Occitanie en 2016, la région a accompagné 90.000 projets pour un montant d’1,5 milliard d’euros, à 98,4% pour des TPME et PME. A noter qu'environ les deux tiers de ces aides sont issues du Feder (Fonds européen de développement régional) qui excluent d’office les Entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises. La région a aussi soutenu 120 grandes entreprises pour un montant de 22,7 millions d’euros.

Alors que la commission d’enquête cherche à savoir si les aides publiques sont suffisamment contrôlées et évaluées, Carole Delga a pu se prévaloir d'une "conditionnalité" rigoureuse des aides en matière d’investissement et d’emplois. "Nous avons eu à rappeler des aides versées quand la conditionnalité des aides n’a pas été respectée", a-t-elle relaté, citant l’exemple de deux sous-traitants aéronautique ariégeois, Taramm et MKAD, ou de Latecoere qui avait revu ses ambitions à la baisse et vu sa subvention réduite "proportionnellement". Plus de 200 subventions ont ainsi été réajustées depuis 2016. Attention, a fait remarquer Fabien Gay, à ne pas pénaliser des sous-traitants qui dépendent des carnets de commande des grands donneurs d’ordre de l’aéronautique ou de l’automobile.

Fonds souverain régional

La région dispose d’une équipe d’une vingtaine de personnes qui assurent le contrôle de subventions (aux entreprises, aux collectivités ou aux associations). A chaque demande de subvention de la part d’une entreprise, les services de l’intercommunalité, de l’Etat et de la région se réunissent "en visio" pour vérifier qu’il n’y a "pas de redondance". Enfin, pour assurer un maillage fin et une bonne connaissance des besoins des entreprises, l’Occitanie s’appuie sur 17 "maisons de la région" au niveau de chaque bassin d’emplois. "Nous travaillons sous forme de pack : les services de la sous-préfecture, des intercommunalités concernées, et également des [chambres] consulaires et des fédérations professionnelles."

Carole Delga a aussi exposé la doctrine des interventions économiques mise en place depuis 2016, avec un glissement progressif des subventions et avances remboursables vers de l’ingénierie financière. L’événement majeur a été la création en 2022 d’un fonds souverain régional d’une capacité actuelle de 400 millions d’euros, abondé par de l’argent public (région, Caisse des Dépôts, Bpifrance…) et, en majorité, par les grandes entreprises. Ce fonds intervient en "quasi fonds propres" ou en fonds propres, en entrant au capital des entreprises. "Cela permet à la région d’avoir voix au chapitre et de pouvoir développer des solutions innovantes", se félicite Carole Delga. La région est ainsi entrée au capital de Genvia, une société de production d’électrolyseurs pour l’hydrogène vert, située à Béziers. L'agence régionale de l'énergie et du climat (Arec) propose par ailleurs une solution de tiers-financement baptisée "Fiteeo" pour financer les opérations d'efficacité énergétique des entreprises.

Grâce à son action économique, la présidente de région se prévaut de 33.000 emplois directs créés par les entreprises ayant bénéficié d’une aide régionale, auxquels s’ajoutent 80.000 emplois préservés depuis le Covid, en particulier dans l’aéronautique et le tourisme. "Mais il est clair que nous aurions besoin d’avoir des outils plus fiables proposés par l’Insee ou l’Urssaf ou les ministères économiques, pour mieux documenter l’impact sur l’emploi des politiques économiques et régionales", plaide-t-elle. "Nous considérons la création d'emplois comme une absolue priorité", martèle-t-elle, alors qu'il faut à la région créer 25.000 emplois par an pour espérer faire baisser un taux de chômage qui atteint les 9%.

 

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