Zéro artificialisation nette : un brouillard qui ne se dissipe pas
Alors que le vote en séance publique par le Sénat de sa proposition de loi zéro artificialisation nette (ZAN) approche à grands pas, les auditions des associations d’élus n’auront guère éclairé la voie des promoteurs du texte. Refonte du calendrier, modalités de prise en compte des grands projets, gouvernance, droit à l’hectare… autant de "points durs" qui ne font guère consensus.
Alors que la proposition de loi sénatoriale sur le zéro artificialisation nette (ZAN) doit être examinée en séance publique le 14 mars prochain au palais du Luxembourg, les auditions des associations d’élus conduites ce 28 février n’auront guère éclairé les promoteurs du texte. Peu de dispositions semblent à ce stade faire consensus, à commencer par les plus emblématiques d’entre elles. Et ce parfois même au sein d’une même association.
Des grands projets toujours dans les limbes
La position de l’Association des maires de France (AMF) sur la prise en compte des grands projets d’envergure nationale et européenne aura particulièrement décontenancé les sénateurs, qui la jugent nébuleuse. "Il n’y en a pas un qui raconte la même chose", tance le rapporteur Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse, LR), qui peine de plus en plus à dissimuler son désabusement. Le fait que l’AMF n’ait été représentée qu’en visio n’a pas aidé. "Je trouve totalement baroque que pour une audition de cette importance, l’AMF ne soit pas [physiquement] présente", s’indigne le sénateur Jean-Raymond Hugonet (Essonne, LR). "Extrêmement déçu de la position de l’AMF", le sénateur Jean-Marc Boyer (Puy-de-Dôme, LR) a même demandé l’audition de son président "en personne".
Sur le fond, l’AMF semble toujours prôner de "sortir ces projets du décompte du ZAN". Mais anticipant l’impasse, elle serait favorable, comme solution de repli, à une péréquation à l’échelle nationale, ce qui semble la solution la plus communément acceptable. Même si la Fédération des SCoT, représentée par Françoise Rossignol, espère encore que l’État "s’appliquera à lui-même" les efforts qu’il entend imposer aux autres ou qu’Intercommunalités de France, par la voix de Sébastien Miossec, indique "ne pas avoir de position arrêtée sur le sujet". Les différents élus s’accordent au moins sur un point : la nécessité de savoir rapidement de quoi on parle. Sébastien Gouttebel, représentant l’Association des maires ruraux (AMRF), alerte ainsi sur "l’inquiétude" de ces derniers "face à l’incertitude".
Refonte du calendrier : mieux vaut jamais que tard ?
Autre sujet de discorde, la refonte du calendrier. Si l’AMF se réjouit de la prise en compte "d’un élément de réalité" et juge "indispensable" de décaler l’ensemble des calendriers, Sébastien Miossec se fait plus réservé, soulignant là encore le "besoin d’y voir clair le plus vite possible". Sébastien Gouttebel pointe de même le risque "d’enchaînement en cascade des délais", tout en attirant l’attention sur "le coût de la revoyure de nombre de documents". Résigné, le sénateur Cédric Vial (Savoie, LR) observe qu'"on a l’impression que cette proposition de loi, c’est un peu comme des médecins qui se penchent autour d’un patient pour le sauver alors qu’il est déjà mort. On va mettre en place des prescriptions à partir de 2028, […] alors qu’on aura déjà couvert 80% de la période. Une fois qu’on aura changé tous les Scot et tous les PLU en un an – parce qu’on y arrivera en un an, c’est évident –, est-ce qu’il y aura encore un PLU où l’on pourra construire un m2 avant 2030 ?", fait-il ainsi mine de s’interroger.
Gouvernance introuvable
Côté gouvernance, les conférences régionales du ZAN proposées par le Sénat ne font pas non plus l’unanimité. Sébastien Miossec juge le texte proposé "pas adapté" aux différentes situations, et propose de laisser les collectivités décider dans chaque région des modalités de leur représentation, en soulignant que les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) restent les seules instances "légitimes" (sauf si la loi en institue une autre), même s’il concède "qu’elles ne marchent pas partout". L’AMF s’en tient pour sa part à sa double proposition de pérenniser les conférences régionales des SCoT, "élargies dans leurs espaces de discussion", et de rouvrir la saisine des commissions de conciliation des documents d’urbanisme aux communes et intercommunalités compétentes.
