Comment accompagner le développement des compétences industrielles dans les territoires ?
Parmi les priorités (et non des moindres) pour concrétiser la reconquête industrielle en France, il y a la formation. À ce jour, 70 000 emplois industriels ne sont pas pourvus(1) et deux entreprises sur trois peinent à recruter(2). Le chantier est vaste… mais il est bel et bien lancé ! En partenariat avec la Banque des Territoires, des industriels, des collectivités et des acteurs de la formation sont à l’origine de nombreuses initiatives communes pour relever le défi des compétences industrielles.
Des métiers industriels en tension
D’après l’enquête « Besoins en main-d’œuvre » 2022 de Pôle Emploi(3), l’industrie fait partie des secteurs qui connaissent une forte hausse des projets de recrutement (+24 %), juste devant l’hébergement et la restauration (+23 %). Toutefois, elle arrive aussi dans le peloton de tête des secteurs qui ont le plus de mal à recruter. Les métiers industriels qualifiés de chaudronniers, tôliers, métalliers, traceurs, serruriers ou forgerons rencontrent notamment d’importantes difficultés. Parmi les principaux motifs invoqués, la pénurie de candidats (86 %) et l’inadéquation des profils (71 %).
Objectif : des formations attractives… et évolutives !
Ces difficultés de recrutement mettent en lumière la nécessité de développer des formations idoines. En d’autres termes, des formations susceptibles de renforcer l’attractivité de l’industrie, mais aussi de faire monter en compétences les profils en s’adaptant aux évolutions du secteur. La transition numérique représente à ce titre une formidable opportunité pour faire bouger les lignes.
« Pour réussir la réindustrialisation, déclare Eric Rondeau, directeur général du Pôle formation UIMM Bretagne, il faut pourvoir former les jeunes et les profils seniors en reconversion à de nouvelles compétences industrielles liées aux évolutions technologiques. L’arrivée des objets connectés, des robots, des cobots… a modifié l’industrie en profondeur. Nous devons l’intégrer aux formations tout en essayant d’être le plus réactif possible face aux mutations à venir ». Cela suppose une adaptation en continu de l’offre de formation pour répondre aux besoins des industriels qui opèrent leur transformation digitale.
Pour réussir la réindustrialisation, il faut pouvoir former les jeunes et les profils seniors en reconversion à de nouvelles compétences industrielles liées aux évolutions technologiques.
Un programme pour accompagner la mutation de la formation des métiers industriels
Depuis plus de 10 ans, la Banque des Territoires s’engage en faveur de l’éducation et de la formation, notamment à travers le programme France 2030, mais aussi en tant qu’investisseur et partenaire des acteurs de la formation (Fédération Nationale des Écoles de Production, Acteurs de la Compétence, CNAM, AFPA…).
« Nous accompagnons les publics fragiles et éloignés de l’emploi, répondons aux besoins des filières en tension et proposons des solutions de formation dans tous les territoires », rappelle Roxane Pauty, chargée d’investissement à impact à la Banque des Territoires. Dans ce contexte, la formation aux métiers industriels fait partie des quatre priorités du programme national Territoires d’industrie qui vise à renforcer la dynamique de réindustrialisation. La Banque des Territoires est partenaire de l’État sur ce programme et entend notamment accompagner la modernisation des plateaux techniques 4.0 et des équipements pédagogiques innovants, mais aussi la création de nouvelles formations aux futurs métiers industriels.
Dans ce cadre, l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Territoires d’industrie 4.0 : anticiper les compétences de demain » a été lancé par le Gouvernement et la Banque des Territoires. L’objectif : appuyer la concrétisation de 20 projets autour de l’industrie du futur dans les territoires. « Le soutien aux lauréats prend la forme de cofinancement d’ingénierie pour faire émerger le projet, d’une aide à l’amorçage, et de financement d’investissements immatériels et matériels, explique Roxane Pauty. L’association entre l’État et la Banque des Territoires, ainsi que les partenariats avec les acteurs locaux, participent à la structuration d’un écosystème de la formation qui permet d’aller plus vite dans l’accompagnement des projets ».
