Avuf : "Les villes universitaires d'équilibre constituent un des meilleurs remparts contre la précarité étudiante"
Le colloque de l'Association des villes universitaires de France (Avuf) qui s'est déroulé les 5 et 6 octobre 2023 à Carcassonne, en présence de la ministre de l'Enseignement supérieur, a été l'occasion de rappeler que ces villes universitaires, situées la plupart du temps dans des agglomérations de moins de 200.000 habitants, rassemblent près d’un cinquième des effectifs de l'enseignement supérieur en France, soit 17% des étudiants. Et pourraient même "en accueillir davantage, au plus grand bénéfice des étudiants qui y trouvent de meilleures conditions d’études, des logements moins onéreux, etc.", soulignent François Rio et Françoise Raynaud, respectivement délégué général et vice-présidente déléguée de l'Avuf, dans un entretien avec Localtis.
Localtis - L'Association des villes universitaires de France (Avuf) avait choisi Carcassonne pour organiser son colloque national dont le thème était "Les villes universitaires d'équilibre". Pourriez-vous nous expliquer ce que recouvre cette appellation ?
L'Avuf - L'enseignement supérieur est très concentré en France, autour d'une quinzaine de grandes métropoles universitaires et cela n'est pas nouveau. Mais à la fin du XXe siècle, période de très forte croissance des effectifs entrant dans l'enseignement supérieur, le plan Université 2000 avait amorcé un mouvement de déconcentration avec la création d'universités nouvelles, dont beaucoup en agglomérations de moins de 200.000 habitants, et surtout de campus distants (d'IUT notamment) de grandes universités dans d'autres villes moyennes. Ce sont ces agglomérations universitaires que l'on appelle "villes universitaires d'équilibre". Mais le concept est né plus tard, précisément en Occitanie occidentale, où la région Midi-Pyrénées avait choisi de soutenir le développement de l'enseignement supérieur dans les préfectures (ou parfois sous-préfectures) départementales afin de rééquilibrer une très forte centralité universitaire sur Toulouse. Depuis 2020, l'Avuf a adopté ce concept au niveau national, dans lequel se retrouvent environ 40% des collectivités adhérentes, et alors que le mouvement de concentration a repris depuis 15 ans avec le plan Campus puis les Investissements d'avenir (Idex et iSite).
Combien de personnes ont participé au colloque ? Qu'en est-il ressorti principalement ?
Près de 150 personnes ont participé à ce colloque, dont plus de la moitié pour découvrir de manière itinérante une ville universitaire d'équilibre en action, que ce soit en matière de vie étudiante, d'innovation et d'entrepreneuriat ou de relocalisation d'institut universitaire de technologie (IUT) et institut de formation en soins infirmiers (IFSI) en cœur de ville. Le choix de la municipalité et de la communauté d'agglomération de Carcassonne d'accueillir ce colloque en même temps que la fête de la science, avec un très beau programme et la présence d'un Prix Nobel, a sans doute contribué à ce succès. En 2017 à Saint-Brieuc où nous avions déjà abordé "l'excellence de l'enseignement supérieur de proximité", nous avions rassemblé un peu moins de 100 participants et en étions très satisfaits.
Quel a été le sens de l'intervention de la ministre de l'Enseignement supérieur ?
La ministre est venue nous dire son intérêt pour les territoires d'équilibre, car c'est, selon ses propos "à cette échelle que se construisent des offres de formation adaptées, un premier accès vers des études supérieures, une recherche appropriée. C'est à cette échelle que se définit de la manière la plus juste la vie étudiante". Elle nous a aussi expliqué que l'existence des grands pôles indispensables dans la compétition international "n'empêche pas une répartition harmonieuse des forces d'enseignement supérieur et de recherche sur le reste du territoire, accompagnée de manière structurée et raisonnable".
Plus concrètement, elle nous a confirmé sa volonté de mieux prendre en compte les campus de proximité dans le cadre des nouveaux contrats d'objectif, de moyens et de performance (Comp) mis en place dès cette année. Instaurant un "dialogue renouvelé avec chaque établissement, ces Comp comporteront des objectifs spécifiques afin de mieux intégrer la place des sites secondaires, et les accompagner financièrement". La ministre a d'ailleurs appelé les recteurs, pilotes de ces contrats, à "veiller à ce que les collectivités territoriales y participent à leur juste place, et alimentent ce nouvel outil de leur réflexion, afin de l'enrichir davantage".
Enfin, elle a annoncé l'engagement d'une réflexion concertée pour la création d'une "instance de concertation stratégique" au sein de chaque région. Elle estime qu'une telle instance permettrait de pallier "une perte d'information et parfois le manque d'organisation autour des sujets d'enseignement supérieur et de recherche, traités de manière disparate et selon des contingences calendaires, parfois sans visibilité".
Comment mettre en adéquation les offres en post-bac pour les élèves du territoire avec les besoins économiques du territoire ?
S'il s'agit de besoins à très court terme et pas forcément durables, alors ce n'est pas aux offres post-bac, c'est-à-dire l'enseignement supérieur initial (universitaire ou autre) de réaliser l'adéquation.
