Vaccination et pass sanitaire : ajusté à la marge, le projet de loi arrive tambour battant au Parlement
Le projet de loi intégrant l'obligation vaccinale des soignants et étendant le pass sanitaire a été présenté en conseil des ministres ce lundi soir. Le Conseil d'État a validé l'essentiel de ce texte, retoquant toutefois l'obligation de présenter le pass dans les grands centres commerciaux (le gouvernement compte la maintenir, avec des ajustements) et en minorant les amendes initialement prévues. Une "période de rodage" est envisagées face aux échéances de mercredi pour les lieux de loisirs et de culture et de début août pour les autres lieux concernés. Les parlementaires entendent bien avoir leur mot à dire et certains misent sur le Conseil constitutionnel.
Le projet de loi "relatif à la gestion de la crise sanitaire" intégrant l'obligation vaccinale des soignants et étendant le pass sanitaire a comme prévu été présenté ce lundi 19 juillet au soir en conseil des ministres, avant un examen au pas de charge par le Parlement qui pourrait aboutir dès vendredi.
Ce texte de 11 articles (en lien ci-dessous) doit être examiné ce mardi en commission à l'Assemblée nationale, puis mercredi après-midi dans l'hémicycle. Mercredi dans la matinée, le chef de l'État tiendra un nouveau conseil de défense et le Premier ministre sera ensuite l'invité du 13h de TF1. Jeudi, ce sera au tour du Sénat d'examiner le texte en vue d'une adoption définitive d'ici à la fin de la semaine. Députés et sénateurs pourraient assez rapidement tomber d'accord sur ce projet de loi qui fait l'objet sur ses principes d'une assez large approbation, hormis la France insoumise et le Rassemblement national.
Les débats ne devraient toutefois pas manquer sachant que dans le détail des mesures, des parlementaires de gauche, de droite comme de la majorité présidentielle comptent chercher le meilleur équilibre entre protection de la population et restriction des libertés.
Les 17 députés Insoumis (LFI) ont indiqué lundi leur souhait de saisir le Conseil constitutionnel, évoquant une société "de contrôle qui détruit la confiance" et "divise". Ils ont "adressé une proposition" de saisine "à l'ensemble de leurs collègues de l'Assemblée nationale pour atteindre le nombre nécessaire" (le Conseil constitutionnel peut être saisi à l'initiative de 60 députés ou sénateurs ; une fois saisi, il doit statuer dans un délai d'un mois). Les groupes LR et centriste du Sénat ont déjà annoncé qu'ils saisiraient le Conseil constitutionnel dès l'adoption du projet de loi "pour avoir toutes les garanties possibles".
Députés et sénateurs socialistes se sont quant à eux prononcés lundi soir pour "la vaccination obligatoire" et contre "le pass sanitaire tel que proposé par le gouvernement", pour ne pas que "la moitié de la population contrôle l'autre moitié de la population". Dans un communiqué commun, ces parlementaires indiquent que si le gouvernement maintient l'extension du pass, ils saisiront eux aussi le Conseil constitutionnel. "Face à la progression du variant qui fait peser le risque de reconfinement, il nous paraît important de franchir une nouvelle étape avec la vaccination obligatoire contre le Covid sauf contre-indication médicale. Nous proposons que cette obligation soit progressive et entre en vigueur au 1er octobre", préconisent les groupes PS de l'Assemblée et du Sénat, emmenés par Valérie Rabault et Patrick Kanner. Le gouvernement "veut demander aux restaurateurs, aux cafetiers, aux commerçants ou aux bénévoles qui organisent des manifestations d'assurer des contrôles pour lesquels ce n'est pas leur mission", or "dans toute démocratie, ces contrôles incombent à l'État", jugent-ils.
