Commande publique - Appréciation des offres et rupture de l'égalité de traitement des candidats en référé précontractuel
Dans un arrêt du 20 janvier 2016 (n°394133), le Conseil d'Etat est venu rappeler l'étendue du contrôle opéré par le juge du référé précontractuel sur les offres des candidats à un marché public. En l'espèce, la communauté intercommunale des villes solidaires (Civis) avait lancé une procédure en vue de la passation d'un marché public de collecte et d'évacuation des déchets ménagers. Candidate évincée, la société Derichebourg Polyurbaine a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de La Réunion afin de faire annuler la procédure du lot litigieux au stade de l'analyse des offres. Ce dernier a fait droit à cette demande et c'est contre cette ordonnance que la Civis se pourvoit en cassation devant le Conseil d'Etat.
Estimant que la Civis n'avait pas correctement apprécié la valeur de l'offre de la société requérante, le premier juge avait annulé la procédure litigieuse. L'offre en question avait été présentée dans des conditions particulières, conduisant la collectivité à opérer des modifications à propos du "décompte des emplois que la société entendait affecter à l'exécution du marché" au regard du critère de "cohérence entre la décomposition du prix global et forfaitaire et la note méthodologique du candidat". Selon le juge du référé précontractuel, ces modifications n'étaient pas justifiées et contrevenaient au principe d'égalité de traitement des candidats. Sur ce point, le Conseil d'Etat précise que la régularisation de l'offre par la collectivité est justifiée par la présentation particulière de l'offre de la société finalement évincée. Cette dernière et l'attributaire n'étant pas dans la même situation, la différence de méthodes dans l'appréciation des offres ne méconnaît donc pas le principe d'égalité de traitement des candidats.
Principe de l'intangibilité des offres
De plus, le Conseil d'Etat considère que le juge du référé a ici commis une erreur de droit en ce qu'il a outrepassé les limites de son contrôle. Dans un considérant de principe, les Sages du Palais-Royal rappellent que les pouvoirs du juge du référé précontractuel sont limités à la vérification du respect des obligations de publicité de mise en concurrence. Dès lors, il ne lui appartient pas de "se prononcer sur l'appréciation portée [par l'acheteur public] sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres". En référé, ce n'est donc pas le choix en lui-même qui est jugé mais seulement les conditions dans lesquelles ce choix s'est fait. En revanche, le juge du référé pourra vérifier que le contenu de l'offre n'a pas été dénaturé par l'appréciation du pouvoir adjudicateur, au point de méconnaître le principe d'égalité de traitement des candidats. En l'espèce, les juges de cassation ont estimé que le contrôle exercé par le premier juge ne se limitait pas à vérifier la dénaturation de l'offre par les modifications mais consistait à examiner l'appréciation de l'offre par la Civis. L'ordonnance attaquée a donc été annulée.
Cet arrêt est l'occasion de revenir sur le principe de l'intangibilité des offres. En procédure d'appel d'offres, excluant toute négociation, ni le candidat, ni l'acheteur public ne pourront procéder à une modification de l'offre. Ce principe est toutefois nuancé par la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de demander à un candidat de préciser la teneur de son offre, sans que les informations complémentaires fournies reviennent à présenter une nouvelle offre. En outre, il existe également une exception au principe de l'intangibilité de l'offre : le pouvoir adjudicateur peut procéder à des modifications si elles ne visent qu'à corriger des erreurs purement matérielles. Notons que dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire, ce type de correction est possible à condition que le prix n'en soit pas affecté. Enfin, l'article 56 du projet de décret "marchés publics" permet désormais à l'acheteur, tout en restant dans le cadre de la procédure d'appel d'offres ou de procédures adaptées sans négociation, d'autoriser les soumissionnaires concernés à régulariser leurs offres irrégulières, sauf si elles sont anormalement basses. Les offres inappropriées et inacceptables devront quant à elles être éliminées.