Archives

Administration numérique - Archivage électronique : "Il est urgent de mieux coordonner les actions de l'Etat et des collectivités territoriales"

Les collectivités territoriales pourront réutiliser, pour leur propre compte, la future solution d'archivage électronique mutualisée de l'administration, que la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (Disic) prévoit de développer dans les deux prochaines années (voir ci-contre notre article du 13 mars). Cette promesse faite début mars par Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la Simplification, et Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, lors de la présentation du projet, n'a pourtant pas eu l'effet positif escompté. Les associations d'élus ont même manifesté une certaine irritation. Elles considèrent la démarche en décalage avec leurs préoccupations et, de surcroît, estiment avoir été mises devant le fait accompli. Interrogés par Localtis, Renaud Lagrave, directeur de l'agence landaise pour l'informatique (Alpi), premier opérateur de mutualisation public ayant reçu l'agrément de tiers archiveur, et Francis Kuhn, directeur du syndicat intercommunal des collectivités territoriales informatisées des Alpes Méditerranée (Sictiam), engagé dans une procédure d'agrément similaire (1), reviennent sur la méthode et l'ordre des priorités avancées…

Localtis  : Faire profiter les collectivités territoriales d'un projet développé nationalement… l'intention n'est pas mauvaise ? Pourquoi cette réaction négative ?

Renaud Lagrave - Si l'Etat se disait prêt à prendre à sa charge l'archivage de tout le monde, nous serions les premiers à nous en réjouir… mais ce n'est pas à l'ordre du jour. Loin de là. En réalité, cette annonce brouille les cartes et les esprits sans rien apporter de concret. Des promesses sont faites, mais sur des éléments vagues, hypothétiques, à échéance de trois années, au moins, si l'on y inclut les adaptations nécessaires et qui ne disent rien sur ce qu'impliquerait une réutilisation sur le plan organisationnel et financier au niveau local. Mais l'annonce a rapidement suscité des interrogations de la part de certains élus : "Pourquoi mettre en oeuvre localement des projets coûteux si demain l'Etat nous offre sa solution?" ont-ils fait remarquer. Une explication rationnelle a certes pu être apportée mais dans de nombreux cas la confusion a subsisté et amplifie notre difficulté à promouvoir l'archivage électronique.

Francis Kuhn - Je suis tenté d'apporter une explication plus sévère. Cette réutilisation proposée aux collectivités est un miroir aux alouettes. En effet en annonçant un investissement de 15 millions sur un projet d'envergure, l'Etat a choisi, fort opportunément, d'élargir le cercle potentiel des bénéficiaires. Ce qui expliquerait en partie pourquoi les instances représentatives locales n'ont pas été informées du projet. La déception vient aussi du fait que nous plaidons depuis longtemps pour des formes de soutiens plus immédiates.

Des soutiens de nature financière par exemple ?


Renaud Lagrave - Pas exactement, car la période s'y prête mal. Mais l'Etat aurait beaucoup à gagner à prendre les actions, dans le bon ordre. Par exemple en s'assurant d'abord que la culture de l'archivage électronique pénètre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'Etat avant de savoir quel type d'outil il conviendrait de mettre en place. Dans les Landes, nous achevons notre cinquième tournée de présentation et d'explication de l'archivage aux communes. Le résultat est encourageant mais reste modeste puisqu'un peu plus d'une centaine de collectivités, sur les 550 adhérentes, utilisent aujourd'hui la plateforme d'archivage de l'Alpi (2). Lorsque nous attirons l'attention sur l'urgence de la transition, nous restons assez peu entendus. Il faut inlassablement présenter, répéter, démontrer, encourager. Pourtant si, à la place de nos courriers, les mêmes destinataires recevaient une circulaire signée du directeur des archives départementales et du préfet, expliquant l'urgence à basculer sur le numérique, le résultat serait bien plus efficace et le dossier "archivage électronique" remonterait plus facilement sur le haut de la pile. A ma connaissance aucune initiative de cette nature n'a jamais été réalisée dans un département. J'ai récemment suggéré au service interministériel des archives de France (Siaf) qu'il demande aux préfets de s'engager dans cette voie, à travers un courrier qui rappellerait l'obligation des communes de faire appel à des tiers archiveurs pour leurs dossiers courants, ainsi que leurs responsabilités sur les archives définitives.

