Assises des petites villes : communes et État invités à "faire pack"

Qui aime bien… Les différents intervenants des 26es assises des petites villes de France n’ont pas été tendres avec un État jugé défiant, versatile, tracassier, paperassier… et invité à retirer la laisse qui bride tant les collectivités que les préfets. Convaincus que le redressement viendra des territoires – à condition que les maires ne tombent pas "en panne", prévient Christophe Bouillon –, ils en appellent pour autant les communes à "faire pack" avec ce dernier. Une union sacrée qui semble indispensable à l’heure de la "frugalité budgétaire".

"On ne va pas se raconter d’histoire. Il nous faut documenter 30 milliards d’économies […]. Il faut se dire la vérité. Nous ne pouvons pas rester à politique inchangée. Nos voisins allemands s’inquiètent de voir un pays qui aurait 6,2% de déficit public par rapport au PIB. C’est une vraie menace" à l’heure des "discussions sur la procédure pour déficit excessif" engagée par l’UE contre la France (voir notre article du 26 juillet). Clôturant vendredi 20 septembre les 26es assises des petites villes de France, le président du Sénat, Gérard Larcher, a brutalement ramené au réel des participants qui, comme l’observait peu avant le président de l’APVF, Christophe Bouillon, avaient été proches de "retomber en enfance". D’abord en s’inventant "un ami imaginaire, le ministre des collectivités territoriales", alors désespérément absent (voir notre article du 19 septembre), même s’il a depuis fini par prendre corps (notre article du 22 septembre). Mais peut-être aussi en adoptant une résolution (voir encadré) aux formes de lettre au Père Noël, en ces temps de "frugalité budgétaire", pour reprendre l’expression de Françoise Gatel, alors encore sénatrice et désormais ministre déléguée, chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat.

L’urgence d’une révision du statut de l’élu 

Durant ces deux jours à Amboise, Gérard Larcher fut peu ou prou la seule voix discordante, les différents intervenants étant il est vrai très "monocolores". "Il faut se méfier d’une certaine consanguinité, de l’entre-soi", a d'ailleurs prévenu Françoise Gatel. Elle faisait écho au député Philippe Brun, qui venait d’alerter sur les risques que la politique ne "devienne une profession réglementée" uniquement peuplée de "membres de cabinet ou de hauts-fonctionnaires". Dénonçant "le sentiment d’une folle déconnexion", l’élu déplore une "politique qui n’a jamais autant été faite en chambre". Un sujet qui n’est pas sans renvoyer au statut de l’élu, dont il a beaucoup été question durant ces deux jours. "Au Sénat, on a déjà tout en magasin", vanta, sur ce sujet comme sur d’autres, Françoise Gatel, en soulignant notamment l’importance de "permettre l’atterrissage" d’élus qui n’ont pas la chance de pouvoir retrouver leurs anciennes fonctions en cas de défaite. Rappelant que les travaux de la Chambre haute en la matière avaient été adoptés à l’unanimité (voir notre article du 8 mars), Gérard Larcher exhorta les députés – qui ont de nouveau récemment planché sur le sujet de leur côté (voir notre article) – à s’en saisir sans délai, en mettant en outre en exergue la nécessité de "revoir le système de responsabilité des élus", jugé trop "paralysant". 

Les élus locaux, une armée pacifique qui menace de rendre les armes ?

Des élus locaux dont on n’a cessé durant ces deux jours de vanter les mérites : "Une extraordinaire armée pacifique et citoyenne", dépeint André Laignel, filant ainsi la métaphore des "va-t-en paix" décrits la veille par Christophe Bouillon. "Une richesse que nos technocrates trouvent pourtant trop nombreux. Comment peut-il y avoir trop de bonnes volontés ?", s’interroge le premier vice-président de l’Association des maires de France. Des bonnes volontés dont l’engagement serait d’ailleurs mis à mal par un État accusé de tous les maux : défiant, versatile, tracassier, paperassier… "Je passe 90% de mon temps à faire autre chose que le cœur de ma fonction", déplore Romain Colas, vice-président de l’APVF. "C’est avant tout d’un millefeuille administratif et normatif dont souffrent la performance et l’action publiques", estime l’APVF dans sa résolution. "Il semble que la simplification soit un gros mot dans ce pays, alors qu’elle devrait être une obsession", grince Françoise Gatel. Des bonnes volontés dont Christophe Bouillon redoute ainsi "la panne", laquelle entraînerait "un crash démocratique et un black-out territorial". 

Les communes… heureusement !

Qu’on se le dise, sans les communes, point de salut ! Alors que "la République vacille" et que l’"État donne le sentiment d’être impotent à force de vouloir être omnipotent", il y a "les communes, heureusement", loue ainsi André Laignel, en reprenant le thème du prochain congrès de l’AMF (voir notre article du 17 septembre). Et de prendre l’exemple des polices municipales – sur lesquelles il annonce un rapport à venir –, dont le coût pour les communes "dépasse les 2 milliards d’euros alors qu’elles sont là pour pallier les insuffisances de l’État la plupart du temps". Des communes qui sont selon lui à la fois "le premier recours et le dernier espoir" des citoyens, mais qui restent perçues par l’État "comme une charge, alors qu’elles sont un levier de redressement et de relance". 

