ANCT : coup d'envoi programmé en 2020, sans grande visibilité
L'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) devrait voir officiellement le jour début 2020. Mais de nombreuses questions restent en suspens, malgré la loi promulguée le 22 juillet 2019 et le projet de décret qui devrait être publié en novembre. Le départ précipité de Serge Morvan, actuel commissaire général à l'égalité des territoires, au 2 août, pour raisons personnelles, pourrait compliquer un peu la donne. François-Antoine Mariani, commissaire général délégué, prendra le relais pour assurer l'intérim.
Le "père fondateur" de la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) n'aura pas l'heur de présider à ses destinées. Au lendemain de la publication au Journal officiel de la loi créant l'agence, on apprenait lors du conseil des ministres que Serge Morvan, actuel commissaire général à l'égalité des territoires, nommé en avril 2018, allait être remplacé. Il quittera ses fonctions le 2 août 2019 pour "raisons personnelles". C'est François-Antoine Mariani, son adjoint, qui assurera l'intérim, ainsi que la préfiguration de l'ANCT, comme l'indique son décret de nomination publié le 25 juillet.
François-Antoine Mariani avait rejoint le CGET le 2 janvier 2019 en tant que commissaire général délégué et directeur de la Ville et de la Cohésion urbaine. Auparavant, ce docteur en droit public a été chargé de mission à la délégation interministérielle à la ville, assistant parlementaire et délégué du préfet à l'égalité des chances de Seine-Saint-Denis. Avant de rejoindre le CGET, il avait intégré, en février 2018, le cabinet du Premier ministre en tant que conseiller technique en charge des politiques contractuelles territoriales.
Rien n'indique en revanche s'il restera à ce poste jusqu'à la création et la mise en œuvre effective de l'ANCT, ce que certains souhaitent au CGET pour plus de simplicité, ou s'il sera remplacé à la rentrée par une personne susceptible de devenir par la suite le directeur général de l'agence. En tout cas, le départ de Serge Morvan, s'il est justifié par des raisons personnelles, ne laisse pas de surprendre les syndicats. "Nous en sommes à notre sixième préfigurateur et ce départ est précipité, sans anticipation de l'organisation à suivre", indique ainsi Joëlle Martichoux, élue CFDT du personnel, en allusion aux nombreux dirigeants qui se sont succédé depuis la création du CGET.
"France Territoires" ou "Agence France Territoires"
Plus anecdotique est l'incertitude qui règne sur le nom officiel de l'agence. Le CGET préconise de l'appeler "France Territoires" ou "Agence France Territoires", mais rien n'est officiellement tranché, et le mot de la fin devrait incomber à l'Élysée… Côté mise en œuvre, les choses sont encore aussi très opaques. "Nous avons peu de visibilité sur la manière dont fonctionnera concrètement l'agence", dénonce la syndicaliste de la CFDT.
Les choses se sont toutefois accélérées depuis une quinzaine de jours. Annoncée en juillet 2017 par le président de la République, les missions et le périmètre de l'agence sont précisés dans la loi promulguée le 22 juillet et détaillées dans un projet de décret que Localtis s'est procuré (voir téléchargement ci-dessous). Celui-ci devrait être publié d'ici novembre 2019.
L'agence sera ainsi placée sous la tutelle de plusieurs ministères, représentés au conseil d'administration, avec une tutelle principale pour le ministère de la Cohésion des territoires. Un point critiqué par les syndicats. "Le projet de décret laisse à penser qu'il y a une co-tutelle mais le risque est que cette co-tutelle se réduise en tutelle par un seul ministère, celui de l'intérieur", estime Édouard Onno, secrétaire général du syndicat national des ingénieurs des travaux publics de l'État et des collectivités territoriales (Snitpect-FO), qui relève aussi la faible présence du ministère de la Transition écologique dans le projet de décret. Le ministère n'apparaît en effet pas dans la liste des ministères participant à la co-tutelle, alors que la transition écologique fait partie des domaines d'action de l'agence, au même titre que les autres (accès aux services publics, aux soins, logement, mobilités, mobilisation pour les quartiers prioritaires, revitalisation commerciale et artisanale, centres-villes, développement économique, développement des usages numériques).
