Bilan de la loi Climat et Résilience : l’artificialisation et la rénovation énergétique au centre de toutes les attentions

Complétant le travail amorcé par deux autres commissions de l’Assemblée nationale, la commission des Affaires économiques a procédé à un premier bilan d’application de la loi Climat et Résilience, se focalisant pour la partie "Se loger" (titre V) sur les réformes structurantes de l’artificialisation et de la rénovation énergétique des bâtiments, avant de balayer la mise en oeuvre, plus nuancée, du volet "Se nourrir", consacré à l’alimentation durable et à l’agroécologie (titre VI).

Après la commission du Développement durable qui s’est penchée sur deux premiers leviers de la transition écologique - les transports (titre IV) et la consommation (titre II) -  mis en oeuvre par la loi Climat et Résilience (voir notre article du 12 janvier 2023), l’Assemblée nationale a poursuivi le bilan d’application de ce texte majeur, en commission des Affaires économiques, en s’attardant cette fois sur les volets "Se loger" (Titre V) et "Se nourrir" (titre VI). Plus de 80% des actes d’application attendus ont été pris (à savoir 39 ordonnances sur les 40 prévues et 45 décrets seulement, soit 46%) sur l’ensemble des 192 articles relevant du champ de compétences de cette commission (qui englobe également le titre III "Produire et travailler"). Le rapport, diffusé ce 20 janvier, par les co-rapporteures, Sandra Marsaud (RE, Charente) et Florence Goulet (RN, Meuse) fait toutefois le constat d’une mise en application de la loi "inégale", qui appelle également des "appréciations contrastées".

Revoir le calendrier d’adaptation des documents d’urbanisme

A lui seul le titre V "Se loger" totalise plus d’un tiers de la loi. Il contient de surcroît des mesures structurantes, qui emportent des réformes profondes relatives à l’artificialisation des sols et à la rénovation énergétique des logements, sur lesquelles le rapport s’est focalisé. Dans l’ensemble, ces deux pans de la loi ont donné lieu à "un taux satisfaisant" de mise en application par le pouvoir réglementaire. Le gouvernement a pris particulièrement à bras le corps l’enjeu de l’adaptation des documents de planification et d’urbanisme au nouveau cadre donné à l’artificialisation (10 décrets sur les 16 prévus), réforme qui nécessitera toutefois, estime le rapport, "de faire à nouveau évoluer, par la loi, l’échéancier prévu", après un premier report dans la loi 3DS, et ce "afin notamment d’éviter un effet de précipitation des évolutions successives des documents d’urbanisme". Le rapport se range sur ce point sur la position du Sénat et des associations d’élus. Il en diverge en revanche sur l’interprétation du décret n°2022-762 du 29 avril 2022, objet d’un recours devant le Conseil d’État par l’Association des maires de France (AMF). Les Sraddet (schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires) doivent prévoir la répartition territorialisée de l’effort de réduction de l’artificialisation, qui s’articule avec les documents de rang inférieur "par un lien juridique suffisamment solide pour atteindre collectivement l’objectif fixé, sans quoi celui-ci resterait lettre morte", s’est expliquée Sandra Marsaud, s’inquiétant "du risque juridique encouru si ce décret venait à être annulé". 

Une enveloppe minimale d’artificialisation 

D’autres questions mériteraient également des évolutions législatives selon les rapporteures. C’est le cas de la comptabilisation des grands projets de façon à permettre "une forme de 'mutualisation' de l’artificialisation qu’ils induisent, sans pour autant les sortir des objectifs nationaux de réduction de l’artificialisation", plaide le rapport. Il appelle également à "mieux préserver les communes rurales" en leur garantissant, peut-être "dans une nouvelle concertation à définir", "une enveloppe minimale d’artificialisation", notamment en ce qui concerne "celles pour lesquelles leur sobriété foncière sur la dernière décennie ne leur ouvrirait que très peu de droit à construire sur la prochaine". Une approche qui fait écho de la proposition de loi du Sénat sur le sujet. "Pas question de donner un hectare gratuit à chaque commune de ce pays, quel que soit son nombre d’habitants et sa trajectoire démographique", avait réagi le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, la semaine dernière, lors du débat sur l’application de la loi Climat et Résilience organisé dans l’hémicycle. 

La publication rapide du décret n°2022-763 permettra de mettre à l’épreuve et d’expérimenter, d’ici 2031, la nomenclature des surfaces artificialisées, quitte là encore "à la faire évoluer pour répondre aux problématiques rencontrées", remarque le rapport. Globalement les élus locaux doivent être "mieux sécurisés dans les données auxquelles ils ont accès", insiste-t-il, alertant sur la nécessité de les doter "d’une donnée stable et fiable dans le temps, en dépit des améliorations méthodologiques qui pourraient intervenir ultérieurement". Il déplore aussi la non-transmission à ce stade du seul rapport prévu au titre des mesures de réduction de l’artificialisation des sols (article 194). Enfin, pour clore ce chapitre, le rapport relève "une application satisfaisante" de l’artificialisation commerciale

 

Des DPE à fiabiliser et sécuriser 

Sur la rénovation énergétique des bâtiments, la totalité des 11 décrets prévus ont été pris. Un bémol : "la réforme complexe" du diagnostic de performance énergétique (DPE), qui sert notamment de base pour exclure progressivement du marché locatif les biens les moins performants. Son amélioration suppose "un véritable travail d’information du Parlement" pour qu’il soit "fiable et réalisé par un nombre suffisamment important de professionnels qualifiés", a insisté Florence Goulet. Il s’agit également de "débloquer les situations dans les copropriétés", le traitement des rénovations énergétiques y étant à ce jour "moins satisfaisant que dans les maisons individuelles, du fait notamment des difficultés inhérentes à la prise de décision collective". D’autres points d’application sont "plus positifs". Il en est ainsi des définitions des rénovations performantes et globales  (décret n°2022-510 du 8 avril 2022) ou du droit de surplomb pour les travaux d’isolation thermique par l’extérieur (décret paru le 23 juin 2022). Notons que plusieurs décrets doivent encore être pris pour l’application des dispositions législatives introduites par l’ordonnance n° 2022-1076 du 29 juillet 2022 visant à renforcer le contrôle des règles de construction, qui entreront en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 1er janvier 2024. 

