Difficultés des collectivités pour s'assurer : les premières réponses envisagées par Alain Chrétien et le gouvernement
Renforcement de la prévention, progrès de la connaissance du patrimoine public local, "travail de pédagogie" sur les outils de la commande publique : Alain Chrétien, coprésident de la mission sur l'assurabilité des collectivités territoriales, créée à l'automne par le gouvernement, vient d'esquisser ses premières recommandations, devant des sénateurs. Elles concordent avec des "pistes de réflexion" que le gouvernement a présentées au Sénat. L'enjeu est de faire revenir les assureurs sur le marché "peu attractif" des collectivités.
Le gouvernement et le coprésident de la mission sur l'assurabilité des collectivités locales, Alain Chrétien, ont présenté tour à tour, la semaine dernière, leurs pistes pour faire revenir les assureurs sur le marché des collectivités, avec des propositions acceptables financièrement pour ces dernières.
"L'enjeu" est de "donner à nouveau envie aux assureurs de nous assurer", a déclaré Alain Chrétien, qui était auditionné le 7 février par la commission des finances du Sénat. Pour y parvenir, "il faut montrer des preuves de confiance", a-t-il dit, en proposant d'abord "d'intégrer la culture du risque dans nos collectivités". Ce que la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Berger, avait appelé la veille, lors de la séance des questions orales au Sénat, "le renforcement de la prévention". Alain Chrétien a souligné aussi l'importance pour les collectivités d'avoir une bonne connaissance de leur patrimoine, afin de réussir à définir de façon précise leurs besoins en matière d'assurance, en vue d'obtenir des offres de la part des assureurs. Pour le gouvernement, les collectivités doivent en particulier progresser concernant "la connaissance de la valeur assurée" de leurs biens.
"Réflexion" sur le code des marchés publics
La troisième "piste" de l'exécutif concerne le code des marchés publics. Il s'agirait de "rendre le recours à des services d’assurance beaucoup plus souple qu’il ne l’est aujourd’hui". Aurore Berger n'a pas donné plus de détails. Il y a une "réflexion" à engager sur le code des marchés publics, a acquiescé Alain Chrétien devant les sénateurs. "Tous les outils existent (…) encore faut-il les connaître et les utiliser", a-t-il dit, en préconisant la préparation d'"un guide de bonnes pratiques" dans les marchés publics. Selon le maire de Vesoul, la procédure de l'appel d'offres, la plus souvent utilisée par les collectivités qui ont un besoin en matière d'assurance, "ne nous permet pas de bien définir le besoin et ne permet donc pas à l'assureur de bien répondre". La procédure de marché négocié, qui est certes "lourde", est "possible aujourd'hui", pour retenir un assureur, a-t-il complété.
"Il faudra reconstruire une relation saine entre assureurs et collectivités", a estimé le coprésident de la mission sur l'assurabilité des collectivités locales, estimant qu'"on ne fera rien sous la contrainte" et "sous l'obligation". Une philosophie qui l'amène à exclure la mise en place d'un "panier minimum" au profit des collectivités. L'élu juge aussi que la création d'un acteur public de l'assurance des collectivités est "une fausse bonne idée". Créée "par et pour" des collectivités, la Smacl joue déjà ce rôle et "plus vous concentrez un risque sur une seule personne, plus cet assureur est fragile", se justifie-t-il.
"Cotisations multipliées par trois ou quatre"
Malgré les améliorations qui pourraient voir le jour ces prochains mois, l'élu juge que les collectivités seront amenées à l'avenir à aller vers de "l'auto-assurance" pour "les petits sinistres" et, surtout, qu'elles devront accepter de "payer plus cher" leurs assurances, du fait de la croissance du nombre des sinistres, en lien avec le changement climatique.
Depuis les émeutes de juillet 2023, "plus de 150 collectivités ont reçu un avenant" de la part de leur assureur – leur notifiant par exemple le relèvement de leur franchise – et "plus de 200 collectivités ont vu leur contrat résilié", a détaillé Emmanuel Capus, vice-président de la commission des finances du Sénat. "De surcroît, a-t-il indiqué, les cotisations ont parfois pu être multipliées par trois ou quatre". Face à ce constat, la commission a mis sur pied au début de l'année une mission d’information sur les assurances des collectivités territoriales.
"Un problème structurel d'attractivité"
Le "désengagement massif" des assureurs touche "quelques milliers de communes et intercommunalités", celles qui sont "les plus dotées en services publics", y compris lorsqu'elles sont restées à l'abri des violences urbaines de l'été 2023 ou des catastrophes climatiques de ces dernières années, a diagnostiqué Alain Chrétien. Le problème ne date pas de l'été 2023, mais de "2021", selon lui. Il a pointé "un problème structurel d'attractivité" du marché des collectivités, celui-ci étant "beaucoup plus compliqué" et confronté à des sinistres de plus en plus nombreux.
Le "tournant" a eu lieu "en 2022", avait estimé Patrick Blanchard, directeur général de la Smacl, lors d'une table ronde sur les difficultés des collectivités pour s'assurer, organisée le 31 janvier à Paris par Intercommunalités de France. Cette année-là, les réassureurs, c'est-à-dire "les assureurs des assureurs, à qui on cède une partie des cotisations et qui prennent en contrepartie une partie des sinistres", ont augmenté leurs tarifs de 40% sur la seule fin de l'année 2022, afin de faire face à plusieurs graves catastrophes climatiques – en particulier les inondations en Floride. "Les assureurs ont commencé à se désengager à cause de ça", a expliqué le dirigeant de la Smacl, groupe qui a été très touché par les émeutes urbaines qui ont eu lieu l'année dernière en France. Avec "une sinistralité incroyable" et un nombre d'acteurs de plus en plus faible, le système n'est "pas viable", a-t-il estimé. Appelant à "se mettre autour de la table pour créer un système plus équilibré".
"Ça m'a mis très en colère !", reconnaît après coup Thomas Fromentin, président de l'agglomération Foix-Varilhes. Récemment, le vice-président d'Intercommunalités de France relatait : "Un matin de mai 2023, le directeur général des services m'apporte un courrier de notre assureur, qui faisait moins de dix lignes et disant : "A compter du 31 décembre, nous résilions unilatéralement votre assurance dommages aux biens". Le juriste de la communauté d'agglomération a confirmé aussitôt à l'élu que l'assureur avait effectivement la possibilité de résilier unilatéralement le contrat de l'intercommunalité, même en l'absence d'évolution de la sinistralité – comme c'était le cas pour Foix-Varilhes agglomération. La décision de l'assureur était d'autant plus surprenante que ce dernier avait durant deux années de suite réussi à imposer – en menaçant la communauté d'agglomération de résiliation - deux hausses de ses tarifs ("+98%" en 2022 et "+35%" en 2023). L'intercommunalité a organisé un marché pour tenter de trouver un nouvel assureur. Mais une seule offre a été déposée et elle "ne correspondait pas du tout à notre demande", selon Thomas Fromentin. La communauté d'agglomération a fini par passer un contrat avec un assureur local. "On a trouvé par le gré à gré", précise l'élu. |