Les mesures fortes du texte étaient connues : vaccination obligatoire pour les soignants et extension du pass sanitaire (prouvant la vaccination complète, un test négatif récent ou l'immunisation) pour accéder aux trains ou aux bars et restaurants notamment. Elles correspondent aux annonces d'Emmanuel Macron du 12 juillet (voir notre article) et une version provisoire du texte avait depuis circulé – dans laquelle on pouvait constater que le texte demeurait général et exigerait probablement une déclinaison réglementaire (voir notre article). Mais l'une des décisions de l'exécutif doit en principe entrer en vigueur dès ce mercredi 21 juillet : le conditionnement de l'entrée dans tous les "lieux de loisirs et de culture" rassemblant plus de 50 personnes à la présentation d'un pass sanitaire. Cette disposition pourrait donc intervenir par décret, sans attendre la loi. C'est ensuite en principe début août que le pass doit être étendu aux restaurants, cafés, centres commerciaux, établissements médicaux et transports de longue distance. Le porte-parole du gouvernement l'a d'ailleurs confirmé ce lundi soir à l'issue du conseil des ministres : le pass sanitaire entrera bien en vigueur pour les lieux de culture "à partir de mercredi" et pour les restaurants et les bars "à partir de début août, quand la loi sera promulguée".
Le gouvernement prévoit toutefois une "période de rodage" d'une durée limitée, Gabriel Attal évoquant "une semaine" ou "un peu plus", afin d'"accompagner les professionnels" dans la mise en place du pass sanitaire. "Il n'y a aucune envie de piéger personne", a-t-il assuré. "Le pass sanitaire entre en vigueur aux dates qui sont prévues. Simplement au départ, les forces de sécurité mobilisées pour faire les contrôles le feront, non pas pour contrôler et verbaliser les personnes, mais pour les aider, les accompagner", a-t-il insisté.
Dans son avis rendu lundi avant le conseil des ministres, le Conseil d'État a validé l'essentiel du projet de loi. Mais a retoqué l'obligation de présenter le pass sanitaire dans les grands centres commerciaux et a minoré les amendes. Il souligne en effet que la présentation d'un pass sanitaire dans les centres commerciaux est "susceptible de concerner tout particulièrement l'acquisition de biens de première nécessité, notamment alimentaires". Et y voit donc "une atteinte disproportionnée aux libertés", notamment pour les personnes ne pouvant être vaccinées pour des raisons médicales et qui devront donc se faire "tester très régulièrement" pour accéder à ces centres. Par ailleurs, la contravention en cas de premier manquement à l'obligation de contrôle du pass sanitaire a été ramenée à 1.000 euros, au lieu d'une amende de 9.000 euros (et pourra aller "jusqu'à 1.500 euros pour une personne physique et 7.500 euros pour une personne morale", a indiqué lundi Gabriel Attal). Cet assouplissement est le fruit d'échanges entre l'exécutif et le Conseil d'État : la juridiction avait jugé disproportionnée la première version du gouvernement qui a donc revu sa copie par une saisine rectificative. Le Conseil d'État a cependant validé la sanction d'un an de prison et 9.000 euros d'amende en cas de quatre verbalisations dans un délai de 30 jours. Et elle s'élèvera à 45.000 euros pour les personnes morales à partir de la cinquième verbalisation. L'isolement obligatoire de dix jours pour les personnes contaminées, également inscrit dans le projet de loi, a été approuvé par le Conseil d'État. Mais dans son avis, celui-ci "recommande de préciser expressément (...) que les contrôles ne peuvent avoir lieu en période nocturne", le gouvernement retenant ainsi "la borne horaire" de 21h. Et il suggère d'ajouter au projet de loi que l'isolement "cesse de s'appliquer avant l'expiration du délai de dix jours si un nouveau test réalisé fait apparaître que les intéressés ne sont plus positifs".
