Cantines bio : "Un enfant qui mange correctement devient un citoyen conscient et responsable"
Par quels produits commencer ? Quelles aides et accompagnements ? Comment maîtriser les coûts ? Les chefs pionniers du bio en restauration collective apportent un éclairage concret, pragmatique et très encourageant pour atteindre l’objectif de 20% de bio dans la restauration collective d’ici janvier 2022, voire le dépasser. Retour sur le webinaire du 25 novembre 2020, organisé dans le cadre du SMCL et introduit par le ministre de l’Agriculture.
Il n’existe pas de recette "clé en main" pour atteindre l’objectif fixé par la loi Egalim de 20% de bio dans les cantines collectives d’ici janvier 2022. Mais les histoires de ceux et celles qui se sont engagés sur cette voie quelques années plus tôt commencent toujours un peu pareil. On introduit d'abord le pain et les produits laitiers puis on intègre "au fil de l’eau" ce qui est disponible en bio et aux alentours : légumes, légumineuses, céréales et souvent, pour finir, la viande, le gros morceau du budget... En tout cas, c’est ce qu’il ressort des témoignages du webinaire "20% de bio en restauration collective : de la loi à la pratique", organisé mercredi 25 novembre 2020 dans le cadre du Salon des maires et des collectivités locales (SMCL).
À Bègles, en Gironde, les 20% de bio ont été atteints dès 2010. Le pourcentage du bio dans les menus culmine aujourd’hui à 65%. Bègles a été la première ville d’Aquitaine à recevoir le label "Bio, territoires engagé", un label porté par les interprofessions bio régionales. Depuis, elle essaime. La ville est aussi membre fondateur du collectif "Un plus Bio", l’association de développement des cantines bio en France. Être dans les bons réseaux, se faire accompagner, favorise, de toute évidence, la démarche.
4,70 euros : "pour avoir une alimentation de qualité, c’est ce prix-là"
"Oui, un produit bio versus un produit conventionnel est plus cher", a-t-il été réaffirmé lors de ce webinaire. Mais en actionnant plusieurs leviers, "on parvient à une maîtrise des coûts". Plus précisément, la maîtrise est "globale", témoigne Nicolas Madet, responsable de la cuisine centrale de Bègles. D’ailleurs, l’Observatoire de la restauration durable confirme que les collectivités qui introduisent 20% de produits bio dans leur menu n’ont pas un coût plus élevé que celles qui n’en introduisent pas. À Bègles, par exemple, le coût "denrée" en moyenne s’élève à 2,20 euros en 2019. Le coût "fabriqué et livré" est de 4,55 euros. Et le coût "restaurant" s'élève à 7,22 euros. Les familles, quant à elles, paient entre 0,76 euro et 5,88 euros. Des prix que Nicolas Madet estime dans la moyenne. À titre de comparaison, à Bruz, les prix sont sensiblement identiques : 2,40 euros pour le coût "denrées" et 4,70 euros pour le "fabriqué et livré". Ces prix sont "cohérents", estiment les professionnels, assurant que "pour avoir une alimentation de qualité, il faut mettre ce prix-là".
Pour maîtriser le budget, donc, plusieurs leviers sont actionnés. Le principal consiste à lutter contre le gaspillage alimentaire, rappelle Nicolas Madet. Il y a 4 ans, sa cantine jetait autant que les autres - entre 125 et 130 g par personne par repas. Aujourd’hui, elle affiche fièrement une moyenne inférieure à 90 g. "C’est d’abord une politique voulue par les élus", rappelle le responsable de la cuisine de Bègles. La ville de Bègles recourt également aux accord-cadres, ce qui lui permet de "sélectionner des produits en fonction de leur origine", et aux regroupement pour les achats, "pour créer des marges de manœuvre sur le coût unitaire des denrées". Autre levier évoqué : recourir le moins possible aux produits de l’industrie agroalimentaire pour favoriser "une cuisine authentique". Pour avoir un ordre de grandeur, à Bègles, sur un budget de 850.000 euros d’enveloppe alimentaire, la quatrième (1) et la cinquième gamme (2), soit les produits les plus transformés, représentent moins de 10.000 euros par an. Par ailleurs, l’utilisation de protéines autres que celles de la viande permet de dégager des marges de manœuvre financières. À Bègles, désormais, "tout le monde a accès à une offre alternative à la viande via une réservation sur Internet", précise Nicolas Madet.
