Accueil des gens du voyage : le Sénat adopte une proposition de loi mêlant la carotte et surtout le bâton
Difficile de ne pas voir un écho de la parabole de la carotte et du bâton dans la proposition de loi relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites, adoptée en première lecture par le Sénat le 31 octobre 2017. Une impression qui doit beaucoup au fait que le texte adopté résulte de la fusion de deux propositions de loi. La première - présentée par Jean-Claude Carle, sénateur de Haute-Savoie, et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains - tendait à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d'accueil des gens du voyage. La seconde - présentée par Loïc Hervé, également sénateur de Haute-Savoie, et plusieurs de ses collègues du groupe Union centriste - visait à renforcer et rendre plus effectives les sanctions en cas d'installations illégales en réunion sur un terrain public ou privé.
Obligations maintenues, mais sous conditions
Côté "carotte", le chapitre Ier du texte fusionné s'intitule "Clarifier le rôle de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs groupements". Pour cela, il réécrit certaines dispositions de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage. Il prévoit ainsi plusieurs mesures pour clarifier les rôles des différentes collectivités et aider les communes concernées à développer des aires d'accueil. Si les communes de plus de 5.000 habitants ont toujours l'obligation de figurer au schéma départemental d'accueil des gens du voyage, la nouvelle rédaction précise que "celui-ci ne peut prévoir, à titre obligatoire, la réalisation d'aires ou de terrains [...] sur le territoire d'une commune dont la population n'atteint pas ce seuil, à moins qu'elle n'appartienne à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre comportant, parmi ses membres, au moins une commune de plus de 5.000 habitants".
De même, le texte adopté prévoit que le schéma départemental ne peut prévoir la réalisation de telles aires ou terrains sur le territoire d'une commune "que si le taux d'occupation moyen des aires et terrains existants dans le même secteur géographique d'implantation, constaté au cours des trois dernières années, est supérieur à un seuil défini par décret".
Qui fait quoi dans l'accueil des gens du voyage ?
De même, la proposition de loi clarifie la répartition des rôles entre les différents niveaux de collectivités. Ainsi, les communes membres d'un EPCI compétent en matière de création, d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires d'accueil des gens du voyage et des terrains familiaux locatifs, "remplissent leurs obligations en accueillant sur leur territoire les aires et terrains".
Pour sa part, l'EPCI remplit ses obligations "en créant, en aménageant, en entretenant et en assurant la gestion des aires et terrains dont le schéma départemental a prévu la réalisation sur son territoire". Il peut aussi les remplir en contribuant au financement de la création, de l'aménagement, de l'entretien et de la gestion d'aires ou de terrains situés hors de son territoire, par le biais d'une convention avec les EPCI concernés.
Enfin, Les communes qui ne sont pas membres d'un EPCI compétent "remplissent leurs obligations en créant, en aménageant, en entretenant et en assurant la gestion des aires et terrains dont le schéma départemental a prévu la réalisation sur leur territoire".
Les aires permanentes d'accueil prises en compte dans la loi SRU
Du côté des mesures incitatives, la proposition ajoute les emplacements des aires permanentes d'accueil à la liste des éléments assimilés à des logements locatifs sociaux pour l'atteinte des objectifs de construction fixés par la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain). Dans la rédaction actuelle de l'article L.302-5 du code de la construction et de l'habitation - issue de la loi Egalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017 -, seuls sont pris en compte "les terrains locatifs familiaux en état de service [...] destinés à l'installation prolongée de résidences mobiles dont la réalisation est prévue au schéma départemental d'accueil des gens du voyage".
Mais, dans le même temps, la proposition de loi supprime la procédure de consignation pour les communes ou les EPCI n'ayant pas rempli leurs obligations et qui ne respectent pas la mise en demeure du préfet. L'obligation de mettre en œuvre les orientations du schéma départemental demeure, mais la proposition de loi prive pratiquement le préfet de tout moyen de pression (sauf celui d'acquérir les terrains envisagés pour que l'Etat les aménage lui-même).
Les "grands passages" signalés trois mois à l'avance
Autre disposition nouvelle prévue par la proposition de loi : l'obligation, pour les groupes concernés, de signaler au préfet et au président du conseil départemental, au moins trois mois à l'avance, toute arrivée d'un groupe de plus de 150 résidences mobiles ("grand passage"), "pour permettre l'identification d'une aire de stationnement correspondant aux besoins exprimés". Le préfet informe à son tour le maire ou le président de l'EPCI au moins deux mois avant la date prévue.
Dans ce cas, le maire, "s'il n'est pas en mesure d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, peut demander au représentant de l'Etat dans le département de prendre les mesures nécessaires".