Le droit à l’hectare ne séduit pas…
Le droit à l’hectare proposé par le Sénat pour chaque commune semble, lui, mort-né. On sait que le gouvernement y est clairement hostile, lui préférant un droit à "1%" de la surface urbanisée de la commune, et pour les seules communes rurales peu ou très peu denses (position reprise sans surprise par le groupe Renaissance de l’Assemblée nationale dans sa propre proposition de loi sur le ZAN). Et aucune des associations auditionnées ne l’a défendu. La Fédération des SCoT est opposée "au côté mécanique et artificiel d’une égalité apparente", l’AMF plaide pour que seules les communes placées en zone de revitalisation rurale puissent bénéficier d’une enveloppe spécifique au niveau du SCoT et Intercommunalités de France préfère s’en remettre aux PLUi. Plus largement, on relèvera qu’alors que la Fédération des SCoT appelle à "ne pas pénaliser les territoires dynamiques qui ont besoin de consommer du foncier", l’AMRF souligne "l’importance du rééquilibrage territorial" et plaide pour "le droit à la vie" des territoires vertueux, alors que l’État a selon l’association "tendance à privilégier les territoires en expansion, au risque de mettre les autres territoires sous cloche".
… mais les sénateurs ne sont pas prêts à rendre les armes
Les sénateurs entendent bien livrer bataille. "La loi doit renforcer le rôle des communes", affirme le sénateur Jean-Marc Boyer, qui dénonce la "démarche descendante" en vigueur. Il insiste : "La garantie rurale est essentielle […]. Le maire doit garder l’initiative du développement de sa commune, le droit au projet", évoquant à défaut le risque de démobilisation des maires de petites communes "qui ne vont déjà pratiquement plus en réunion d’interco". "C’est leur manière de dire qu’ils ne s’y retrouvent pas", décrypte le sénateur Patrice Joly, qui dénonce à son tour "un certain nombre de documents normatifs, les Sraddet, les SCoT, les PLUi, le RNU appliqué très strictement, qui ont un problème de légitimité, de compréhension, souvent appropriés par quelques élus seulement, et donc d’acceptabilité". Et d’attirer l’attention sur "la traduction politique" de ces mouvements, "que l’on a vu ces dernières années et que l’on risque malheureusement de voir se renforcer dans les années qui viennent". Le sénateur Jean-Raymond Hugonet se fait plus grave encore : "La commune est une collectivité de plein exercice. Elle ne pourra jamais être mise à l’écart sur la base de comités Théodule, de conférences de ceci, d’institutions de cela. Si nous bypassons les communes, c’est le socle de notre République qui est clairement en jeu."
Zones d’ombre
Les débats ont par ailleurs une nouvelle fois mis en lumière les multiples zones d’ombre qui entravent une réflexion réellement éclairée. Ainsi, par exemple, des friches, "un sujet énorme sur lequel il n’y a pas beaucoup de transparence". "On sait juste qu’il y a 200.000 hectares a priori", déplore le rapporteur Jean-Baptiste Blanc. "Un vrai potentiel, mais qui est fini", qui ne peut être qu’une "solution de transition", souligne par ailleurs Sébastien Miossec. Et d’ajouter : "Si le ZAN existe vraiment un jour – la question reste ouverte –, une fois qu’on aura consommé toutes les potentialités, il ne restera plus grand chose". CQFD.
Autre exemple, celui des zones couvertes ou non par un SCoT. Côté AMRF, on évoque "30% du territoire non couvert par un SCoT", quand la Fédération des SCoT avance que "86% des communes et 97% de la population font partie d’un SCoT". Vérification faite, ces derniers chiffres ont été publiés le 30 mai dernier par le ministère de la Transition écologique. Ce dernier évoque précisément "97% de la population couverte par un SCoT opposable ou en cours", "86% des communes couvertes par un SCoT en vigueur ou en cours", et y ajoute un "75% des communes couvertes par un SCoT concernées par un SCoT opposable".