Crise industrielle - Automobile : les régions à la manoeuvre
La production automobile pourrait chuter de 25% cette année. Ce sont les estimations de la société d'assurance-crédit Euler Hermes Sfac qui lance une "alerte rouge sur l'économie française" et ne se fait guère d'illusion sur les effets des six milliards d'euros injectés par le pacte automobile français. Pacte récemment approuvé par la Commission européenne, après que la France a renoncé à conditionner ses aides au maintien de la production dans l'Hexagone, condition taxée de "protectionnisme" par Bruxelles et certains pays européens comme la République tchèque, la Slovaquie ou l'Allemagne.
Pour les grandes régions automobiles (Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Franche-Comté, Basse et Haute-Normandie, Rhône-Alpes, Lorraine, Alsace, Bretagne, Bourgogne), l'impact de la baisse des ventes sur l'emploi se fait déjà sentir. Selon l'assureur-crédit, les défaillances d'entreprises ont atteint en 2008 des niveaux historiques jamais connus depuis 1990 et l'année 2009 ne sera pas meilleure avec entre 70.000 et 75.000 défaillances. Le secteur employant 770.00 salariés (sans compter la maintenance et la distribution), les pertes s'annoncent lourdes.
Remplacer le chômage partiel par de la formation professionnelle
Déjà fortement mises à contribution dans le cadre du plan de relance, les collectivités vont devoir une nouvelle fois mettre la main à la poche pour venir en aide au secteur. "Les collectivités territoriales seront sollicitées pour s'associer aux mesures prévues par le plan, en vue de permettre à la filière automobile de consolider son ancrage territorial", a récemment indiqué l''Elysée. Une fois n'est pas coutume, "rien n'a été concerté avec les régions, alors qu'elles travaillent beaucoup avec les filières, sur l'innovation, en particulier celles qui ont des pôles de compétitivité automobiles", constate Anne Wintrebert, de l'Association des régions de France (ARF).
Sans attendre les concertations avec l'Etat pour la mise en oeuvre du pacte automobile, certaines régions profitent de la crise pour mener une réflexion de fond sur l'avenir de leur tissu industriel. La Franche-Comté, qui abrite 11% de la production automobile française, est l'une des principales victimes. Intérimaires, CDD, temps partiels sont les premiers à faire les frais des baisses de cadence. Résultat : en un an, le chômage a bondi de 17%. Mais la situation incite l'Etat et la région à travailler autrement, alors que la baisse d'activité s'étend à présent à d'autres secteurs : le jouet, la plasturgie, etc. L'objectif : remplacer le chômage partiel par de la formation professionnelle. Ainsi, plutôt que de rester inactifs, les salariés en chômage partiel pourront bientôt se former tout en conservant leur rémunération. "C'est une démarche expérimentale, on a travaillé avec les partenaires sociaux, on est en train d'aboutir. Dans un premier temps, l'expérimentation sera limitée à 25 entreprises pendant une durée de six mois", précise Christophe Tripogney, au conseil régional de Franche-Comté. Pour financer les formations, la région a déjà débloqué 1,5 million d'euros dans le budget 2009 au titre du fonds de sécurisation professionnel, fonds qui sera abondé fin mars. "Il faut à présent que l'Etat accepte de mobiliser le Fonds national de l'emploi (FNE) et le Fonds social européen (FSE). On attend ses réponses car, du Medef à la CGT, tout le monde est d'accord", souligne Christophe Tripogney. Reste également à convaincre l'ensemble des Opca (organismes paritaires collecteurs agréés), en particulier l'Opcaim (Organisme paritaire collecteur agréé des industries de la métallurgie).
20% de gains potentiels de productivité
Jusqu'ici cantonnées à la formation pour les demandeurs d'emploi, les régions s'immiscent ainsi dans le champ de l'entreprise. "Le but est de faire bouger les lignes, pour les régions, l'enjeu est de ne plus voir la formation comme quelque chose qui arrive trop tard mais d'en profiter pour renforcer les qualifications de la filière", souligne Christophe Tripogney. L'occasion aussi de tenter de se diversifier. "Nous avons rencontré un sous-traitant qui souhaite se lancer dans les tuyauteries mais manque de main-d'oeuvre qualifiée. Grâce à ce dispositif, il pourra plus facilement franchir le pas", poursuit-il.
