Logement étudiant : quelles stratégies pour les villes moyennes ?
Dans les villes moyennes qui accueillent de plus en plus d’étudiants, la question de l’adéquation de l’offre de logement aux besoins spécifiques et dynamiques des jeunes se pose. Diagnostic précis des besoins et programmation sur-mesure, diversification, partenariat local… Un webinaire organisé par Universités et Territoires a permis d’illustrer différentes manières, pour les collectivités et les bailleurs sociaux, d’offrir aux jeunes des logements abordables, tout en évitant au maximum la vacance.
Les villes dites d’équilibre accueillent environ 17% des étudiants en France. Certaines villes moyennes ont connu ces dernières années un regain d’attractivité, en proposant dans leurs antennes universitaires des formations complémentaires par rapport à l’offre des métropoles voisines, mais aussi en raison de leur cadre de vie recherché et de l’accessibilité des prix du logement. Pour autant, même avec un marché du logement globalement détendu, ces nouvelles villes universitaires peinent à répondre aux besoins spécifiques des étudiants qui recherchent à la fois un loyer abordable, de la flexibilité et des services. Un webinaire organisé le 13 avril 2023 par Universités & Territoires, dans le cadre des Rendez-vous du logement étudiant, a mis en lumière la façon dont les collectivités et les bailleurs sociaux s’efforcent d’innover pour produire des logements adaptés aux besoins sans risquer la vacance.
Une tension sur le logement étudiant de septembre à janvier
"On a une tension qui s’opère sur l’offre de logement étudiant, mais c’est une tension qui est partielle dans le temps et qui s’exprime vraiment de septembre à janvier", a expliqué Françoise Raynaud, vice-présidente de l’agglomération de La Roche-sur-Yon et vice-présidente déléguée à l’Association des villes universitaires de France (Avuf). Accueillant 8.000 d’étudiants répartis dans 26 établissements d’enseignement supérieur, La Roche-sur-Yon est désormais la quatrième ville étudiante de la région Pays de la Loire après Nantes, Angers et Le Mans et avant Saint-Nazaire. Avec les départs en stage, l’alternance et l’apprentissage qui se développent fortement, l’adjointe au maire de la ville préfecture de la Vendée estime qu’il s’agit d’être "imaginatif", de réfléchir par exemple à la façon dont "un logement peut servir à deux ou trois étudiants". Une évolution qui ne sera possible que si les établissements d’enseignement supérieur parviennent à se coordonner pour que les périodes d’alternance ne soient pas les mêmes d’un établissement à l’autre.
La collectivité intervient sur de petites opérations via la société d’économie mixte (Sem) Oryon, à la fois agence de développement économique et bailleur social, qui loge 800 étudiants dans deux résidences et dans des logements sociaux dédiés aux jeunes. "Nous construisons puis restons propriétaires, et ensuite nous contractons avec le Crous", précise Françoise Raynaud, qui préside Oryon. Autre piste explorée : la colocation et notamment la colocation intergénérationnelle, encore très peu développée dans une ville où des personnes âgées habitent souvent seules dans de grandes maisons.
Concernant "l’offre privée [qui] arrive massivement sur notre territoire", la collectivité a son "mot à dire, notamment sur le terrain", met en avant Françoise Raynaud, considérant qu’avec le dispositif Zéro artificialisation nette (ZAN), "le foncier va devenir une denrée rare".
Diversifier l’offre pour couvrir l’ensemble des besoins des jeunes
Selon les territoires cependant, les opérateurs privés ne sont pas toujours très présents pour loger ce public jeunes aux besoins particuliers. "Les bailleurs sociaux arrivent alors en complémentarité et font du cousu main pour les collectivités", met en avant Maryse Prat, présidente de la commission "Attributions, mixité et gestion sociale" de l’Union sociale pour l’habitat (USH).
"En 2021, les bailleurs étaient propriétaires de 120.000 places en résidences universitaires, de 50.000 places en foyers de jeunes travailleurs / jeunes actifs et de 1.000 logements financés dans le cadre du nouveau dispositif article 109", peut-on lire dans le guide du réseau des Observatoires territoriaux du logement des étudiants (OTLE), publié en mars 2023 et destiné à illustrer "la diversité des approches sur le logement des étudiants et des jeunes". L’enjeu pour Maryse Prat est de bâtir une offre diversifiée et abordable, avec des "passerelles" permettant aux moins de 30 ans de se loger à chaque étape de leur parcours (études, alternance ou stage, premier emploi…). "A l’USH, on parle du logement jeune dans le logement étudiant", poursuit Maryse Prat, qui insiste sur l’importance d’être "très souple" et d’intégrer dans les projets "des services de qualité".