Une plateforme itinérante de formation à la fabrication additive métallique en Bretagne
Parmi les lauréats de l’AMI « Territoires d’industrie 4.0 », le projet de plateforme itinérante de formation en fabrication additive métallique de l’UIMM Bretagne a pour ambition de combler le manque d’offre de formation en la matière dans le Grand Ouest.
« Nous sommes actuellement dans la première phase du projet, raconte Renan Hue, chargé de développement industrie du futur pour le Pôle formation UIMM Bretagne. Nous avons reçu une première subvention qui nous permet de réaliser une étude business et marketing pour clarifier les besoins des industriels locaux, identifier les bonnes technologies et valider le modèle économique de la formation ». Une fois l’étude réalisée, elle sera transmise à la Banque des Territoires début 2023. La deuxième phase, centrée sur la conception pédagogique et le déploiement de la formation sur le bassin breton, pourra alors débuter.
« La particularité de notre projet, précise Eric Rondeau, est qu’il repose sur l’intelligence collective des différents acteurs : les centres de formation, l’École normale supérieure de Rennes et 5 ou 6 entreprises utilisant des technologies différentes. La Banque des Territoires, au-delà du soutien financier, nous aide à structurer cet écosystème local, ce consortium autour de la fabrication additive métal pour apporter une réponse commune aux besoins de formation et capitaliser sur les moyens existants ».
La Banque des Territoires, au-delà du soutien financier, nous aide à structurer [un] écosystème local.
Des écoles de production pour susciter des vocations chez les jeunes
Autre illustration de l’accompagnement de la Banque des Territoires en faveur de la formation professionnelle aux métiers industriels : son partenariat avec la Fédération nationale des écoles de production. « Les écoles de production forment des jeunes de 15 à 18 ans à des métiers en tension, en particulier dans le secteur de l’industrie », explique Roxane Pauty. La pédagogie est basée sur le « faire pour apprendre », c’est-à-dire que les élèves apprennent en fabriquant des produits ou en proposant des services qui répondent à de vrais besoins clients.
La Banque des Territoires accompagne, à travers une offre dédiée, la création des écoles de production en ingénierie et en investissement via des prêts subordonnés. Elle a par exemple accordé un prêt d’un peu plus de 100 000 euros avec un différé d'amortissement de 3 ans à l'Institut de Formation Technique de l'Ouest (IFTO), une école de production dans le domaine de la chaudronnerie basée à Cholet (Maine-et-Loire), afin de lui permettre de s’équiper en matériel.
Les écoles de production contribuent non seulement à développer l’attractivité des territoires mais aussi à lutter contre le décrochage scolaire des jeunes en leur apprenant un métier concret.
Des solutions pour accompagner un large spectre de projets
Au-delà du programme Territoires d’industrie, la Banque des Territoires accompagne de façon globale le renouveau de la formation aux métiers industriels. Elle propose diverses solutions :
- En ingénierie pour accompagner l’émergence des projets et la définition des besoins au niveau local ;
- En investissements directs en fonds propres ou quasi-fonds propres dans des structures de formation à impact social ;
- Via de la subvention dans le cadre de programmes nationaux, comme France 2030 qui a lancé l’AMI « Compétences et métiers d’avenir ».
