Véhicules électriques chinois : la Commission européenne passe à l’offensive

Estimant – provisoirement – que les véhicules électriques chinois bénéficient de subventions déloyales, la Commission a pris contact avec les autorités chinoises et menace d’introduire des droits compensateurs à défaut d’accord.

Alors que les constructeurs automobiles européens redoutent un déferlement des véhicules électriques chinois sur le marché européen (voir notre article du 6 juin), la Commission européenne a décidé de montrer les dents.

Instauration de droits de douane compensateurs faute d’accord

Concluant "provisoirement" – dans le cadre de sa procédure antisubventions ouverte depuis le 4 octobre dernier de sa propre initiative – que les véhicules électriques à batterie chinois bénéficient de subventions déloyales, la Commission a pris contact avec les autorités chinoises pour "résoudre les problèmes identifiés, d’une manière compatible avec les règles de l’OMC". Et prévient d’emblée que si ces discussions n’aboutissent pas, des droits compensateurs provisoires seront introduits à compter du 4 juillet. Ces derniers ne seraient toutefois perçus qu’en cas d’institution de droits définitifs. Les Vingt-Sept ont quatre mois pour passer ce cap, ce qui ne sera pas chose aisée, certains États membres, dont l’Allemagne, n’y étant a priori guère favorables. 

Ces droits s’appliqueraient aux trois constructeurs chinois visés pour l’heure par Bruxelles – BYD (qui se verrait appliquer un taux de 17,4%), Geely (20%) et SAIC (38,1%) –, mais aussi à tous les autres constructeurs qui n’ont pas été initialement retenus dans l’échantillon de la Commission. Avec un taux de 38,1% pour ceux n’ayant pas coopéré à l’enquête, et de 21% pour ceux qui y auront collaboré. Une petite révolution pour les uns, qui reste bien terne pour les autres, en relevant que les États-Unis ont récemment décidé le relèvement de 25 à 100% de leurs droits de douane sur les véhicules électriques chinois.

Un cinquième des véhicules électriques vendus en 2023 dans l’UE d’origine chinoise

L’association pro-mobilité propre T&E relevait en mars dernier qu’un véhicule électrique sur cinq vendus en Europe en 2023 avait été fabriqué en Chine. "En grande partie des voitures Tesla, Dacia et BMW", précisait-elle. Un taux qui pourrait selon elle atteindre le quart dès cette année. Plus encore, T&E prévoit que les marques chinoises pourraient absorber 11% du marché européen cette année, et 20% en 2027. L’association estime qu’une augmentation des droits de douane sur les importations de véhicules chinois rendrait les berlines et les SUV de taille moyenne plus chers que leurs équivalents européens, "ce qui plaiderait pour leur fabrication dans l’UE". Les SUV compacts et les voitures plus grandes importés resteraient, eux, légèrement moins chers. 

Des droits de douane nécessaires, mais insuffisants ?

"Les tarifs douaniers ne protégeront pas les constructeurs automobiles historiques pour longtemps. Les entreprises chinoises construiront des usines en Europe et lorsque cela se produira, notre industrie automobile devra être prête", alerte toutefois Julia Poliscanova, de T&E. Une étude du groupe Rhodium de février dernier soulignait ainsi que "l’investissement étranger direct sortant" chinois dans les industries liées aux véhicules électriques est susceptible d’avoir établi "un nouveau record en 2023", et que ces investissements se sont "éloignés de l’Amérique du Nord pour aller vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et l’Asie". Et les auteurs de l’étude de relever : "En plus de se rapprocher de la demande finale pour des raisons commerciales, les constructeurs automobiles chinois sont également attirés par les incitations politiques. BYD a annoncé un nouvel investissement en Europe dans le cadre de l'enquête de l'UE sur les importations de véhicules électriques en Chine. La production en Europe permettrait à BYD de contourner les droits compensateurs imminents."

L’enjeu crucial des batteries

Julia Poliscanova insiste ainsi sur la nécessité pour l’UE de mettre en place une politique favorable à la production de batteries européennes, "également en danger car celles fabriquées en Chine sont au moins 20% moins chères, et les fabricants chinois sont en avance sur la technologie et les chaînes d’approvisionnement". Une course aux batteries que l’Europe pourrait perdre – c’est le cas pour l’heure –, alertait l’an passé la Cour des comptes européenne (voir notre article du 3 juillet 2023). Face à la Chine, mais aussi face aux États-Unis. Julia Poliscanova souligne que ces derniers sont très attractifs pour ce secteur, en raison de "généreuses subventions". Une autre étude récente de T&E relevait que 37% (soit 97 milliards d’euros, dont deux tiers en provenance de producteurs étrangers) des investissements mondiaux en matière de véhicules électriques (incluant les batteries) annoncés entre 2021 et 2023 sont allés vers les États-Unis, le Canada et le Mexique, "bien que la région soit un petit producteur de voitures". L’Europe aurait attiré 26% de la somme (70 milliards d’euros, dont 26 vers le Royaume-Uni, 13 vers l’Allemagne et 10 vers l’Espagne) et la Chine 19% (51 milliards). 

Julia Poliscanova plaide en conséquence pour que les recettes que tireraient l’UE de ces nouveaux droits de douane (elle en percevrait les trois quarts) soient allouées au fonds d’innovation de l’UE afin de renforcer la chaîne d’approvisionnement des batteries. Elle insiste également sur la nécessité de maintenir l’interdiction de véhicules thermiques neufs à compter de 2035, "essentiel pour envoyer le bon signal aux constructeurs automobiles".

Dépendance… à la Chine

Reste que, comme le relevait la Cour des comptes européenne dans son rapport sur les batteries, "la Chine est également en position dominante dans les étapes qui interviennent en amont de la chaîne de valeur, notamment la fourniture de plusieurs matières premières et/ou raffinées pour batteries, en particulier le cobalt, le lithium, le nickel et le graphite naturel". La Chine fournirait ainsi 40% du graphite naturel utilisé par l’UE pour les batteries.

 

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