Du fait de la présence de filières spécifiques et de partenariats avec les recruteurs, la petite ville de Redon (Ille-et-Vilaine, 9.500 habitants) compte un millier d’étudiants et peu de logements de petite taille pour les loger. Bailleur social du groupe Action logement, Espacil Habitat développe actuellement deux projets à Redon pour répondre aux besoins de cette population : une résidence étudiante pour de l’habitat temporaire et des logements sociaux modulaires pour des contrats d’un an reconductibles (article 109 de la loi Elan) et des contrats d’un mois (résidence sociale pour jeunes). Pour Philippe Pelhate, directeur du développement logements pour jeunes chez Espacil Habitat, l’objectif est ainsi de "couvrir une grande partie des jeunes" et de rendre possible un "parcours résidentiel" pour ceux qui souhaitent s’installer à Redon. Pour limiter la vacance, il est prévu d’accueillir dans cette future résidence d’autres publics que les étudiants, pour de courtes durées pendant la période creuse et en libérant le logement fin août ; cette possibilité a été élargie par la loi 3DS du 21 février 2022.
Une programmation "sur-mesure" pour limiter la vacance
A Saint-Quentin (Aisne, 53.000 habitants dont 2.500 étudiants), le nombre d’étudiants a augmenté de 22% en cinq ans ; l’offre de logements - des résidences Crous anciennes, quelques foyers de jeunes travailleurs (FJT) et une offre privée avec des maisons divisées en plusieurs logements - n’était plus adaptée. La première attente des jeunes est d’"avoir un logement abordable", rappelle Catherine Papetti, responsable de programmes chez le bailleur social Clesence, également rattaché au groupe Action logement. Sur la base d’une étude des besoins, Clesence développe actuellement un projet de résidence jeunes d’environ 80 places, dont la moitié sera gérée par le Crous et l’autre moitié dédiée à des colocations Kaps (Kolocation à projet solidaire) en partenariat avec l’Afev (voir notre encadré ci-dessous). Elaborée avec l’agglomération du Saint Quentinois, une maison des étudiants en rez-de-chaussée de la résidence sera accessible à tous les étudiants du territoire. Pour financer ces services complémentaires, il importe que l’ensemble des acteurs – collectivités, établissements d’enseignement supérieur… – se mettent autour de la table, relève Catherine Papetti.
Cette dernière insiste sur la nécessité, dans les territoires détendus, d’une programmation "sur-mesure" par rapport aux besoins à la fois du territoire et des habitants. La "pénurie d’acteurs" et notamment de "grands comptes" peut s’avérer un atout pour le partenariat, estime Nicolas Delesque, directeur de la rédaction de Universités & Territoires, puisque les acteurs sont obligés de se parler pour trouver des solutions, de "faire feu de tout bois". Réalisées par l’Avuf, 12 monographies sur les villes d’équilibre devraient prochainement être rendues publiques. L’USH publiera également prochainement deux études sur le sujet, dont l’une cofinancée par la Banque des Territoires sur le rôle du parc social dans la restructuration de l’offre de logements pour concilier diversification et pérennité de l’offre.
"Maillon intermédiaire" dans le parcours de décohabitation, la colocation permet de lutter contre l’isolement, d’"accueillir correctement les étudiants et de créer les conditions de leur engagement", vante Jérôme Sturla, directeur du développement urbain à l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev). Ce dernier observe qu’un "renversement de perspective" est en cours : "les élus locaux vivaient la population étudiante comme une contrainte et de plus en plus ils la vivent comme une ressource". Encore faut-il convaincre les propriétaires de se lancer lorsque, comme à La Roche-sur-Yon, la colocation n’est pas encore entrée dans les mœurs. Quelque 300.000 étudiants seraient en tout cas intéressés en France, selon les estimations de l’Afev. La proportion de lycéens tentés par la colocation s’élèverait même à 60% dans un "territoire résilient" comme Lens et le bassin artois. |