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INTERVIEW - Bertrand Pancher : "Les grandes collectivités, par leurs pratiques, embarquent les petites"

Organisées par le think-tank Décider ensemble avec de nombreux partenaires dont la Caisse des Dépôts, les premières Rencontres de la participation ont lieu ces 25 et 26 janvier à Bordeaux. Au même moment, un colloque international sur les expérimentations démocratiques sera animé par le groupement d'intérêt scientifique Démocratie et participation à Saint-Denis. Alors que Décider ensemble publie les résultats d'une enquête sur les démarches de participation portées par les collectivités, Bertrand Pancher, député-maire de Bar-le-Duc (Meuse) et président de Décider ensemble, revient pour Localtis sur sa conception de la démocratie participative.

Localtis - A trois mois de l'élection présidentielle et alors que le thème de la démocratie participative semble pour l'instant peu présent dans la campagne, quel message souhaitez-vous faire passer avec ces Rencontres de la participation ?

Bertrand Pancher - Le cadre est plus important que le fond : plus les réformes sont difficiles à mettre en œuvre, plus il est important d'assurer une liaison entre celles et ceux qui prennent une décision et celles et ceux qui sont concernés.
Sur la place de la participation dans la campagne, j'observe que les candidats à l'élection présidentielle, en tout cas les candidats classiques de la gauche et de la droite, sont désignés après une consultation populaire qui est celle des primaires. Par conséquent, cela interroge les candidats sur la façon de structurer un peu plus les relations entre les décideurs et le public concerné. Il y a quand même un changement dans l'exercice de la démocratie. Davantage de structuration est maintenant nécessaire. Et, en attendant que les responsables politiques se mettent en ordre de marche avec de vraies propositions, il y a tout ce qui se fait au quotidien. Au niveau des collectivités, des expériences de partage de décision fleurissent partout.

Décider ensemble présente aujourd'hui les résultats d'une enquête sur la démocratie participative et les collectivités locales. Peut-on susciter la participation des habitants partout et sur tous les sujets ?

Toutes les collectivités s'engagent dans la concertation avec les moyens qui sont à leur disposition. Les grandes collectivités, par leurs pratiques, embarquent les petites. Par exemple, le budget participatif se développe évidemment d'abord dans les grandes collectivités : Paris, Lille, Metz, Mulhouse, Strasbourg… et les autres y vont après, comme dans ma commune de 17.000 habitants où l'on a instauré il y a deux ans un budget participatif. Sur l'ouverture des données au public, la ville et la métropole de Bordeaux sont très moteurs. Mais après, toutes les collectivités veulent le faire : d'abord on change les sites internet, puis on demande aux services de remplir les données… C'est plus facile quand on est une grande collectivité, mais tout le monde y va avec ses moyens.
Sur les thématiques, on a plusieurs niveaux d'enjeux : au niveau de l'Etat, avec les ordonnances, comment on renouvelle le dialogue environnemental ; dans les métropoles, comment on rend les projets urbains participatifs ; pour toutes les collectivités, comment on répond à des conflits environnementaux. Comme c'est une rencontre qui a lieu pendant deux jours, avec environ 400 participants et des intervenants dans tous les domaines, on se donne le temps de poser la question de la participation demain dans les questions nationales, dans les grands sujets régionaux et dans des projets locaux.

Concernant la concertation sur de grands projets d'infrastructures tels que l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, vous avez déclaré en mars dernier : "On est face à un système caricatural, incapable d'appliquer les grands principes de la concertation." Dans le cadre de Décider ensemble, vous valorisez des démarches qui sont portées par des collectivités, mais si aucun dialogue n'est possible lorsque des investissements publics importants sont réalisés, est-ce que tout le reste n'est pas du gadget ou une vitrine ?

