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Protection de l'enfance - Adoption : respect de la loi ou intérêt de l'enfant ?

Il s'agit d'une simple décision d'un juge des enfants et non pas d'une décision en formation de justice. Pourtant l'affaire fait grand bruit et pourrait poser problème aux services départementaux d'aide sociale à l'enfance (ASE) et aux présidents de conseils généraux, dans leurs compétences en matière d'adoption et de protection de l'enfance.

Un contexte totalement illégal...

En l'occurrence, un juge des enfants du tribunal de grande instance de Nancy a désavoué les services de protection de l'enfance et la pouponnière départementale de Meurthe-et-Moselle en rendant un très jeune enfant à ses parents.
Si la décision n'a rien d'extraordinaire en soi, c'est le contexte qui change tout. Car à peu près tout le contexte de cette affaire est illégal. La plupart des protagonistes sont mis en examen et certains incarcérés. Dans cette affaire, une mère d'origine roumaine, qui attend un sixième enfant, ne peut pas ou ne veut pas le garder. Dans des circonstances qui restent à éclaircir, elle le vend à sa naissance en mai 2013, par le biais de divers intermédiaires véreux - pour 8.000 euros et une BMW d'occasion, selon les informations données lors de la conférence de presse du procureur de la République - à un couple de jeunes Lorrains qui ne peuvent avoir d'enfant. Selon les explications de l'avocate de ce couple, "mes clients, gitans, étaient des proies idéales : ils vivent dans un monde à part et ne se rendent pas compte des procédures à respecter".

... mais "le juge a entendu la souffrance de l'enfant"

Mais, en septembre 2013, deux des organisateurs de ce trafic sont interpellés et écroués à Marseille pour "traite d'êtres humains". Cette arrestation permet de remonter jusqu'au couple d'"acheteurs", qui est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. L'enfant est alors placé par les services de l'ASE dans la pouponnière départementale de Nancy.
Mais l'enfant de quelques mois - privé de ses "parents", dont les capacités éducatives ne sont pas en cause dans cette affaire - dépérit et se renferme, au point d'inquiéter les professionnels de la protection de l'enfance. Dans un premier temps, le juge des enfants de Nancy accorde aux "parents" un droit de visite à la pouponnière. Puis, à la fin du mois d'août, il leur confie l'enfant à plein temps, dans le cadre d'un "hébergement long". Une décision qui semble d'ailleurs légale au regard des dispositions du Code civil sur l'assistance éducative.
Pour l'avocate des "parents", c'est l'intérêt de l'enfant qui a dicté les décisions du magistrat : "Le juge a su entendre la réelle souffrance de l'enfant. C'est un dossier totalement atypique, une première en France". Elle se propose d'ailleurs d'aider ce couple à engager des démarches officielles d'adoption, et donc de solliciter un agrément du président du conseil général.

Un impact sur les cas de PMA à l'étranger ?

Il faut rester prudent sur l'impact d'une affaire dont les circonstances et les suites restent encore à éclaircir, mais il est difficile de ne pas penser à d'autres cas de contradictions possibles entre la loi et l'intérêt de l'enfant - le côté sordide mis à part - auxquels sont confrontés les départements et les juges en matière d'adoption.
On peut notamment envisager le cas de l'adoption par un couple d'homosexuelles d'un enfant né de l'une des deux femmes lors d'une PMA (procréation médicalement assistée) réalisée à l'étranger. Si la tendance semblait plutôt - malgré les termes de la loi - à une ouverture à l'adoption, une récente décision du tribunal de grande instance de Versailles est venue rappeler qu'en France, la PMA n'est pas ouverte aux couples de femmes et que pratiquer une PMA à l'étranger en vue d'adopter en France constitue un détournement de la loi (voir notre article ci-contre du 5 mai 2014). Sans oublier que derrière la question de la PMA se profile celle - nettement plus délicate sur le plan éthique - de la gestation pour autrui (GPA).
Sauf éventuelle décision de la Cour de cassation, la situation devrait pourtant rester dans un entre-deux juridique. Après le retrait de son projet de loi sur la famille, le gouvernement a en effet annoncé le 28 avril dernier, par la voix de Manuel Valls, qu'il s'opposera à tout texte ou tout amendement sur l'extension de la PMA "jusqu'à la fin de la législature". Mais, dans l'état actuel de la majorité, il n'est pas exclu qu'un amendement parlementaire à la proposition de loi sur la famille finisse par obtenir une majorité de votants.