Autoroute A69 Toulouse-Castres : la justice annule le projet "faute de nécessité impérieuse à le réaliser"
Le tribunal administratif de Toulouse, qui avait été saisi notamment par des associations environnementales, a mis un coup d'arrêt ce 27 février à l'imposant chantier de l'autoroute A69 entre Verfeil (Haute-Garonne) et Castres, en annulant l'arrêté préfectoral qui l'autorisait, une première pour une infrastructure routière de cette envergure en France. Le ministère chargé des transports a aussitôt annoncé que l’État allait faire appel de la suspension de ce chantier soutenu par de nombreux élus.

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C’est un sérieux revers pour l’État et une première pour des investissements de cette ampleur : le tribunal administratif de Toulouse a annulé ce 27 février les projets d’autoroute A69 entre Verfeil et Castres et de mise à deux fois deux voies de l’autoroute A680 entre Castelmaurou et Verfeil, qui avaient été autorisés par les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn en mars 2023. "Au vu des bénéfices très limités qu’auront ces projets pour le territoire et ses habitants, il n’est pas possible de déroger aux règles de protection de l’environnement et des espèces protégées", a tranché la justice administrative, saisie notamment par des associations environnementales.
Dans sa décision, le tribunal rappelle que la dérogation que les préfets ont accordée aux deux projets n’est possible qu’en respectant trois conditions : si le maintien des espèces protégées n’est pas menacé, s’il n’existe pas de solution alternative et si le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur. Or, il a estimé que les deux projets ne remplissent pas ces conditions car leurs bénéfices économiques, sociaux et de sécurité publique sont trop limités. Les arguments mis en avant par les préfets selon lesquels les projets pourraient faire gagner une vingtaine de minutes aux usagers par rapport au trajet actuel ont été jugés insuffisants.
"Bénéfices de portée limitée"
Sur la nécessité de "désenclaver" le bassin Castres-Mazamet, le tribunal observe, sur la base des données Insee, que "le territoire ne présente ni un décrochage démographique, en comparaison des autres bassins situés aux alentours de Toulouse, ni un décrochage économique, dès lors que l’agglomération dispose, notamment, de tous les services des gammes de proximité et intermédiaire, d’un centre hospitalier, de formations universitaires, d’un aéroport reliant la ville à Paris et d’une gare offrant un service de liaisons quotidiennes avec la métropole toulousaine".
En outre, en matière de sécurité et de désengorgement du trafic routier, il relève, d’une part, que "la particulière accidentalité de la RN 126 dans son état actuel n’a pas été démontrée" et que, d’autre part, "les avantages de l’autoroute sont très relatifs, puisque l’itinéraire de substitution prévu pour les automobilistes ne souhaitant pas s’acquitter du prix du péage ne présentera plus des conditions optimales de sécurité, ni un confort similaire à celui de l’actuel itinéraire".
Enfin, de manière plus générale, la juridiction administrative estime que le coût élevé du péage du projet A69 est "de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les usagers et les entreprises". Si l’administration indique qu’il existe une perspective de baisse tarifaire de l’ordre de 33%, le tribunal souligne que ce projet de baisse, qui ne porte que sur une partie du trajet, n’est, à ce jour, "pas finalisé".
Pour ces différentes raisons, le tribunal a annulé les autorisations données à ces deux projets de l’A69 et de l’A680 car il les a jugées illégales : "N’ayant que des bénéfices de portée limitée, il n’y a pas de nécessité impérieuse à les réaliser, et les arguments présentés en faveur de ces projets ne justifient pas qu’il soit dérogé à l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages", a-t-il décidé. Cela signifie l'arrêt immédiat du chantier, car un appel devant la justice administrative n'est pas suspensif.
"Décision historique"
Le collectif d'opposants à l'A69 "La voie est libre" (LVEL) a immédiatement salué "une décision historique qui porte un coup d'arrêt définitif à un projet inutile, destructeur et irresponsable, que nous dénonçons avec force depuis plusieurs années. C'est un grand jour pour le droit environnemental". Le jugement rendu "dénonce l'irresponsabilité de l'État et du concessionnaire pour avoir engagé les travaux sans attendre. Ce passage en force, dopé au déni institutionnel, vient d'être stoppé net", s'est encore réjoui LVEL.
