Archives

Vincent Léna : "2020 sera l'année de la concrétisation opérationnelle des cités éducatives"

Instituées par une circulaire du 13 février 2019, les cités éducatives visent à intensifier les prises en charge éducatives des jeunes de 0 à 25 ans en s'appuyant sur l'alliance de tous les acteurs éducatifs travaillant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. 80 cités éducatives ont été labellisées en septembre. Quelques jours après la deuxième réunion de son comité national d’orientation et d’évaluation, Vincent Léna, coordonnateur national de ce programme interministériel, fait le point pour Localtis. 

Localtis : Pouvez-vous rappeler aux lecteurs de Localtis ce qui fait l'originalité du dispositif des cités éducatives ?

Vincent Léna : La première originalité tient à  la place centrale de l’Education nationale dans un programme impulsé par la politique de la ville, symbolisé par l’engagement personnel des ministres Julien Denormandie et Jean-Michel Blanquer, avec des moyens humains et financiers importants mobilisés en particulier par l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). La deuxième originalité tient au caractère fortement territorialisé et partenarial, à l’image de Grigny (Essonne) qui a inspiré comme d’autres sites l’expérimentation proposée dans le rapport Borloo [sur les quartiers prioritaires, publié en 2018, ndlr] et dans la mobilisation gouvernementale pour les habitants des quartiers prioritaires. C’est donc avant tout 80 projets territoriaux et partenariaux, qui partagent des objectifs nationaux mais les déclinent différemment en fonction de leur histoire, de leurs priorités, des ressources présentes. Enfin, la dernière originalité tient au fait qu’il ne s’agit précisément pas d’un dispositif. Ce n’est pas une nouvelle couche, avec sa comitologie et ses procédures, qui viendrait se superposer à d’autres (REP, PRE, contrat de ville, PEdT, etc.), mais bien une ambition collective, une démarche englobante, qui permet aux acteurs de mobiliser l’existant et d’innover, pour dépasser les limites rencontrées jusque-là.

80 cités éducatives ont été labellisées en septembre dernier. Pouvez-vous en dresser un portrait-type selon le type d'acteurs qui les composent d'une part, selon le type d'actions prioritaires qui se dégagent des projets labellisés d'autre part ?

Il n’y a pas de portrait-type, mais chaque cité éducative s’organise autour d’une "cabine de pilotage" composée a minima du chef d’établissement du collège chef de file, d’un directeur général adjoint de la commune et d’un délégué du préfet. Cette "troïka" d’acteurs est complétée chaque fois que possible avec des représentants du département, de l’agglomération, de la CAF, etc. Les cités éducatives ont toutes l’ambition de conforter le rôle de l’école, de promouvoir la continuité éducative, ainsi que l’ouverture du champ des possibles aux 0-25 ans des quartiers concernés. Mais certaines orientent leurs actions vers des priorités spécifiques, comme par exemple les 0-3 ans, ou au contraire les 16-18 ans, ou encore les périodes de transition à l’entrée du collège ou en poursuite d’études. D’autres insistent sur quelques leviers spécifiques, comme l’innovation pédagogique, le sport, l’éducation artistique et culturelle, la pensée critique ou l’égalité filles-garçons. C’est un véritable laboratoire à "haute qualité éducative", déployé dans les 80 plus grands quartiers sans mixité, mais qui va inspirer de nombreux territoires confrontés à un défi éducatif.

Vous avez tenu le 29 janvier la deuxième réunion de votre comité national d’orientation et d’évaluation. A cette occasion, vous avez auditionné les acteurs du territoire. Que vous ont-ils dit ?

Les principaux acteurs de la cité éducative de Gennevilliers, particulièrement ambitieuse, ont en effet pu échanger avec les membres du comité d’évaluation qui se sont particulièrement intéressés à la gouvernance et aux objectifs en matière d’accompagnement éducatif autour du collège : devoirs faits, soutien scolaire en milieu associatif. L’un des enjeux est de mieux comprendre les prérequis des enseignements scolaires pour que les acteurs du périscolaire puissent mieux appuyer les jeunes et leurs familles.

La participation financière des collectivités est attendue pour permettre un "effet levier" en plus de la participation de l'Etat à hauteur de 100 millions d'euros. Les collectivités ont-elles commencé à déployer des moyens financiers ?

Les budgets prévisionnels ont été construits à marche forcée et sans que tous les partenaires des actions aient pu encore être sollicités (départements, agglomérations, régions, CAF, ARS, PIC, stratégie pauvreté…), mais on peut d’ores et déjà noter un engagement fort des communes. C’est d’ailleurs un marqueur fort d’ambition, en dépit de moyens budgétaires parfois limités. L’effet levier visé est d’au moins 100% mais je pense que nous serons largement au-delà en mobilisant toutes les politiques de droit commun, à l’exemple de l’Anru qui insiste sur l’importance de l’enjeu éducatif dans les stratégies de renouvellement urbain qu’elle finance dans les quartiers concernés.

Des obstacles se présentent-ils aujourd'hui devant la mise en place des cités éducatives ?

Plutôt que d’obstacles, je parlerai de risques à éviter. Il faut lutter contre la tendance à en faire un dispositif supplémentaire, contre le cloisonnement des acteurs, contre la comitologie chronophage, contre le saupoudrage des moyens. Il faut donc construire une culture commune aux acteurs, à travers des projets transversaux concrets ou des formations interpartenaires. Viser le long terme tout en recherchant de premiers résultats encourageants à court terme. Et ouvrir le jeu largement pour que l’ensemble du corps social, parents et jeunes en tête, soit garant de l’esprit de la cité éducative. 

Selon vous, sur quoi reposera la réussite des cités éducatives ?

Ma conviction est que la réussite tiendra surtout à deux facteurs : la rigueur de la méthode (diagnostic, pilotage, implication des acteurs, suivi, correction de trajectoire si nécessaire, évaluation) et la transparence de la démarche, qui doit mobiliser le plus largement possible les parents, premiers éducateurs, mais plus largement tous les acteurs du quartier et au-delà ceux qui veulent participer à une grande "alliance éducative". Ce dessein collectif permettra de donner pleinement vie à nos valeurs républicaines et au vivre ensemble, à l’image du fameux proverbe : "Il faut tout un village pour faire grandir un enfant".

De quoi l'année 2020 sera-t-elle faite pour les cités éducatives ?

L’année 2020 sera celle de la concrétisation opérationnelle des cités éducatives, avec de premiers projets emblématiques et une implication forte des associations locales et des autres partenaires des cités éducatives (institutions culturelles ou sportives, réseaux d’éducation populaire, fondations, entreprises…). C’est l’éclosion d’un véritable "écosystème éducatif" là où n’existait avant trop souvent que des forces éparses. 2020 sera aussi la naissance de "familles de cités éducatives" qui travaillent sur les mêmes priorités et peuvent échanger entre elles ou solliciter un accompagnement renforcé du niveau national pour aller encore plus loin. Une plateforme numérique, en lien avec le réseau Canopé et les centres de ressources de la politique de la ville, permettra de faciliter ces échanges transversaux et d’essaimer les meilleures initiatives sur d’autres territoires.