Véritable commando ou simple affichage ?
Autre zone d'ombre : le conseil d'administration de l'agence. Si l'agence doit être opérationnelle début 2020, moment où elle disposera de ses budgets, aucune information n'est donnée sur les personnalités qui le composeront. D'après le projet de décret, ce conseil d'administration doit comprendre 29 membres dont 9 représentants de l'État, 4 représentants du Parlement, 10 représentants élus des collectivités territoriales et de leurs groupements, un représentant de la Caisse des Dépôts et 2 représentants du personnel. Des représentants des opérateurs avec lesquels l'agence travaillera (Anah, Anru, Cerema et Ademe) siégeront aussi au conseil d'administration mais n'auront qu'une voix consultative. La composition du conseil d'administration avait donné lieu à de vifs échanges lors des débats parlementaires, et à une opposition marquée entre l'Assemblée et le Sénat qui aurait souhaité conférer une majorité aux représentants des élus (voir notre article)
Concernant sa capacité d'action, des questions subsistent aussi, alors qu'on est assez loin du "guichet unique" initial, l'Anru et les autres agences ayant notamment freiné des quatre fers pour ne pas y entrer. "Il est prévu que l'ANCT soit une petite structure qui contractualise avec les opérateurs sur des projets prioritaires définis ensemble, explique Edouard Onno. Les conventionnements avec les opérateurs sont donc le cœur du réacteur car cela correspondra aux moyens donnés pour les dispositifs identifiés. L'agence aura-t-elle les moyens pour devenir le 'commando des forces spéciales' qui investiront dans les territoires ou sera-t-elle un organisme d'affichage, capable uniquement de saupoudrer sur les territoires des budgets existants ?" Pour le syndicaliste, l'épreuve des premiers projets devrait donner la réponse… mais pour le moment, les conventions qui devront être signées avec les opérateurs n'en sont qu'aux balbutiements, avec des premiers projets rédigés en mai et juin 2019 seulement. "Quel poids aura l'agence sur les opérateurs pour les pousser à financer les dispositifs ? Nous avons zéro visibilité", souligne Joëlle Martichoux.
Un projet d'organigramme en mode projet
Les équipes qui vont intégrer l'agence, celles du CGET, de l'Agence du numérique et de l'Epareca n'ont pas plus de visibilité sur les conditions de leur transfert. "Nous travaillons déjà en mode projet avec des programmes comme Territoires d'industrie ou Action Cœur de ville, indique-t-on au CGET. Nous allons encore travailler davantage en transversalité, moins en silo, et plus sur le terrain." Le projet d'organigramme n'est toutefois pas encore dévoilé. Il devrait être public en septembre, de même que les fiches de postes. "On nous dit qu'il y aura moins de hiérarchie mais nous n'avons aucune information, de même, on nous parle d'ingénierie, ce qui n'est pas du tout dans notre culture, affirme Joëlle Martichoux. Il faudrait nous expliquer davantage." Même chose pour les contrats de travail de chacun qui devraient être négociés durant l'automne.
La personnalité du futur directeur général de l'agence suscite l'attention de tous. "Il faudrait une personne dynamique, charismatique, qui ait une bonne connaissance des élus et des collectivités locales ; la figure du président sera aussi importante", précise-t-on au CGET, où certains regrettent que le président de la République ne porte pas plus clairement son propre projet.
Références : décret du 24 juillet 2019 portant nomination du commissaire général à l'égalité des territoires par intérim - M. Mariani (François-Antoine) publié au Journal officiel du 25 juillet 2019 ; loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires publié au Journal officiel du 23 juillet 2019. |