Agrivoltaïsme : la filière prend ombrage de la proposition de loi Lecamp
La proposition de loi visant à assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme, portée par le député démocrate Pascal Lecamp, a passé le cap de la commission à l’Assemblée nationale, non sans y laisser quelques plumes. Et pour cause, ce texte a suscité, avant même son examen, une levée de boucliers du monde agricole et des énergéticiens, mobilisés pour assurer la stabilité du cadre de développement de la filière encore tout juste émergent.

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La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a adopté, ce 26 mars, en première lecture, la proposition de loi (PPL) transpartisane visant à assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme portée par le député de la Vienne Pascal Lecamp (démocrate). Ce texte "vise à compléter les sujets non traités dans la loi Aper [d’accélération de la production d'énergies renouvelables], le précédent décret [n° 2024‑318 du 8 avril 2024] et à mieux encadrer l’agrivoltaïsme, notamment sur le volet foncier et le partage de la valeur", précise l’exposé des motifs.
Le premier bilan d’application de la loi (lire notre article) pointait déjà des problématiques importantes "non résolues", en particulier celles des baux ruraux et du partage des revenus. Un an après, le décret prévu par l’article 93 de la loi Aper n’a d’ailleurs pas été publié. "Qu’est-ce que l’agrivoltaïsme ? Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? A-t-on besoin d’un texte ? On a dit tout et son contraire… Nous avons écrit ce texte parce que dès l’adoption de la loi Aper, il est devenu évident que celle-ci posait une définition de l’agrivoltaïsme, sans lui donner les outils de son fonctionnement. (…) Notre responsabilité est de trouver le chemin de passage pour contribuer au mix énergétique sans déséquilibrer le secteur agricole, un chemin de 'mégawatts-crête', si j’ose dire", a développé Pascal Lecamp.
La droite de l’hémicycle a toutefois opté pour la "stabilité législative" et voté contre cette PPL qui "intervient trop tôt". Avant même son examen, le texte, qui propose entre autres une nouvelle contribution et une limitation de la puissance installée par exploitation agricole, a reçu une volée de bois vert aussi bien des syndicats agricoles que des professionnels des énergies renouvelables. La Coordination rurale a ainsi sollicité l’abandon ou le rejet de cette PPL, y voyant "une catastrophe pour les agriculteurs français, notamment dans les territoires à faible densité". La FNSEA a aussi exprimé ses plus grandes réserves "tant sur l’opportunité d’un tel texte que sur son contenu", épinglant notamment un mauvais tempo, avec le "risque de déstabiliser une filière naissante qui a besoin d’être sécurisée", après la publication du décret-cadre et d'une instruction technique, et alors "qu’émergent les tout premiers projets". Sur le fond, le syndicat majoritaire regrette "une architecture rigide et inadaptée du partage territorial de la valeur, laquelle échappera majoritairement au monde agricole". Même retenue pour la Fédération française des producteurs agrivoltaïques arc boutée contre la quasi-totalité des propositions. Et France Agrivoltaïsme a de son côté fait part, début mars, de ses propres recommandations sur le partage de la valeur en agrivoltaïsme.
Fonds pour financer des projets agricoles et territoriaux
Des réactions qui ont poussé le groupe Ensemble pour la République à s’opposer - en vain - à l’inscription de la proposition de loi les 1er et 2 avril prochains, dans l’ordre du jour transpartisan, "afin de le retravailler", explique Jean-Luc Fugit, pourtant co-signataire du texte. Ce travail de réécriture a néanmoins d’ores et déjà commencé…Plusieurs amendements (61 au total) -sur un texte qui comporte cinq articles- ont ainsi été discutés en commission pour rehausser le seuil maximal de puissance installée ou supprimer la possibilité de préemption des EPCI, autre disposition contestée.
À l'article 1er, le rapporteur, Pascal Lecamp, a défendu un amendement de réécriture "pour éviter l’émiettement et renforcer l’opérationnalité du dispositif" de partage de la valeur. Il s’agit de flécher la totalité des contributions versées par les énergéticiens au titre du partage territorial de la valeur créée par les projets agrivoltaïques vers des projets à vocation agricole ou qui croisent les intérêts agricoles et territoriaux en s’inscrivant dans un projet alimentaire territorial. Avec un versement à un fonds géré par la chambre d’agriculture du département où sera implanté le projet. Un décret en précisera les modalités d’organisation et de fonctionnement, qui pourrait s’inscrire dans un groupement d’utilisation de financement agricoles (Gufa) que la chambre d'agriculture aurait déjà créé. La gouvernance de ce fonds associe des représentants du secteur agricole et des différents niveaux de collectivités, "qui statuent ensemble sur l’utilisation des contributions".
