Zéro artificialisation nette : le Sénat dévoile sa proposition de loi
Le Sénat a présenté ce 14 décembre sa proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN). La Chambre Haute propose notamment de repousser d’un an l’entrée en vigueur des différents documents de planification - Sraddet, PLU...-, de transformer les conférences de SCoT en conférences régionales des ZAN, à la composition élargie et aux missions renforcées, d’instaurer pour chaque commune un "droit à l’hectare", de comptabiliser séparément les projets d’envergure nationale ou encore d’instaurer un sursis à statuer et un droit de préemption "ZAN" pour les communes et EPCI.
Comme annoncé (voir notre article du 8 décembre), la mission conjointe de contrôle du Sénat relative à la mise en application du zéro artificialisation nette des sols (ZAN) a présenté ce 14 décembre sa proposition de loi visant à faciliter l'application de cet objectif inscrit dans la loi Climat et Résilience. "La plus grande préoccupation des élus locaux en ce moment", estime Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse, LR), rapporteur de la mission.
La proposition ne remet pas en cause l’objectif – "il ne s’agit nullement de sortir du ZAN", précise l’élu. Ses auteurs se plaisent même à indiquer dans l’exposé des motifs que "grâce aux efforts de sobriété foncière menés par les collectivités territoriales (…), la décennie 2010-2020 a marqué une diminution progressive des surfaces artificialisées, passant d’environ 31.000 hectares à 20.000 hectares annuels environ". Ils indiquent vouloir même "revenir à l’esprit de la loi", en reprenant "les modifications que l’État et les régions ont essayé d’imposer contrairement à l’esprit de cette dernière", relève Jean-Baptiste Blanc.
Des textes incomplets, inadaptés voire incohérents avec la loi, un calendrier intenable, des manques
De manière générale, les sénateurs déplorent qu’en l’état des textes et des pratiques, "les collectivités se heurtent à plusieurs difficultés".
• D’abord, une partie des décrets d’application – il est rappelé qu’ils ont fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État dont l’issue n’est pas encore connue – se révèlent "au mieux incomplets ou inadaptés, au pire incohérents avec les dispositions prévues par la loi", estiment les sénateurs. Ainsi du rôle et de la portée des documents régionaux, "considérablement renforcés par les textes réglementaires", ou de la nomenclature, "inapplicable par les collectivités". Des textes "dont le gouvernement a convenu qu’ils devaient être corrigés, mais ces corrections ne viennent pas", souligne Valérie Létard (UC-Nord), présidente de la mission. Or, insiste-t-elle, "il est impératif de sortir de ce flou qui empêche les collectivités de conduire le travail". D’autant que, souligne Jean-Baptiste Blanc, "nulle part les préfets n’ont apporté les informations et l’ingénierie nécessaires" aux collectivités pour conduire les travaux.
• Ensuite, un calendrier "intenable" – qui prévoit une révision des schémas régionaux de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) et autres documents régionaux avant février 2024, ce qui implique "de poser le crayon" d’ici le printemps, relève Valérie Létard. Et ce, alors que les conférences des ScoT n’ont rendu leurs propositions qu’à la fin d’octobre.
• S’y ajoute une architecture institutionnelle qui doit être ajustée, le "chef de filât" confié à la région pouvant "laisser craindre, dans certains territoires, une association insuffisante des communes et intercommunalités".
• Enfin, certains outils font défaut, alors que "cette révolution de l’urbanisme et de l’aménagement aura des conséquences profondes sur la disponibilité foncière et donc les prix fonciers, sur la construction de logements, sur le financement des opérations d’aménagement portées par les pouvoirs publics, ou même sur la fiscalité locale".
Le Sénat propose en conséquence plusieurs dispositions visant à revoir la gouvernance de la lutte contre l’artificialisation des sols, à "accompagner la réalisation des projets structurants de demain", à mieux prendre en compte les spécificités du territoire et à prévoir de nouveaux outils pour faciliter la transition.
Favoriser le dialogue territorial et renforcer la gouvernance décentralisée
Le Sénat propose d’abord de repousser d’un an la date d’entrée en vigueur des documents régionaux, et en cascade celle relative aux ScoT, plans locaux d'urbanisme (PLU) et cartes communales. En parallèle, "pour laisser davantage de temps au dialogue territorial", il propose de réduire de trois à un mois le délai laissé au préfet pour approuver le Sraddet et d’autoriser la tenue simultanée de la consultation du public et celle des personnes publiques associées.
Pour "restaurer l’esprit de la loi" et rendre aux collectivités territoriales la souplesse nécessaire, les sénateurs proposent que les règles des documents régionaux s’appliquent aux documents locaux "dans un rapport de prise en compte, et non de compatibilité". Ils proposent également que la région devra justifier la manière dont elle a tenu compte des observations et propositions du bloc communal qui lui ont été transmises.