Une circulaire pour transformer l'administration… ça paraît mince.


Renaud Lagrave - Au regard des urgences, ce serait déjà un point de départ. Mais pas suffisant, c'est clair. Aussi, il y a longtemps que nous proposons des mesures d'accélération du changement, comme l'allègement de l'arsenal réglementaire ou des actions de promotion susceptibles de déclencher une bascule dans les collectivités. Certes, nous progressons, mais bien trop lentement. Quand je vois la difficulté des EPCI à obtenir l'agrément de tiers archiveur, sous prétexte de sécurité, il y a véritablement un manque de vision et de perspectives. L'Etat a cadenassé la procédure. Il n'est pas normal que l'Alpi reste toujours la seule entité publique locale à avoir obtenu une autorisation. Dans le même laps de temps, les collectivités ont perdu des milliards de données faute d'outils adéquats. Quant au travail de sensibilisation, d'explication, d'organisation et d'accompagnement, il est encore largement devant nous. Aussi les effets d'annonce sur Vitam ne nous paraissent pas des plus opportuns.

Francis Kuhn - Si la position des associations d'élus n'a pas varié depuis longtemps, les exigences de cohérence et de sécurité se sont, elles, fortement accrues. Au point de faire de l'archivage électronique un passage obligé avec les nouvelles avancées sur le numérique. Dans le cadre de l'instance nationale partenariale du secrétariat général à la modernisation de l'action publique, les associations ont fait clairement savoir qu'elles inciteraient désormais leurs adhérents à ne plus entrer dans des processus de dématérialisation de bout en bout ne prenant pas en compte l'archivage électronique.

Cela risque de bloquer pas mal de projets de dématérialisation en cours.


Francis Kuhn - Le blocage ne sera pas nécessairement frontal. Il suffit de passer en revue quelques projets lancés à marche forcée pour constater que certains sont toujours en phase de déploiement dix années après. La réussite des programmes nationaux partagés reposera sur une coopération réelle et acceptée. Seuls la co-élaboration, le "faire avec" permettront de déployer les projets en mode agile, sur deux ou trois années. De ce point de vue, les structures de mutualisation que nous représentons sauront jouer ce rôle d'accélérateur auprès de leurs membres. D'ailleurs les taux de déploiement, nettement plus élevés que la moyenne, obtenus par nos structures, dans le cadre des programmes Actes pour les délibérations ou Hélios pour les données comptables le confirment. L'archivage électronique est un impératif aujourd'hui, sinon dans cinquante ans le pays aura perdu une partie des traces de son histoire. Ce que nous ne voulons pas.

Comment avancer par rapport à Vitam et qu'attendez-vous de l'Etat ?


Francis Kuhn - D'abord une clarification sur les conditions d'emploi de Vitam qui sont bien plus limitées qu'il n'y paraît. Ensuite, lorsque l'Etat annonce des grands projets incluant les collectivités locales, il serait judicieux que les instances de représentation de ces mêmes collectivités puissent être préalablement informées et consultées afin d'éviter les malentendus et les fausses bonnes nouvelles.

Renaud Lagrave - Depuis plus de quatre années, nous avançons pas à pas avec le service interministériel des archives de France. Ce travail d'échanges et de confrontation a fait évoluer les doctrines et les méthodes en matière d'archivage. Et un jour, brusquement, on nous sort du chapeau un nouveau projet, sans explication. Ça n'a pas de sens. Poursuivons le travail engagé, en simplifiant les procédures d'agrément et en menant campagne sur la bascule vers l'archivage numérique, seul moyen aujourd'hui d'amplifier la transition vers le numérique de bout en bout. C'est ce que nous souhaitons le plus ardemment.

Propos recueillis par Philippe Parmantier / EVS

(1) Ils sont tous les deux membres techniques de la commission TIC de l'AMF et aussi représentants FNCCR et AMF dans plusieurs instances de consultation nationales.
(2) Ndlr : on notera toutefois que le nombre de collectivités utilisatrices de l'archivage électronique dans les Landes représente encore une part importante de l'ensemble de celles qui font appel aujourd'hui à un tiers archiveur.