Finances locales - Vers un "big bang" des règles comptables des collectivités ?
Localtis : Quel regard portez-vous sur la comptabilité du secteur public local ?
Marie-Pierre Calmel : Il y a une vingtaine d'années, le secteur local a été pionnier en mettant en place un système innovant et moderne de règles comptables et budgétaires. Ce système est robuste au regard de la loi. Mais, nous nous rendons compte aujourd'hui de l'existence de nombreuses incohérences. La règle de l'équilibre budgétaire qui a été établie pour le secteur local n'est pas étrangère à cela. Certes, ce principe est vertueux. Mais il a eu un corollaire : les outils de gestion ont été détournés de leur objectif initial. A titre d'exemple, les collectivités inscrivent à leur budget très peu de provisions pour risques. Ou encore, les petites communes n'amortissent pas leur patrimoine. Leurs comptes n'anticipent pas non plus le changement d'un véhicule du parc automobile. Aujourd'hui, le système comptable du secteur local a pour principal défaut de prévoir des règles similaires pour les petites et les grandes structures, alors que les petites communes pourraient très bien fonctionner avec des règles simplifiées. Une autre difficulté vient du manque de lisibilité des documents budgétaires et comptables. Il faudrait parvenir à une information plus simple et synthétique. Cela permettrait aux élus de s'approprier les budgets et les comptes. Ce constat est unanimement partagé par les membres du conseil de normalisation, au sein duquel les associations d'élus locaux sont représentées.
Qu'en est-il de l'Etat par rapport aux collectivités ?
L'Etat a rattrapé son retard : la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, dite "Lolf", a été la source d'une grande modernisation. Ces règles qui s'appliquent à la comptabilité de l'Etat sont, globalement, aussi celles qui sont en vigueur pour les établissements publics nationaux et la Sécurité sociale. Le décret du 7 novembre dernier, qui est relatif à la gestion budgétaire et comptable publique conforte cette ambition. La comptabilité locale reste en revanche très spécifique. De ce fait, nous ne pouvons établir des règles transversales à l'ensemble du secteur public. Le conseil de normalisation des comptes publics a été créé précisément pour définir les règles d'une approche harmonisée et homogène de l'ensemble des comptes publics. D'où la réflexion que nous menons sur les comptes et les budgets locaux.
Les élus locaux sont très attachés au principe de libre administration. Toute évolution de la comptabilité locale devra prendre en compte ce principe constitutionnel.
Nous serons très attentifs au principe de libre administration des collectivités locales. Nous n'imaginons pas non plus de remettre en cause le principe de l'équilibre budgétaire. Mais nous allons aussi regarder de très près les évolutions de la normalisation comptable internationale. Or, de gros changements sont à attendre de ce côté. Après "l'affaire" des comptes publics de la Grèce, qui n'étaient pas fiables, la commission européenne est poussée à considérer qu'il faudra un système de reporting unifié pour l'ensemble du secteur public européen. Les Etats membres de l'Union devront donc adopter des normes comptables internationales, voire des normes européennes. Or, elles seront forcément empreintes de l'esprit anglo-saxon et, donc, à mille lieues du système budgétaire et comptable en vigueur dans le secteur local. La règle de l'équilibre budgétaire n'est, par exemple, pas du tout dans l'esprit des Anglo-Saxons. Une véritable épée de Damoclès est donc suspendue au-dessus de la tête de nos décideurs publics. Pour les comptes de l'Etat et ceux des établissements publics nationaux, le passage à des normes européennes n'entraînerait certes pas de changement fondamental. Mais pour le secteur local, ce serait un big bang. La "M 14" telle qu'on la connaît aujourd'hui ne va pas pouvoir durer ad vitam aeternam.
Le Conseil de normalisation va-t-il rendre un avis sur l'évolution possible des règles budgétaires et comptables du secteur local ?
Le Conseil de normalisation est légitime sur tous les sujets liés à la rationalisation comptable. Mais nous ne pourrons rendre un avis sur un tel sujet. Toute avancée nécessitera l'intervention du gouvernement et du Parlement. Ce travail prendra du temps. L'idée de faire évoluer la nomenclature budgétaire et comptable doit d'abord continuer à mûrir. Pour des administrations qui ont travaillé avec la même méthode pendant des années, ce n'est pas simple de prendre un virage à 180 degrés.