Bruxelles préconise une sortie coordonnée, graduelle et solidaire du confinement
À la demande des États membres, les présidents de la Commission et du Conseil européens ont présenté une feuille de route européenne pour une sortie de crise coordonnée. Outre la nécessaire harmonisation des outils et décisions, le document insiste singulièrement sur la nécessité d'une levée progressive des mesures de confinement. Une fois la crise passée, restera alors à gérer "l'après". Le plus dur reste à venir.
À défaut d'avoir réussi son entrée en scène, l'Europe tente de soigner la sortie de crise. À la demande des États membres, exprimée lors du Conseil européen du 26 mars dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel, ont présenté ce 15 avril une feuille de route européenne pour une sortie de crise coordonnée.
Car si "le chemin du retour à la normalité sera très long" – "jusqu'à ce que des traitements efficaces et un vaccin soient trouvés, nous devrons apprendre à vivre avec ce virus", prévient la commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire, Stella Kyriakides – "il est également clair que les mesures de confinement extraordinaires ne peuvent pas durer indéfiniment", énonce le document. "Les mesures restrictives prises par les États membres ont été cruciales pour réduire le nombre de nouvelles infections. Cela a aidé nos systèmes de santé à faire face, mais ces mesures ont un prix énorme. Des millions de personnes sont coincées chez elles, trop souvent dans de petits logements, elles doivent jongler entre le télétravail et la vie familiale. Les enfants doivent s'adapter à apprendre à la maison et sont limités dans leurs activités. Les personnes âgées sont isolées pour les protéger. Et à ces difficultés générales s'ajoute une longue liste de difficultés économiques pour nos citoyens. […] Tout cela a un coût gigantesque", a rappelé Ursula von der Leyen en conférence de presse, tout en soulignant que la publication de ce document "n'était pas le signal que le confinement peut être levé dès maintenant".
Reste à déterminer ce moment opportun "où les États membres pourront reprendre leurs activités économiques et sociales tout en minimisant tout impact sur la santé des personnes et sans surcharger les systèmes de santé". Pour les autorités communautaires, cela passe par une démarche scientifique, progressive, coordonnée et solidaire.
Une approche scientifique et sanitaire
La sortie du confinement doit d'abord être fondée sur la science, avec la santé publique au cœur des préoccupations, "tout en reconnaissant que la fin des mesures restrictives implique un équilibre entre les avantages pour la santé publique et les impacts sociaux et économiques", expose le document. Cette sortie devrait être conditionnée au respect des trois éléments suivants :
- des critères épidémiologiques montrant que la propagation de la maladie a considérablement diminué et s'est stabilisée pendant une période prolongée, le document soulignant ici que la collecte et le partage harmonisés des données par les autorités de santé publique sont essentiels pour gérer au mieux la levée des restrictions ;
- une capacité suffisante du système de santé, en tenant par exemple compte du taux d'occupation des unités de soins intensifs, de la disponibilité des agents de santé et du matériel médical, afin de pouvoir faire face à l'augmentation des infections après la levée des mesures restrictives (la feuille de route insiste notamment sur l'augmentation nécessaire de la disponibilité des équipements individuels) ;
- une capacité de surveillance, et notamment celle, "étendue et standardisée", de réaliser des (auto)tests à grande échelle pour détecter et isoler rapidement les individus infectés et mesurer l'immunité acquise de la population (la Commission a adopté le même jour des lignes directrices sur les performances de différents tests) ainsi que la capacité de suivi et de traçage, la Commission continuant en la matière d'essayer de bâtir un cadre commun (v. notre article).
Une approche graduelle
La Commission insiste ensuite sur la nécessaire progressivité de la levée du confinement, "en différentes étapes, avec suffisamment de temps entre elles pour mesurer l'impact", en substituant progressivement aux mesures générales des mesures ciblées, en fonction de leur impact géographique, de l'état de santé, du type d'activité, etc.
