Assurance des collectivités : le rapport Chrétien pour la mise en place d'un "risque émeutes"
La mission sur l'assurabilité des collectivités territoriales remettra son rapport au gouvernement dans les prochaines semaines. Un rapport dont une partie des constats et recommandations sont déjà connus. Son co-auteur, Alain Chrétien, et la ministre déléguée Dominique Faure en ont fait état à l'occasion d'un déplacement à Vesoul.
La mission sur l'assurabilité des collectivités territoriales, créée à l'automne à la demande du gouvernement et menée entre janvier et mars par le maire de Vesoul, Alain Chrétien (Horizons), et l'ex-président de Groupama Jean-Yves Dagès, a réalisé une quarantaine d'auditions et sondé 400 collectivités. Les conclusions de son rapport, que l'AFP a pu consulter ce jeudi 2 mai (et dont l'élu avait esquissé les premières recommandations dès février - voir notre article), rejoignent pour une bonne part celles d'un autre rapport publié fin mars par la commission des finances du Sénat (voir notre article du 2 avril)
Les dépenses d'assurance des collectivités sont supportées "à 90%" par les communes et leurs groupements, qui ont déboursé 541,5 millions d'euros en 2022 pour s'assurer. "En quelques années, les relations entre les collectivités locales et le monde de l'assurance se sont dégradées", soulignent les auteurs, faisant état de "résiliations brutales" ou de "hausses parfois vertigineuses des primes et des franchises". Une dégradation antérieure aux dégâts causés par les émeutes et la multiplication des événements climatiques. Dans les années 2010 en effet, une guerre des prix entre assureurs a provoqué une "sous-tarification des contrats", faisant "fuir" ces derniers du marché des collectivités. Cette sous-tarification s'est inversée en 2023, avec des prix devenus parfois rédhibitoires pour certaines collectivités, même si le marché reste "structurellement moins rentable" que celui des entreprises.
Selon les auteurs, un "oligopole" s'est progressivement "imposé aux élus", à savoir la présence de seulement deux acteurs sur le marché (les groupes mutualistes Smacl, filiale de la Maif, et Groupama, qui assure environ 20.000 petites communes). À cette concentration s'ajoute une "méconnaissance handicapante du patrimoine à assurer" par les collectivités elles-mêmes, faute de données solides. Or, si l'assurance de responsabilité civile des biens des collectivités est "généralement facultative", elle permet d'accéder au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Parallèlement, les risques naturels, météorologiques et sociaux ont grimpé : plus des deux tiers des bâtiments des collectivités sont notamment exposés aux risques d'inondation, de retrait-gonflement des argiles ou de mouvements de terrain.
"Certains biens ne sont pas assurables, comme Notre-Dame-de-Paris, parce que les remboursements en cas de sinistre ne sont pas à la hauteur de ce qu'une assurance peut faire", a rappelé jeudi la ministre déléguée en charge des collectivités, Dominique Faure, dans une interview croisée au groupe de presse Ebra, alors qu'elle se trouvait en déplacement pour une "immersion" de 24 heures à la mairie de Vesoul. "Il y a une catégorie de biens et de collectivités dans lesquelles peut-être nous allons encourager l'auto-assurance", a-t-elle ajouté, ce qui devrait s'accompagner d'une garantie d'intervention de l'État.
Du nouveau en vue sur le front de la commande publique
Pour éviter des disparités entre collectivités assurées ou pas, les auteurs préconisent de réfléchir à un dispositif de "mutualisation du risque social exceptionnel", sur le modèle du régime d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ("Cat Nat") ou du Gareat (risque d'attentats), en prévoyant une incitation pour couvrir les zones les plus exposées. Ce fonds serait alimenté par les 45 millions de contrats d'assurance des Français. Ils proposent aussi de créer un fonds pour les "risques sociaux" similaire à la dotation qui existe pour les risques climatiques (DSEC) et d'assortir cette dernière d'un volet "aide d'urgence". Selon France assureurs, le montant des indemnisations versées aux collectivités pour les dommages aux biens lors des émeutes de 2023 représente 204 millions d'euros, soit 26% du total.
"Il faut revoir le mécanisme de la dotation de solidarité aux collectivités victimes d'événements climatiques ou géologiques", juge Dominique Faure, qui compte inclure une réflexion sur le sujet dans le cadre de l’agenda territorial et estime aujourd'hui utile de "sortir du principe de reconstruction à l’identique et plutôt opter pour une reconstruction résiliente et adaptée". Elle souscrit en outre à la nécessité de "mieux prendre en compte le risque émeutes/violences urbaines, encore mal défini juridiquement", et donc "réfléchir à une réponse spécifique".
Le rapport recommande enfin d'associer les assureurs aux politiques des collectivités pour mieux prévenir les risques, et d'introduire plus de négociation dans les contrats, aujourd'hui passés par appels d'offres. "Tout ce qui touche à la commande publique va faire l'objet d'un travail rapide", a précisé Dominique Faure, qui n'exclut pas, donc, de "revoir les règles de la commande publique pour "passer d’une logique du 'à prendre ou à laisser' à celle du gré à gré", autrement dit de la procédure négociée, permettant ainsi aux maires et assureurs d'"échanger autour des biens assurés, du montant, etc., afin de trouver un compromis".
Ce rapport, qui avait été demandé par Dominique Faure et Christophe Béchu ainsi que Bruno Le Maire, sera remis au gouvernement "dans les prochaines semaines". "Cette remise sera notamment l’occasion pour les ministres de confirmer les pistes retenues et les actions à venir sur le marché assuranciel des collectivités", précise l'entourage de la ministre déléguée.