Ce panel de solutions permet d’accompagner des projets à divers stades de maturité, dans des domaines et au sein de territoires bien différents, comme le décrit Roxane Pauty : « Récemment, nous avons soutenu l’Institut de Formation aux Textiles du Monde qui forme des publics défavorisés et éloignés de l’emploi sur un Territoire d’industrie près de Reims. L’association a bénéficié d’une aide à l’amorçage à hauteur de 100 000 € pour structurer son modèle, puis d’un prêt subordonné en co-investissement. Autre exemple, dans le cadre du PIA , nous avons financé une usine-école 4.0 à Nantes qui comprend 2 000 m² de hall industriel, plus d’une dizaine d’espaces d’enseignement et 120 m² d’espaces de conférence. Nous avons aussi financé en Région Auvergne Rhône Alpes, une hydrogène académie, Symbio, qui forme aux métiers d’avenir autour de l’hydrogène. Et tout cela n’est qu’un bref aperçu des projets que nous pouvons accompagner ! »
Le défi de l’anticipation
Demain, l’un des principaux enjeux concernant la formation aux métiers industriels va porter sur l’anticipation. « Tout va très vite, rappelle Eric Rondeau. Les besoins en termes de compétences industrielles identifiées aujourd’hui risquent d’évoluer dans les trois ou quatre années à venir. Nous allons donc devoir être réactifs pour permettre aux PME implantées dans les territoires de recruter des profils qualifiés et de rester compétitives. Les AMI lancés par l’État et la Banque des Territoires nous poussent en ce sens, ce sont des accélérateurs de notre R&D qui nous permettent de garder un temps d’avance ».
L’anticipation est la clé pour ne pas, demain, être en tension sur les nouveaux métiers.
Dans cette logique, la Banque des Territoires mène des études qui lui permettent de rester en veille sur les évolutions et de définir les besoins futurs de formation. Une récente étude réalisée avec le cabinet Cepheïd a permis d’identifier certaines causes indirectes de la tension sur les métiers industriels telles que les difficultés de logement, les biais de recrutement, les facteurs environnementaux, mais aussi les métiers émergents du secteur, liés à la data, à la robotique, au verdissement de l’industrie « Dans les années à venir, nous devrons prendre en considération ces problématiques, conclut Roxane Pauty. L’anticipation est la clé pour ne pas, demain, être en tension sur les nouveaux métiers. Et tout cela doit se faire en mutualisant les solutions, en travaillant ensemble pour avancer plus vite, plus efficacement. »..
(1) Source : La French Fab, « L’industrie française, un secteur d’avenir pour les jeunes », novembre 2022
(2) Source : Les Echos, « Dans l'industrie, 2 entreprises sur 3 ont des difficultés de recrutement, du jamais vu depuis 31 ans », juillet 2022
(3) Enquête annuelle réalisée par Pôle Emploi sur les besoins en recrutement pas secteur d’activité et par bassin d’emploi.
Roxane Pauty
Chargée d’investissement à impact, Banque des Territoires
Chargée d’investissement et de partenariats sur la thématique Compétences et formation professionnelle au sein du département Cohésion sociale et territoriale de la Banque des Territoires.
Eric Rondeau
Directeur général du Pôle formation UIMM Bretagne
Après un parcours d'études en maintenance par la voie de l'apprentissage débuté en 1980 à la SNCF, Eric Rondeau devient Ingénieur des Mines de Douai en 1993. Après une expérience professionnelle à la SAGEM FOUGÈRES et dans un centre de formation professionnelle "ASFIDA" à PLERIN, Eric Rondeau a intégré l'AFPI Bretagne/DIAFOR Organisation en tant que Directeur général en 1998. En 2011, il devient le Directeur Production et Moyens Généraux du Pôle Formation des Industries Technologiques de Bretagne et depuis juin 2017, il est le Directeur général du Pôle Formation UIMM Bretagne, chargé de la gestion et du management des 3 structures qui composent le Pôle Formation, à savoir : AFPI Bretagne, DIAFOR Organisation et CFAI de BRETAGNE.
Renan Hue
Chargé de développement industrie du futur pour le Pôle formation UIMM Bretagne
Renan Hue a exercé pendant une dizaine d’années en tant que Responsable Industriel dans une entreprise fabriquant des produits du confort thermique pour les particuliers.
Il s’est ensuite spécialisé dans les nouvelles technologies en lien avec les évolutions de l’industrie du futur. Renan Hue est actuellement Formateur et Chargé de Développement « Industrie du Futur » pour l’UIMM Pôle formation Bretagne.