Les sénateurs entendent également instaurer une gouvernance décentralisée du ZAN, en transformant les conférences des SCoT en conférences régionales des ZAN, où la représentation des élus communaux, intercommunaux et départementaux sera "améliorée". Ces conférences devront se réunir au moins annuellement et assurer un suivi de la mise en œuvre du ZAN, mais aussi émettre des avis en cas d’évolution des objectifs régionaux et de leur répartition et participer à l’identification des grands projets d’ampleur nationale.
Accompagner la réalisation des projets structurants de demain
Sujet de discorde, les sénateurs proposent de comptabiliser séparément les projets d’envergure nationale. "Ces projets représentent aujourd’hui 25.000 hectares, sur une enveloppe disponible de 125.000 hectares", précise Jean-Baptiste Blanc. "Sans purger cette question, une région comme les Hauts-de-France n’aurait que de 7 à 10 hectares par Scot et par an à artificialiser", met en relief Valérie Létard, qui insiste : "L’État doit être mis face à ses responsabilités". Comme vu précédemment, les nouvelles conférences régionales des ZAN se prononceraient sur la qualification de ces projets. " Aujourd’hui, une prison n’est pas considérée comme un projet d’intérêt national", prend ainsi exemple Jean-Baptiste Blanc.
Mieux prendre en compte les spécificités du territoire
Les sénateurs proposent de mieux prendre en compte les efforts passés dans le cadre de la répartition de l’effort. Mesure phare, ils proposent d’instaurer "un droit à l’hectare" : "Chaque commune aura droit à un hectare minimum pour se développer, un filet de sécurité pour éviter le gel du développement des petites communes rurales qui sont peu artificialisées", explique Jean-Baptiste Blanc.
Est également proposée la mise en place d’une "réserve à projets" – entendre une part réservée avant la répartition de l’enveloppe qui pourra être appelée au fil de l’eau par les communes et EPCI porteurs de projets d’intérêt de territoire, afin de compléter leurs droits propres.
Pour éviter tout malentendu réglementaire, les sénateurs proposent que la loi dispose explicitement que les surfaces végétalisées à usage résidentiel, secondaire ou tertiaire (jardins particuliers, parcs, pelouses…) soient considérées comme non artificialisées.
De même, afin de ne pas faire subir une double pleine aux territoires frappés par le recul du trait de côte, les sénateurs proposent, d’une part, de décompter les parcelles rendues inutilisables et de les compter comme de la renaturation, et, d’autre part, que les projets visant à relocaliser les constructions sur des zones menacées ne soient pas comptabilisés au regard de l’artificialisation.
De nouveaux outils pour faciliter la transition vers le ZAN
Les sénateurs proposent deux principaux outils pour permettre aux élus de reprendre leur destin en main. D’abord, l’institution d’un sursis à statuer spécifique, permettant à la commune ou l’EPCI de suspendre l’octroi d’un permis qui contreviendrait aux objectifs ZAN dans l’attente de la finalisation du dispositif. Ensuite, l’ouverture d’un droit de préemption des communes et EPCI sur des terrains présentant de forts enjeux en matière de recyclage foncier ou de renaturation, notamment afin de faire obstacle à la spéculation foncière et "aux ruées vers les friches", selon les termes de Valérie Létard.
Les sénateurs préconisent également que les efforts de renaturation conduits depuis l’adoption de loi Climat et Résilience soient pris en compte, position qu’a déjà exprimée le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu (voir notre article du 15 septembre).
Afin d’inciter l’État à établir et transmettre rapidement aux collectivités des données fiables et complètes sur l’artificialisation des sols et la consommation d’espace, les sénateurs proposent qu’à défaut de mise à disposition numérique et gratuite des données dans un délai de six mois, les collectivités pourront utiliser les données locales dont elles disposent.
Les sénateurs espèrent que leur proposition de loi pourra être examinée "au cours de la dernière semaine de février 2023" au Palais du Luxembourg, en formant le vœu que l’Assemblée nationale et le gouvernement faciliteront la démarche. Enfin, estimant que la réussite du ZAN ne pourra se faire sans "réinventer la fiscalité locale (position notamment défendue par la directrice de la fédération nationale des SCoT – voir notre article du 18 octobre), la mission conjointe du Sénat présentera dans un second temps de nouvelles propositions en la matière.
L’AMF fait aussi ses propositionsDéplorant elle aussi qu’aucune initiative gouvernementale n’ait été engagée en dépit de l’imperfection du dispositif et de l’urgence au vu des échéances légales, l’Association des maires de France vient de formuler à son tour 20 propositions pour surmonter les difficultés d’application du ZAN, dont plusieurs rejoignent les propositions sénatoriales (transformation des conférences des SCoT en instances de concertation locale sur le ZAN, comptabilisation séparée des projets d’envergure nationale, prise en compte de la renaturation dès la période 2021-2031, etc.) . "Outre les délais intenables fixés par la loi, le flou juridique autour du ZAN va générer un contentieux important et nous empêcher d’atteindre les objectifs de maîtrise de l’artificialisation des sols, auxquels les maires souscrivent pourtant avec la volonté de pouvoir agir de façon pragmatique. Il faut donc clarifier le dispositif, en évitant toute tutelle d’une collectivité sur une autre", affirme son président, David Lisnard. |