Par contre s'il s'agit de besoin structurels, récurrents ou durables, surtout dans une logique de maintien ou renforcement d'activités économiques singulières et stratégiques du territoire, voire de réindustrialisation, alors l'enseignement supérieur initial, y compris en second cycle et adossé à de la recherche, a un rôle à jouer. Et il y a d'ailleurs de nombreuses villes universitaires d'équilibre où les DUT (BUT à présent), des licences pro ou des masters ont été développés au regard du potentiel d'emplois locaux. Le bon outil, mis en place par un grand nombre d'agglomérations, en associant universités et autres opérateurs de formation est le "schéma local d'enseignement supérieur de recherche et d'innovation". Il permet d'établir un diagnostic avec les acteurs socioéconomiques du territoire, de fixer des grandes orientations, déclinées en actions, comme par exemple la mise en place de nouvelles formations ou l'accueil de nouveaux établissements.
De nombreuses associations ont qualifié cette rentrée étudiante "d'alarmante". Le gouvernement a annoncé quelques mesures fin septembre. En a-t-il été question à Carcassonne ?
Cette rentrée est très alarmante dans quelques métropoles universitaires où il est de plus en plus difficile de se loger à des coûts abordables ; d'une part en raison de la rétractation du parc locatif diffus - qui loge en principe plus des trois quarts des étudiants - réorienté vers les plateforme de location touristique de courte durée ou retiré du marché à l'approche de l'interdiction de louer les logements les plus énergétivores, dits G+ ; et d'autre part de l'insuffisance de places en résidences sociales à la rentrée. Quelques semaines plus tard, il y a de la place.
Cela touche aussi quelques villes universitaires d'équilibre très attractives, mais heureusement, dans la majorité d'entre elles, le marché du logement et peu tendu, permettant d'épargner les budgets étudiants. De plus, dans ces villes, les coûts de déplacements sont très minimes, et parfois inexistant car on peut tout faire à pied, en vélo ou trottinette.
Le seul point délicat est celui de la restauration sociale, car les effectifs sont parfois insuffisants sur les campus en ville moyenne pour justifier l'installation de restaurants universitaires. Mais la plupart du temps les collectivités locales et les Crous trouvent des solutions avec l'agrément de restaurants scolaires ou administratifs qu'ils subventionnent de façon que les étudiants aient accès à des repas complets pour 3,30 euros voire 1 euro pour les boursiers. Lorsque des étudiants se retrouvent quand même dans le dénuement, car originaires de familles ou de pays étrangers très pauvres, ils sont plus facilement repérés et aidés que dans les grands pôles universitaires, car les effectifs sont à taille humaine. Bref, les villes universitaires d'équilibre constituent un des meilleurs remparts contre la précarité étudiante.
Le programme Action cœur de ville intègre désormais l'enseignement supérieur. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Comment "vitaliser son cœur de ville grâce à la présence étudiante ?"
L'apport de quelques centaines ou quelques milliers d'étudiants dans un cœur de ville moyenne change tout. Que ce soit pour les commerces qui trouvent une nouvelle clientèle, les associations en recherche de bénévoles, les habitants qui reprennent l'habitude de sortir le soir rassurés par cette présence d'une jeunesse à la fois studieuse et joyeuse. Ce qu'a fait Carcassonne est exemplaire dans la mesure la ville et ses partenaires ont rénové un magnifique ancien lycée pour installer en centre-ville deux départements d'IUT qui étaient situés en périphérie, qui seront rejoints par l'IFSI dans un bâtiment neuf, qu'un point Info Campus a été ouvert juste à côté, qu'un restaurant inter-administratif à 300 mètres a été agréé par le Crous, et que l'Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) est accueillie pour développer ses programmes d'engagement des étudiants auprès des collégiens des quartiers populaires. Les prochaines étapes seront la rénovation de bâtiments dégradés pour du logement étudiant et la création d'une maison des étudiants dans l'ancienne halle aux grains.
S'agissant du logement étudiant, les villes universitaires ont-elles développé des stratégies particulières ?
Les villes universitaires en général, et plus particulièrement la plupart des grandes métropoles, agissent en faveur du logement étudiant. Elles jouent un rôle d'impulsion, de facilitation ou de régulation. Elles peuvent avoir un plan local de l'habitat (PLH) qui flèche des objectifs de développement de résidences étudiantes ; elles peuvent inciter leurs offices HLM à construire des résidences étudiantes et suggérer certains gestionnaires ; elles peuvent garantir des emprunts d'autres bailleurs sociaux pour la construction de résidences étudiantes ; elles peuvent accorder des permis de construire, avec des contraintes de plan local d'urbanisme (PLU) plus ou moins stimulantes ou restrictives (nombre maximum de lots, stationnement, etc.). si elles sont délégataires des aides à la pierre, elles peuvent orienter du prêt locatif sociale (PLS) vers des projets de résidences étudiantes.
En ville universitaire d'équilibre, où le besoin est moins prégnant, elles cherchent à faire émerger des solutions hybrides, pour répondre à la fois aux besoins des étudiants, des apprentis, des jeunes actifs, et parfois dans une logique intergénérationnelle ou avec de la colocation à projets.