Éviter les projets agrivoltaïques surdimensionnés
Autre point très débattu en commission, et qui le sera très certainement à nouveau en séance, celui introduisant une limite maximale de puissance installée par exploitation agricole, car d’aucuns y voient un frein au développement de cette filière.
"La manne agrivoltaïque n’étant pas illimitée, plus il existe de gros projets moins il y aura de projets et donc plus nombreux seront les agriculteurs laissés à l’écart de cet apport technique et financier. Par ce texte, en posant une taille limite nous remettons l’importance agricole au milieu du village et nous donnons un outil objectif et vérifiable par les préfets", dans leurs évaluations de la régularité des projets agrivoltaïques, s’est expliqué l’auteur de la PPL.
"J’ai entendu les réactions des uns et des autres", a-t-il ajouté, avant de proposer des évolutions du plafond de cinq mégawatts‑crête initialement proposé à l’article 2. "Les auditions menées ont montré que ce plafond pouvait menacer l’équilibre économique de certains projets agrivoltaïques, ou les inciter à se concentrer autour des postes sources, au détriment d’une répartition territoriale plus équilibrée", relève l'exposé de l'amendement de réécriture adopté en commission. Il rehausse le plafond maximal de puissance installée à 10 MW crête par exploitant, mais en l’associant à un autre plafond, qui limiterait la parcelle agricole implantée à un maximum de 30% de la surface agricole utile (SAU) de l’exploitation. Les parcelles agricoles exploitées en viticulture ou en arboriculture ne seront pas soumises au deuxième plafond.
Les commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) pourront en outre moduler à la baisse les plafonds, en fonction du mode de culture ou d’élevage, du procédé technique photovoltaïque utilisé et de l’implantation géographique. Le principe d’une clause de revoyure dans cinq ans est pour l'heure maintenu, mais lui aussi sujet à discussions.
Dans un article additionnel (amendement du député socialiste Dominique Potier travaillé avec les Jeunes Agriculteurs), le texte confère également aux CDPENAF la possibilité de réduire ce plafond, après analyse de la situation locale et en concertation avec les parties prenantes, lorsque les caractéristiques des terres concernées le justifient, notamment en raison de leur valeur agronomique, de leur rôle en matière de biodiversité ou de leur contribution aux équilibres territoriaux.
Deux autres articles additionnels (suite à l’adoption d’amendements du socialiste Karim Brenbrahi) ajoutent des rapports du gouvernement. L’un ayant vocation à formuler des préconisations permettant de redistribuer dans le monde agricole la valeur créée par l’agrivoltaïsme, notamment en utilisant le levier de fiscalité redistributive. L’autre relatif à l’évolution du prix du foncier agricole sous l’effet du développement de l’agrivoltaïsme, pour étudier notamment la pertinence d’introduire des dispositifs de plafonnements financiers. On notera également un troisième rapport (amendement portant article additionnel défendu par Dominique Potier) - et qui fera sans doute l’objet d’une fusion - visant quant à lui "à connaître le partage de la valeur ajoutée entre l’ensemble des parties prenantes de la production agrivoltaïque, dans la diversité de ses modèles de développement en termes de taille de projets et de système de production agronomique garantissant l’objectif de souveraineté alimentaire sur la parcelle concernée et plus largement sur le territoire".
Nouveau type de convention‑cadre relative à l’articulation agrivoltaïsme et baux ruraux
Là encore, l’article 3 a fait l’objet d’une réécriture en commission. Outre des améliorations rédactionnelles, l’amendement du rapporteur propose d’organiser les rapports entre un propriétaire non-exploitant, un agriculteur et un porteur de projet agrivoltaïque dans une convention-cadre (pour une durée minimale de 18 ans). Les garanties apportées à l’agriculteur sont sécurisées à travers le maintien du bail rural. Des clauses contractuelles nouvelles assurent le bon fonctionnement de l’installation agrivoltaïque et protègent la pérennité de l’activité agricole. La relation entre le propriétaire et le porteur de projet agrivoltaïque est, elle, régie par un bail emphytéotique. L’emphytéote est toutefois seul responsable du démantèlement de l’installation en fin de bail. Le partage de la valeur entre les différentes parties est régi par la convention-cadre. Celle-ci assure le versement d’un loyer au propriétaire par l’énergéticien qui ne peut être supérieur aux contreparties dont bénéficie l’agriculteur au regard des obligations qui lui incombent. Les responsabilités financières des parties peuvent être engagées en cas de manquement à leurs obligations.
Enfin, plusieurs amendements identiques (portés par les députés David Taupiac/Liot, Mathilde Hignet/LFI et Sébastien Humbert/RN) suppriment le droit de préemption aux mains des EPCI introduit à l’article 4 pour leur permettre d’acquérir des parcelles pour des projets d’installations agrivoltaïques. L'articulation avec les droits de préemption qui existent déjà au profit des Safer et des collectivités suscitait notamment l’incompréhension.