Baisse des impôts de production : quel impact sur le lien territoire-industrie ?

La suppression de la CVAE bénéficie-t-elle à l'industrie et aux ETI ? Ou bien au commerce, à la finance et aux grandes entreprises ? Le sujet a donné lieu à quelques échanges nourris lors de la "journée Finances" d'Intercommunalités de France, le 31 janvier, lors d'un débat autour du thème : "Entreprises et territoires : des intérêts communs".

La suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), actée par la loi de finances pour 2023 pour redonner de l'air à l'industrie, continue de faire des remous. Après avoir diminué de moitié en 2023, sa suppression initialement prévue en 2024 a finalement été reportée à 2027. Au-delà de la compensation à l'euro près promise par le gouvernement, c'est le bien-fondé de cette réforme qui fait encore débat. "La suppression de la CVAE aurait engendré un moindre lien économique ? Je n'y crois pas du tout", a balayé d'un revers de main le député des Vosges David Valence (Renaissance), président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, le 31 janvier, lors d'un débat sur le thème "Entreprises et territoires : des intérêts communs", organisé lors de la Journée finances d'Intercommunalités de France (voir aussi notre article).

Les premiers bénéficiaires sont le commerce, la finance et les assurances

"Les impôts de production étaient très significativement supérieurs à ceux de nos voisins", justifie-t-il, ajoutant : "C'est pour cela que cette décision a été prise, pas pour embêter les collectivités." Et, selon lui, "plus du quart" de la suppression de la CVAE profite à l'industrie. Certes, mais les premiers bénéficiaires sont le commerce, la finance et les assurances, lui rétorque Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS et membre du laboratoire Economix Nanterre. "Ce ne sont pas des secteurs exportateurs", insiste-t-elle, relativisant les effets de la mesure sur l'emploi et la balance commerciale. Autre grief adressé à la réforme : elle a été décidée à la hussarde sans prendre en compte les réserves émises par les collectivités (notamment Intercommunalités de France) pour lesquelles la CVAE constitue une ressource importante. "D'autres choix auraient pu être faits", estime Nadine Levratto, qui met en garde contre "l'effet d'aubaine" et l'absence de contreparties demandées aux entreprises (un reproche qui avait aussi été formulé contre le crédit d'impôt compétitivité emploi de François Hollande). "Il y a eu un risque, pas forcément celui à prendre dans le contexte actuel", souligne l'économiste. Et de rappeler que cette imposition aujourd'hui très critiquée par le milieu économique était présentée à sa création en 2008 (pour remplacer la taxe professionnelle) comme "le fleuron de la fiscalité locale".

Autre argument souvent mis en avant : la réforme bénéficierait avant tout aux Entreprises de taille intermédiaire (ETI). En réalité, c'est une fiscalité "hyperconcentrée", tempère l'économiste : sur 5 millions d'entreprises, 400.000 sont soumises à la CVAE, les PME et TPE n'étant pas concernées. Et d'après elle, ce sont surtout les grandes entreprises qui en ont bénéficié.

Pourtant Élizabeth Ducottet, PDG de Thuasne, membre du conseil d’administration du Meti (Mouvement des ETI) défend un autre point de vue. Elle estime que la réforme a permis de faire passer de 25 à 12% la part de la CVAE dans le total ses impôts versés par l'entreprise. "Nous continuerons de nous battre contre la baisse des impôts de production", affirme-t-elle. Ce qui n'empêche pas l'entrepreneuse de se montrer très attachée à son territoire, Saint Etienne, où Thuasne a vu le jour en 1910. "Nous sommes en coexistence avec le territoire, chacun a intérêt à ce que l'autre vive bien."

Déplafonnement du versement mobilité : "Attention à ne pas recréer un impôt de production"

D'ailleurs Boris Ravignon, vice-président d’Intercommunalités de France, président d’Ardenne Métropole, considère que le remplacement de la CVAE est "plutôt une bonne chose" car la CVAE était "absolument imprévisible". "On n'y perdra pas demain avec une fraction de TVA" qui offrira plus de "visibilité", sachant qu'il reste selon lui "encore un lien importance avec la CFE." "On a besoin de ressources au moins stables sinon dynamiques, il faudra veiller aux engagements de l'État", lance-t-il.

"Il reste des liens fiscaux significatifs sur lesquels le dialogue pourrait être approfondi", abonde David Valence, prenant l'exemple du "versement mobilité" qui, reconnaît-il, ne donne pas toujours lieu à un dialogue suffisant avec les entreprises sur les déplacements de leurs salariés. Un enjeu qui risque de se poser avec le relèvement du plafond, tel que décidé en Île-de-France pour couvrir les frais du Grand Paris Express, au grand dam des patrons, et qui pourrait se reproduire ailleurs pour financer les "RER métropolitains" voulus par Emmanuel Macron, sans parler du "mur d'investissements de 100 milliards d'euros" auquel vont devoir faire face les autorités organisatrices d'ici 2030. "Seules 18% des intercos sont au plafond, ce sont pour l'essentiel les grosses agglos, des métropoles", souligne David Valence qui rappelle que "Bercy est préoccupé à juste titre de ne pas recréer un impôt de production".