Oui. Si nous ne travaillons pas suffisamment en amont, si nous n'appliquons pas très en amont ces règles de la concertation qui sont indispensables, tout le restant fait figure de cataplasme. Quand il y a des projets qui traînent depuis si longtemps parce qu'on n'a pas appliqué des règles de bon sens, c'est très difficile de sortir d'une logique d'affrontement.
Ces règles sont le b.a.-ba de la concertation : il faut d'abord bien définir les questions qu'on va se poser, toutes différentes en fonction du sujet qu'on aborde. Il est important de savoir ce que l'on veut faire en termes d'information, d'expertise ou de participation citoyenne et de savoir jusqu'où l'on va dans la prise de décision. Est-ce que les allers-retours avec les personnes concernées, les organisations, vont nous permettre de modifier le projet, et dans ce cas-là il faut le dire, ou est-ce qu'on peut aller jusqu'à l'abandon d'un projet ? Avant de décider de concerter ou pas, il faut se poser l'ensemble de ces questions. Je rappelle que la concertation est d'abord un savoir-être, avoir envie d'aller vers les autres. Après, quand on a le savoir-être, c'est aussi un savoir-faire : pour associer les gens il y a des techniques d'information et de communication, des réunions publiques…

Les outils sont là, mais la pratique n'est pas encore courante. Est-ce la volonté qui manque bien souvent ?

Tous les outils existent. C'est la volonté qui manque et c'est aussi l'absence de connaissance de l'intérêt qu'il peut y avoir à consulter et l'absence de connaissance des outils. C'est technique, l'ouverture des données, ça représente des moyens et ces moyens doivent être en adéquation avec les objectifs que nous fixons.

Dans des quartiers de la politique de la ville, parallèlement aux conseils citoyens, des démarches d'initiative citoyenne telles que des tables de quartier se développent. Le collectif "Pas sans nous" plaide pour la mise en place d'un fonds destiné à soutenir ce type de démarches inventées et portées par les habitants. Est-ce que, pour être authentique et efficace, la participation doit être d'initiative citoyenne ?

Oui, on a besoin d'une société civile structurée. Je pense que la difficulté que nous avons dans notre pays à prendre des décisions, se traduisant par beaucoup de conflits, par une centaine de grands projets inutiles selon France Nature Environnement, est liée au fait que les organisations de la société civile ne disposent pas des moyens nécessaires pour mener à bien leur mission d'interface. Par exemple, si l'on s'engage dans un projet d'équipement ayant des incidences environnementales, tel qu'un incinérateur de déchets, on a besoin d'avoir en face de nous des associations qui soient structurées, avec des membres formés et avec des capacités de s'engager dans des contre-expertises. Or je suis très frappé de constater l'insuffisance de moyens, des grandes organisations environnementales notamment. Un des enjeux est de pouvoir financer ces organisations pour avoir des partenaires en capacité de discuter d'égal à égal avec celles et ceux qui prennent les décisions.

Propos recueillis par Caroline Megglé 

Les collectivités locales et la démocratie participative : une enquête et des témoignages

Sur 179 collectivités ayant répondu à l'enquête du think-tank Décider ensemble * – essentiellement des communes et des intercommunalités, plutôt de petite taille -, 60% pensent que la participation est une nécessité. 70% des élus de ces collectivités auraient en outre fait de la participation un enjeu de leur mandat. Les moyens dédiés à la participation sont restreints : seules 26% des collectivités déclarent avoir un budget dédié et ce dernier irait de 2.000 à 300.000 euros. De la même manière, 25% des collectivités répondantes auraient un service dédié à la participation, alors que 65% des communes auraient un élu attaché à ces questions.
Les services dédiés à la participation seraient le plus souvent en charge d'animer des démarches de concertation ponctuelles et de mettre en place des outils de participation. Parmi les dispositifs de participation les plus fréquents, Décider ensemble cite les conseils de quartier (58% des collectivités interrogées), les balades urbaines (38%) et les ateliers d'urbanisme (34%).
Les Rencontres de la participation donneront l'occasion à des élus de grandes villes - Bordeaux, Nantes, Grenoble - mais aussi de petites communes de présenter leur approche et leur pratique de la participation citoyenne. Ainsi les conseillers municipaux du village de Saillans (Drôme) ont mis en place une gouvernance favorisant la collégialité, la transparence et l'implication des habitants, avec comme mot d'ordre "les habitants décident, les élus accompagnent". Vingt "groupes action projet" ont permis à un nombre significatif d'habitants de contribuer à faire avancer des dossiers aussi divers que la réforme des rythmes scolaires, la réorganisation du stationnement, l'économie locale ou encore le budget de la collectivité.

C. Megglé

* Enquête réalisée par Décider ensemble et co-portée par l’Assemblée des communautés de France, l'Association des directeurs généraux des communautés de France, la Caisse des dépôts et France urbaine. La synthèse de l'enquête est à télécharger ci-contre et l'ensemble des résultats seront publiés sur le site de Décider ensemble.

 

 

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