A mi-chemin sur le recul du trait de côte 

Sur l’application des autres dispositions du titre V, le rapport mentionne les mesures d’application les plus importantes, et entre autres, le régime d’aménagement des territoires concernés par le recul du trait de côte. L’ordonnance est parue (n° 2022-489 du 6 avril 2022) et la moitié des décrets - 4 sur les 8 prévus - (dont le décret n°2022-750 du 29 avril 2022 établissant la liste des communes et le décret n° 2022-1289 du 1er octobre 2022 relatif à l'information des acquéreurs et des locataires sur les risques). Un décret est encore en cours d’élaboration pour préciser les modalités de fixation du montant, de dépôt et de conservation de la consignation correspondant au coût prévisionnel de la démolition et de la remise en état des constructions édifiées dans les bandes soumises au recul du trait de côte. Pour rappel, la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, dont l’article 237 de la loi a consacré la portée normative, est en cours d’actualisation, avec un objectif de finalisation pour mars 2023. 

Très peu de décrets sur le Titre VI Se nourrir 

Le titre VI se nourrir se distingue par la rareté des mesures d’application adoptées à ce jour.  De nombreux articles qu’il renferme revêtent un caractère programmatique et prospectif ou étoffent des normes et dispositifs existants, leur application ne saurait donc être appréciée "à l’aune de la seule comptabilisation des textes réglementaires", explique le rapport. Autrement dit, la publication d’un nombre restreint de mesures d’application "ne caractérise pas dans l’ensemble une mauvaise ou une non-application de la loi". L’offre de menus végétariens dans les cantines ne s’est par exemple, pas traduite par la publication d’un nouveau décret. Le ministère de l’Agriculture a privilégié en la matière l’accompagnement des professionnels afin qu’ils s’approprient le dispositif et l’exploitation de la plateforme "ma cantine". D’après les éléments communiqués par le ministère, l’interdiction (édictée par l’article 254) du recours à des denrées issues de cultures cellulaires ou tissulaires dérivées d'animaux devrait se traduire par de nouvelles prescriptions réglementaires, dans le cadre de la révision en cours de l’arrêté du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire.

Le cadre d’expérimentation de solutions de réservation en restauration collective (fixé par le décret n° 2022-480 du 4 avril 2022) ne paraît pas rencontrer de difficultés particulières (70 candidatures ont été enregistrées au 9 janvier 2023). La conclusion paraît moins certaine en ce qui concerne l’article 266 de la loi, qui étoffe le cadre de la mise en œuvre des programmes alimentaires territoriaux (PAT), et dont la mise en place pourrait, selon le rapport, "nécessiter un vecteur législatif ou réglementaire". De même, il pourrait être "opportun de formaliser une procédure adaptée aux rapports entre les collectivités publiques", concernant les conditions d’entrée en vigueur de l’article 267, qui autorise l’État à communiquer aux collectivités des informations nécessaires à la conduite de leur politique alimentaire

Vers un chèque alimentation durable à l’échelle locale

Le gouvernement n’a établi aucun des deux rapports demandés sur le "chèque alimentation durable", qui reste un dispositif en gestation du point de vue juridique, faute d’arbitrage clair et de doutes quant à la capacité d'un déploiement d’un instrument unique  à l’échelle nationale. La piste de dispositifs plus spécifiques et circonscrits paraît désormais constituer l’option privilégiée. Ce que parait d'ailleurs corroborer l’annonce de la création  d'un fonds pour l'aide alimentaire durable doté de 60 millions d’euros, par la Première ministre, le 3 novembre 2022, qui devrait comprendre un volet territorial pour financer notamment des expérimentations procédant d’initiatives locales et qui auraient pour objet la mise en place de chèques d’alimentation durable. 

Aucune visibilité sur la redevance sur l’usage des engrais azotés

La trajectoire de réduction des émissions d’ammoniac et de protoxyde d’azote liées aux usages d’engrais azotés minéraux a trouvé sa traduction dans le décret n° 2022-1654 du 26 décembre 2022. Les rapporteures appellent à présent le gouvernement à formaliser dans les meilleurs délais le plan éco-azote et à fournir au Parlement les éléments d’expertise permettant en particulier d’apprécier la pertinence de l’application d’une redevance sur l’usage des engrais azotés minéraux. Deux rapports sont en effet attendus au titre de la loi Climat et Résilience, dont un relatif au mécanisme même de cette redevance s’agissant notamment d’analyser les conditions de son instauration. 

Le rapport invite également à respecter l’échéance du 23 août 2023 pour la remise du rapport sur les conditions de mise en oeuvre de l’interdiction en 2027 de l’utilisation par les personnes publiques d'engrais de synthèse (article 269), disposition qui devra par ailleurs faire l’objet d’un décret.