Le tribunal a suivi l'avis de la rapporteure publique, qui avait par deux fois demandé au tribunal administratif de Toulouse "l'annulation totale" de l'arrêté préfectoral qui a permis d'entamer le chantier en 2023. À l'audience du 18 février dernier, cette magistrate, Mona Rousseau, avait réaffirmé que les gains espérés de la future autoroute n'étaient pas suffisants pour établir une "raison impérative d'intérêt public majeur" justifiant les atteintes à l'environnement commises par le projet. "Dans tout l'historique de la jurisprudence sur les autoroutes en France, aucun projet autoroutier n'a été annulé pour des raisons environnementales", avait déclaré à l'AFP Julien Bétaille, maître de conférences en droit de l'environnement à l'université Toulouse Capitole. Cette annulation visant pour la première fois une autoroute signifie qu'"un verrou a sauté dans la mentalité du juge administratif", a-t-il dit avant la décision du tribunal administratif.
Une première pour une grande infrastructure routière
De fait, c'est la première fois en France qu'une infrastructure routière d'une telle importance est interrompue par un jugement, et non par une décision politique, comme l'abandon du projet d'A45 Lyon/Saint-Étienne en 2018. Le cas du contournement du village touristique de Beynac, en Dordogne, retoqué par la justice administrative, concerne un ouvrage de moindre envergure, avec un budget initial plus de dix fois inférieur aux 450 millions d'euros que doit coûter l'A69.
Le bitume n'avait pas encore été coulé mais Atosca, constructeur et futur concessionnaire de l'autoroute, affirmait avoir déjà "concrétisé plus de 300 millions d'euros, soit 65% du budget total du chantier". "Cette décision est incompréhensible", a estimé le député du Tarn Jean Terlier, dans un communiqué. "Comment accepter que les juges n'aient pas pris en compte la situation du chantier avec près de 300 millions d'euros de travaux déjà engagés, 45% des terrassements réalisés, 70% des ouvrages d'art construits et plus de 1.000 salariés du concessionnaire qui se retrouveront demain sans emploi."
Cette décision va "priver d'emploi des milliers de personnes, paralyser l'économie du sud du Tarn et, plus largement, tous les grands projets d'infrastructures en France", a aussitôt regretté, dans un communiqué, l'ancien député du Tarn Bernard Carayon, maire de Lavaur, dont la commune longeait le tracé de l’A69. Christophe Ramond, président du conseil départemental du Tarn, s'est dit "atterré par cette situation ubuesque". "Comment imaginer une telle gabegie financière à l’heure où les finances publiques sont dans le rouge ? Comment comprendre que des millions d’euros soient jetés dans les caniveaux et que mille emplois soient sacrifiés ?, a-t-il interpellé dans un communiqué. "Cela fait 40 ans que le sud du Tarn réclame son désenclavement pour être relié à la métropole toulousaine. Cette liaison est vitale pour notre territoire. L’A69 est soutenue par tout un bassin de vie, défendue par une immense majorité d’élus locaux et toujours à l’unanimité du conseil départemental", a-t-il rappelé.
Dans un courriel transmis aux médias, le patron des laboratoires Pierre-Fabre, principal employeur du sud du Tarn, a d'ores et déjà lancé un avertissement. "Si l'enclavement de Castres devait devenir définitif, notre politique future d'investissements serait amenée à évoluer pour privilégier des territoires d'accès plus rapide et mieux sécurisé et mieux profilés pour nous permettre d'attirer et de fidéliser nos talents", a-t-il déclaré.
Menace sur les prochains grands projets d'infrastructures ?
"L’État prend acte de cette décision et va faire appel en demandant un sursis à exécution de la décision du tribunal administratif", a indiqué de son côté le ministère chargé des Transports. Avec "les autres collectivités territoriales et les forces vives du territoire", le département du Tarn viendra en appui de cet appel, a affirmé son président, Christophe Ramond. Comme ce dernier, le ministre des Transports, Philippe Tabarot, a qualifié d'"ubuesque" la situation résultant de la décision du tribunal : un chantier avancé aux deux tiers est arrêté du jour au lendemain", a-t-il commenté dans un communiqué sur X.
Cette liaison autoroutière entre Castres et Toulouse a été "déclarée d'utilité publique en 2018 et bénéficie d'un large soutien local de la part des élus, des habitants et des acteurs économiques", a affirmé le ministère. "Cela soulève de nombreuses interrogations sur le bon déroulement des grands projets d'infrastructure en France", a souligné le ministre. "Les procédures sont telles qu'aujourd'hui, un projet ayant obtenu toutes les autorisations nécessaires et même démarré les travaux, peut se retrouver remis en question à tout moment. Ce n'est pas acceptable", a poursuivi Philippe Tabarot. Le gouvernement proposera "des mesures de simplification pour éviter que de telles situations ne se reproduisent", a-t-il promis. Et "l'État continuera de soutenir ce projet, essentiel au développement de la région et à l'amélioration des conditions de vie de ses habitants", a-t-il conclu.