La légumerie, "un poste central dans la cuisine centrale"
Jean-Jacques Guerrier, chef formateur du collectif "Les pieds dans le plat", est responsable de la cuisine centrale de la ville de Bruz, 18.000 habitants, en Bretagne, ville où 1.400 repas sont servis en 100% bio. Comme à Bègles, il sert un plat végétarien par semaine et "travaille beaucoup les plats alternatifs". Dans cette cuisine, la légumerie est devenue "un poste central dans la cuisine centrale", insiste le chef formateur et c’est selon lui "primordial". "Bien sûr", cela fait partie de la panoplie de la cantine bio, la collectivité est équipée d’un composteur. L’idée est de travailler "l’ultra-fraîcheur des produits" et "de les cuisiner au dernier moment, le plus proche possible de la consommation". Jean-Jacques Guerrier collabore avec "MangerBio35", l’une des 22 plateformes du réseau "Manger bio" qui oeuvre à l’approvisionnement en bio de la restauration collective sur les territoires - et le réseau "Biocoop". À Bruz, dès le début du projet, le maraîcher bio, installé à 800 mètres de la cuisine centrale, a été soutenu par la ville. "C'est un direct - producteur", glisse en souriant Jean-Jacques Guerrier.
Former tous les acteurs de la restauration collective
Cuisiner de bonnes choses, c’est bien, encore faut-il quelles soient mangées par les enfants. Entre les deux, il reste une étape que le chef formateur a bien identifiée : "Il faut accompagner le repas pour qu’il soit attrayant." "En tant que cuisinier de collectivité, nous avons cette responsabilité, de nourrir tous ces enfants, qu’ils soient aisés ou pas, c’est de l’alimentation bio et locale pour tous !", déclare enthousiaste le chef cuisinier.
Et, pour ce faire, il faut former tous les acteurs, estime Jean-Jacques Guerrier. "Dans notre parcours d’origine, nous n’avons pas eu de formation sur l’alimentation végétarienne ni été sensibilisés aux enjeux éducatifs, environnementaux…”, signale le cuisinier qui souligne qu'”avant, on valorisait la viande avec, en accompagnement, les légumes et une sauce. Aujourd’hui, il faut privilégier les légumes, les légumineuses, les céréales. Il y a de la viande mais moins et de plus haute qualité. Le tout doit être cuisiné de manière à ce que ce soit TRÈS bon". Un enjeu de taille car d’après ce cuisinier engagé, "un enfant qui mange correctement devient un citoyen conscient et responsable".
(1) Produits agricoles et préparations crues, prêtes à l’emploi. Il peut s'agir par exemple de salades, de crudités ou de légumes épluchés, prêts à cuire, conditionnés en sachet de plastique et conservés par réfrigération.
(2) Produits agricoles cuits sous vide, pasteurisés ou stérilisés, prêts à l’emploi, conservés grâce à une réfrigération.
50 millions d’euros supplémentaires pour les cantines scolaires disponibles dès janvier 2020
"Au regard de ce volet essentiel que constituent les cantines, j’ai décidé d’ouvrir une enveloppe supplémentaire de 50 millions d’euros. Cette enveloppe va accroître la capacité des cantines scolaires à cuisiner des produits durables et des produits locaux", a rappelé Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, en introduction du webinaire "20% de bio en restauration collective : de la loi à la pratique" qui s’est tenu mercredi 25 novembre 2020 dans le cadre du SMCL 2020. Ces mesures étaient déjà connues depuis septembre dernier et avaient été annoncées dans le cadre du plan de relance. "Les cantines scolaires sont un lieu privilégié pour lutter contre les inégalités alimentaires qui perdurent", a-t-il souligné évoquant le "rôle social essentiel des cantines dans notre pays". Concrètement, pour rappel, ces 50 millions d’euros doivent permettre, énumère le ministre, "d'acheter des espaces de stockage de fruits et légumes frais bruts, des équipements pour l’épluchage, des composteurs ou des continents en inox pour remplacer les contenants en plastique qui soulèvent un enjeu en termes de perturbateurs endocriniens". L’enveloppe sera disponible dès "début janvier 2021" pour renforcer les investissements dans les cantines avec ce double objectif : "l’accès aux produits frais et produits locaux et l’accès à une meilleure qualité que ce soit dans leur transformation ou dans leur cuisson".
À travers le plan de relance, le ministre a également rappelé la volonté du gouvernement de renforcer les projets alimentaires territoriaux (PAT). Désormais, ces PAT - aujourd'hui au nombre de 190 - bénéficieront d’une enveloppe de 80 millions d’euros sur deux ans. "Dans chaque département et dans chaque territoire qui le souhaite, je souhaite que nous puissions mettre en place un ou des PAT", a déclaré Julien Denormandie, avant de rappeler que le montant de l’enveloppe "Fonds avenir Bio" sera augmentée de 50%. Jusqu’à présent doté de 8 millions par an, le fonds recevra désormais 13 millions d’euros par an pendant les deux prochaines années. Ces fonds doivent permettre de structurer les filières biologiques afin de développer l’offre en produit issu de cette agriculture.
V.F.