À l’assaut de la forteresse de Bercy… et de la loi Climat ?

Des communes qui doivent former "le premier et le dernier kilomètre" des politiques publiques, insiste Françoise Gatel. Mais qui sont aujourd’hui confrontées à "une recentralisation galopante", "financière" mais aussi "administrative", dénonce André Laignel. Côté finances, la "forteresse de Bercy" fut sans surprise beaucoup vilipendée au pays des châteaux. "Il faut revenir au dessein initial de son architecte, qui voulait en faire un pont, alors qu’ils en ont fait une forteresse", exhorte Gérard Larcher, pour qui "on ne peut pas retirer tous les leviers fiscaux [aux collectivités] pour [leur] reprocher ensuite de dépendre de l’État". Côté administratif, André Laignel de pointer singulièrement "le ZAN, devenu le nec plus ultra d’une administration ingérable. Nous savons que ce sera inapplicable et qu’on ira dans le mur", juge-t-il, plutôt à contre-courant de l’assistance – "La sobriété foncière n’est plus une option mais une nécessité", peut-on ainsi lire dans la résolution adoptée par l’assemblée. Mais non sans recevoir le soutien du président du Sénat, pour lequel il est sans doute nécessaire "de revoir une partie importante de la loi Climat. Nous avons inventé des systèmes qui paralysent".

"L’État, c’est aussi nous !"

Si l’État ne fut donc guère à la fête durant ces deux jours, les différents intervenants ont néanmoins souligné la nécessité de "faire pack". "Il n’y a pas d’un côté l’État et de l’autre les collectivités", insiste Romain Colas, pour qui "on peut se mettre d’accord avec le gouvernement si on est dans le respect et pas dans l’injonction". "L’État, c’est quand même un peu nous aussi. La commune, c’est l’État aussi", plaide Christophe Bouillon. Il observe d’ailleurs que "nous sommes nombreux à fustiger l’État et dans le même temps à saluer les préfets". "Nous avons besoin d’un État territorial réarmé", défend François Gatel. "Il faut que les préfets aient autorité sur les services", lui fait écho le président Larcher, pour qui "nous avons besoin d’un État fort". Pour autant, il plaide pour que ce dernier redonne aux collectivités "le pouvoir d’agir", avec une nouvelle "loi de décentralisation qui permettra de réconcilier les Français avec la démocratie". "La renaissance de notre pays viendra des territoires", assure-t-il. 

Indispensable Sénat

Des territoires qui, par la voix de Christophe Bouillon, invitent le président du Sénat "à faire en sorte que nous puissions assurer notre mandat tranquillement", réclamant une "assurance Larcher 0 tracas, 0 blabla". Un vœu – pieu ? – jadis formulé par Michel Debré, ancien maire d’Amboise et père de la Constitution de la Ve République, dans un discours prononcé devant le Conseil d’État le 27 août 1958 et rappelé par le président du Sénat dans son allocution : "Ah ! si nous avions la possibilité de faire surgir demain une majorité nette et constante, il ne serait pas nécessaire de prévoir un Sénat dont le rôle principal est de soutenir, le cas échéant, un gouvernement contre une assemblée trop envahissante parce que trop divisée […]. Nul n'a le droit en France, présentement, de tirer une traite sur un avenir dont nous savons trop bien qu'il sera fait longtemps encore de divisions politiques, c'est-à-dire de majorités menacées, trop aisément, d'éclatement, et qu'il faut contraindre à la sagesse."

› Les adhérents de l’APVF adressent leurs "exigences" au nouveau gouvernement

"Une lettre de cadrage, et non de recadrage, au gouvernement." C’est ainsi que décrit le président de l’Association des petites villes de France, Christophe Bouillon, la résolution adoptée par les membres de l’association à l’issue de leurs 26es assises. Une lettre de cadrage qui tient davantage encore de la demande de fonds, "car ce sont les moyens financiers qui manquent le plus", peut-on y lire. Parmi les multiples requêtes, relevons ainsi une pérennisation et une augmentation du fonds vert, une réforme de la DGF, prenant "davantage en compte les charges de centralité des petites villes" et indexée sur l’inflation ou encore la prorogation des programmes Petites Villes de demain, Action cœur de ville ou encore Territoire d’industrie – lesquels "donnent des résultats appréciables mais sont encore loin d’avoir produits tous leurs effets" –, en réitérant en outre "sa demande de priorisation du financement de droit commun pour ces projets". L’APVF réitère de même, et "avec force", sa proposition de mise en place d’une "conférence des territoires, véritable instance de concertation et de négociation des associations d’élus avec le gouvernement".

L’APVF appelle par ailleurs à un "véritable renouveau de nos services publics : école, santé, mobilités, sécurité…", appelant le gouvernement à une action "plus particulièrement ciblée vers les petites villes et les collectivités à taille humaine", alors que "les priorités nationales demeurent pour l’essentiel encore trop souvent vers les grandes métropoles qui continuent de capter l’essentiel des richesses nationales".

Au plan européen, l’APVF plaide pour un plan de relance massif pour la rénovation et la construction de logements, la confirmation de la politique de cohésion comme priorité de l’UE ou encore pour que la dette verte soit sortie du calcul des déficits publics.