Ainsi, la "levée des mesures devrait commencer par celles qui ont un impact local" avant d'être étendues à celles ayant une "couverture géographique plus large". Les groupes les plus vulnérables devraient rester protégés plus longtemps et ceux diagnostiqués positifs rester en quarantaine. De même, "toute la population ne doit pas retourner en même temps sur le lieu de travail". La Commission suggère l'étagement suivant : d'abord les écoles et universités (avec des mesures spécifiques comme des heures de repas aménagées, des classes réduites, le recours au e-learning…), puis l'activité commerciale de détail, avec "gradation possible", puis les "activités sociales" (restaurants, cafés, salles/terrains de sport), avec là encore gradation possible et, in fine, les rassemblements de masse (concerts, festivals…). La même approche graduelle devrait être privilégiée en matière de transports, par exemple : d'abord les voitures individuelles, puis les transports collectifs, en réduisant la densité des passagers, augmentant les rotations, etc. Le tout en continuant d'appliquer des pratiques hygiéniques strictes, le document soulignant que les dernières directives du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies indiquent que le port de masques non-médicaux en public "peut être utile".
Une approche coordonnée…
Si la situation face à l'épidémie diffère d'un pays à l'autre – certains États membres ont d'ores et déjà pris des mesures de sortie du confinement, comme l'Autriche –, et "bien que le calendrier et les modalités varient d'un État membre à l'autre", la feuille de route insiste logiquement sur la nécessité d'une action coordonnée des États membres, l'assouplissement des mesures de confinement affectant "non seulement la santé publique, mais aussi les chaînes de valeur hautement intégrées". Dit autrement, "il convient de garder à l'esprit la nature intégrée du marché unique". Ne serait-ce que pour éviter les effets de bord déplorés au début de la crise sanitaire avec en point d'orgue la fermeture désordonnée des frontières. Sans surprise, la feuille de route souligne ainsi que "les contrôles aux frontières intérieures devraient être levés de manière coordonnée", et ce "une fois que la situation épidémiologique des régions frontalières aura suffisamment convergé". Les frontières extérieures devraient, elles, être rouvertes dans un second temps en tenant compte de la propagation du virus hors UE.
… et solidaire
Au-delà, la feuille de route invite au "respect et à la solidarité entre États membres" : "l'entraide est essentielle en temps de crise", croient devoir rappeler les autorités communautaires. En conférence de presse, la présidente de la Commission a souligné que cette solidarité ne s'arrêtait pas aux frontières de l'UE : "le virus ne connaît pas de frontières. Il ne peut être vaincu que par la coopération et la coordination internationales – ce qui vaut pour l'Union européenne vaut également pour le monde. Le G20 en a fait son objectif et je m'en réjouis". Pour soutenir cette initiative, Ursula von der Leyen a annoncé qu'elle avait décidé d'accueillir "une conférence d'appel aux dons" en ligne le 4 mai prochain. Mais charité bien ordonnée commençant par soi-même, dit-on, elle a également indiqué que la Commission allait élaborer un plan de relance permettant notamment "la transition jumelle vers une société plus verte et numérique", sur la base d'une proposition remaniée pour le prochain budget à long terme de l'UE. Sur ce point, l'accord trouvé par l'Eurogroupe jeudi dernier est pour l'heure une coquille vide. Les défis sont immenses, comme l'a souligné le président Charles Michel, évoquant l'importance du plan de relance et les quatre "pierres angulaires" sur lesquelles il doit selon lui s'appuyer, à savoir : le marché intérieur, qui a été "abîmé" pendant la crise et qui doit être réparé et amélioré, notamment dans le secteur industriel ; la nécessité d'une stratégie d'investissements exceptionnelle ; l'affirmation de l'ambition extérieure d'une Union européenne "ardent défenseur du multilatéralisme" ; l'amélioration de la gouvernance européenne afin de "montrer plus d'unité, de faire preuve de plus de solidarité". Une autre feuille de route, aux allures d'Odyssée.