Des moyens nouveaux pour les maires face aux occupations illicites
Le second chapitre de la proposition de loi - "Moderniser les procédures d'évacuation des stationnements illicites" - renforce les possibilités données aux maires à l'encontre des occupations illégales de l'espace public. Le texte réécrit notamment l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, en précisant qu'une commune remplissant ses obligations en matière d'accueil des gens du voyage est en droit d'interdire et, surtout, d'évacuer les campements illicites. Cette possibilité vaut aussi sur le territoire d'un EPCI qui a décidé, sans y être tenu, de contribuer au financement d'une aire ou de terrains d'accueil sur le territoire d'un autre EPCI.
En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté municipal, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé - mais aussi désormais le président de l'EPCI - peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. Aujourd'hui, cette mise en demeure "ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques". La proposition de loi étend cette possibilité de mise en demeure aux cas où le stationnement illicite est "de nature à porter une atteinte d'une exceptionnelle gravité au droit de propriété, à la liberté d'aller et venir, à la liberté du commerce et de l'industrie ou à la continuité du service public". Une double définition qui couvre quasiment tous les cas de figure.
Des sanctions renforcées
Autre durcissement : le texte prévoit, sous réserve des compétences de la justice administrative, qu'en cas d'occupation illicite, malgré l'arrêté municipal, d'un terrain public ou privé, "le propriétaire ou le titulaire d'un droit réel d'usage sur le terrain peut saisir le président du tribunal de grande instance aux fins d'ordonner, sur requête ou en référé, l'évacuation forcée des résidences mobiles". La condition d'urgence est alors présumée remplie.
Le dernier chapitre de la proposition de loi renforce les sanctions pénales à l'encontre des occupations illicites. Il porte ainsi l'amende de 3.750 à 7.500 euros, la peine de six moins d'emprisonnement - jamais appliquée - restant inchangée. Il introduit également un article supplémentaire dans le Code pénal sanctionnant de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende le fait "de commettre, de façon habituelle," le délit d'occupation illicite.
Enfin, le texte ajoute deux nouvelles sanctions à celles prévues par le Code pénal à l'encontre des auteurs de destructions, dégradations ou détériorations. Elles visent spécifiquement les faits commis dans le cadre d'une occupation illicite. Il s'agit en l'occurrence de la suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire et de la confiscation du ou des véhicules automobiles utilisés pour commettre l'infraction.
Quel sort pour la proposition de loi ?
La proposition de loi a été largement adoptée par les sénateurs, par 207 voix pour et 126 contre. Se pose donc maintenant la question de la suite de son parcours législatif et de son éventuelle adoption finale. Un indice apparaît dans la répartition des votes. Si les groupes LR, Union centriste et Les Indépendants-République et Territoires (anciens membres du groupe LR ayant choisi de soutenir le gouvernement) ont voté pour, les 21 sénateurs du groupe LREM ont voté contre (ou se sont abstenus pour l'un d'entre eux), de même que l'ensemble des groupes de gauche.
Pour sa part, Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur - qui représentait le gouvernement - s'est montrée nettement réservée sur le texte, sans se dire ouvertement hostile. Elle s'est demandée si "moins d'un an après l'entrée en vigueur de la loi Citoyenneté, [il fallait] remettre en question les mesures qui concernent les gens du voyage". Tout en reconnaissant qu'"au cours de 2017, la Haute-Savoie [département des deux auteurs de la proposition de loi] a été confrontée à des installations illicites qui ont provoqué des tensions vives avec les agriculteurs et la population, créant un climat délétère, facilitant l'amalgame entre ces pratiques frauduleuses et l'ensemble des gens du voyage", la ministre a indiqué que "le gouvernement souhaite une approche équilibrée de la question, dans la sérénité".
Il reste maintenant à savoir quand le texte sera inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et si les députés LREM suivront la position de leurs collèges du Sénat, alors que le projet de loi est porté par L'UC et LIRT, également membres de la majorité. Le groupe LR n'ayant pas les moyens de peser sur le texte à l'Assemblée, une solution de compromis pourrait résider dans un rééquilibrage du texte, en réduisant la place de l'approche très répressive au profit de quelques dispositions plus incitatives.
En attendant, dans un communiqué du 31 octobre, le groupe Union centriste du Sénat se réjouit de l'adoption du texte en première lecture. Il souhaite maintenant "que ce texte qui a rassemblé des élus de toutes les sensibilités soit examiné dans les meilleurs délais par l'Assemblée nationale".
Référence : Sénat, proposition de loi relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites (adoptée en première lecture par le Sénat, le 31 octobre 2017).