L'exemple franc-comtois est amené à faire tâche d'huile. Le Club des acteurs régionaux de l'industrie automobile (Caria), qui rassemble l'ensemble des pôles régionaux, a en effet milité lors des états généraux du 20 mars dernier pour généraliser ce type de pratiques, avec une attention pour les PME, les sous-traitants. L'un des enjeux pour le Caria est de faire appliquer les nouvelles dispositions de la loi de modernisation de l'économie (LME) visant à raccourcir les délais de paiements et de voir déclinée en régions la charte nationale signée le 3 juillet 2008 et qui se fixe pour objectif d'anticiper les mutations économique du secteur. L'extension du contrat de transition professionnelle expérimenté depuis 2006 devrait également donner un appel d'air aux bassins d'emploi les plus fragiles.
Plus rare est l'intervention d'un département, comme celui des Yvelines qui profite de ses excédents budgétaires pour lancer un plan à 346 millions d'euros dont 127 millions consacrés à la recherche et au développement autour du véhicule propre et 107 millions pour une "vallée de l'automobile", qui devrait abriter un circuit de Formule 1. Il est vrai que les Yvelines sont le premier département automobile français, avec 35.000 emplois directs et 15.000 indirects dans ce secteur.
"La crise a l'avantage de rappeler que nos pays ne peuvent pas être uniquement des pays de consommateurs, des veaux à l'engraissement, et qu'au bout du compte, c'est l'industrie qui génère des richesses", remarque Edgard Dauger, le directeur général du pôle AutoBourgogne (à l'origine du Caria) pour qui la voiture a bien un avenir en France. A condition de s'adapter, d'innover, de se placer dans des niches alors que la concurrence des pays émergents est de plus en plus féroce. "On estime entre 15 et 20% les gains potentiels de productivité de nos entreprises grâce à une meilleurs organisation, une meilleure gestion, une anticipation des besoins et des compétences", insiste-t-il. Et de miser sur la voiture hybride. L'avenir dira si les douze pôles de compétitivité automobiles sauront relever le défi de l'innovation.
Michel Tendil
Evaluer l'impact de la crise automobile sur les régions
Le 20 avril 2009 sera officiellement créé un intergroupe "crise automobile" au sein du Comité des régions (CdR). Objectif : évaluer l'impact de la crise sur les régions européennes et définir les perspectives d'action. "La Commission européenne a lancé un plan de relance, mais il n'y a pas de mesures spécifiques pour la filière automobile, explique Ségolène Martin, chargée de mission à l'Espace interrégional européen. En revanche, de nombreuses mesures sociales concernent l'industrie automobile. Avec cet intergroupe, nous souhaitons voir comment ces mesures peuvent bénéficier au mieux aux territoires concernés, et aider les institutions européennes à les mettre en oeuvre." C'est Jean-Yves Le Drian, président du conseil régional de Bretagne qui a pris l'initiative de lancer la proposition qui a très vite reçu un vif succès : au moins 38 représentants locaux, provenant de onze Etats membres, feront partie de cet intergroupe. Les réunions de travail permettront aux régions d'échanger leurs expériences en matière d'outils, de s'informer sur les dispositifs existants et de réfléchir ensemble à leur utilisation optimale. L'intergroupe facilitera aussi la collecte de données issues du terrain sur la crise automobile et son impact. "Certains régions agissent seules, mais ce n'est pas très productif, mieux vaut qu'elles travaillent ensemble", souligne Ségolène Martin. L'intergroupe doit se réunir le 22 avril 2009.
La Bretagne, où 25.000 emplois sont liés à l'automobile (soit un emploi industriel sur quatre), s'est fortement impliquée. En février 2009, la région a ainsi signé avec l'Etat une charte régionale de coopération pour l'accompagnement des entreprises et de leurs salariés, déclinaison régionale de la charte nationale lancée par le gouvernement en juillet 2008. Elle s'inscrit dans le plan régional de développement de la filière "véhicule" que la région a élaboré il y a un an, avec l'Etat, les autres collectivités locales, les acteurs consulaires et les partenaires sociaux.
Emilie Zapalski