- Le futur casse-tête des centres commerciaux - "Concrètement, l'article dans le projet de loi prévoit bien l'extension du pass sanitaire pour les centres commerciaux dont la superficie excède un seuil qui sera défini par décret", a indiqué Gabriel Attal, précisant que "la piste de travail" concernait les centres de plus de 20.000 m2. Dans les faits, si à "l'échelle d'un territoire, il y a des commerces qui ne sont pas dans le centre commercial mais qui permettraient d'acheter des produits de premières nécessité, alimentaires ou pharmaceutiques, alors le pass sanitaire pourra s'appliquer dans le centre commercial de ce bassin de vie", a-t-il expliqué. En revanche, lorsqu'"on ne peut garantir l'accès à des biens de première nécessité que dans un grand centre commercial, il n'y aura pas d'utilisation du pass sanitaire dans ce centre commercial". Concernant l'évaluation plus précise de ce qu'est un "bassin de vie", "on le fera en lien avec préfets et élus locaux", a ajouté le porte-parole du gouvernement. Jacques Creyssel, directeur général de la Fédération du commerce et de la distribution, interrogé par l'AFP, a estimé que "ce mécanisme s'avère complexe, avec une analyse par bassins de vie dont on ne voit pas vraiment comment elle se fera".
La veille, dans le Journal du dimanche, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, avait simplement annoncé que seuls les centres commerciaux d'une superficie supérieure à 20.000 mètres carrés devraient être concernés. C'est ce seuil qui avait été choisi en février dernier lorsqu'avait été décidée la fermeture des centres commerciaux. Soit environ 400 centres en France, un seuil qui avait été abaissé le mois suivant à 10.000 mètres carrés dans les départements à risque.
- Personnes non vaccinables : des "clarifications dans les prochains jours" - Gabriel Attal avait indiqué lundi sur France Info que "des clarifications" seraient annoncées "dans les prochains jours" concernant l'utilisation du pass sanitaire pour les femmes enceintes et autres personnes qui ne peuvent pas recevoir le vaccin. Pour les personnes non vaccinables, souvent pour des raisons médicales, l'idée du gouvernement serait de leur permettre d'obtenir un pass sans avoir à subir des tests réguliers.
- Les sanctions… - Concernant les sanctions encourues par les exploitants des établissements concernés "il serait injuste que ceux qui respectent les règles et qui feront contrôler le pass sanitaire à l'entrée soient pénalisés par ceux qui ne [les] respecteraient pas", avait déclaré Bruno Le Maire, affirmant que "les sanctions doivent être dissuasives" mais pas "excessives". Et précisant que "ceux qui ne respectent pas les règles ne seront plus éligibles au fonds de solidarité".
De son côté, le ministre de l'Intérieur a écrit dimanche aux préfets pour leur demander de la fermeté dans l'application des nouvelles mesures. "Vous veillerez tout particulièrement au respect du contrôle du pass sanitaire par les établissements le requérant dès à présent, et notamment les établissements de nuit", énonce Gérald Darmanin dans cette note consultée par l'AFP. "La fermeture administrative des établissements n'y procédant pas, ou de façon lacunaire, sera prononcée à brève échéance."
Les représentants des petites entreprises se sont opposés lundi, par la voix de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union des entreprises de proximité (U2P), aux sanctions dont se rendraient passibles des chefs d'entreprise - restaurateurs, exploitants de salles de cinéma ou d'un service de transport - en cas de défaut de contrôle du pass pour l'accès à leur établissement. La CPME lance une pétition "pour s'opposer à cette pénalisation abusive et à ces sanctions totalement disproportionnées". L'U2P de son côté déplore que "l'État se décharge sur les professionnels pour assurer la mise en oeuvre de ses décisions et la gestion de leur bonne application". En outre, l'U2P, qui prône d'étendre l'obligation de vaccination à l'ensemble de la population, "refuse que le licenciement d'un salarié qui refuserait de se faire vacciner soit à la charge de l'entreprise".
- … et toujours l'accélération de la vaccination - Dans le même temps, Gérald Darmanin demande aux préfets de veiller à ce que les Français puissent avoir une "offre vaccinale adaptée" pendant tout l'été. Ils devront notamment "augmenter les amplitudes d'ouverture journalière" des centres de vaccination et veiller à ce qu'ils soient ouverts "week-end compris". Il les appelle aussi à accélérer la vaccination pour les agents publics, en particulier ceux en contact avec le public. Leurs employeurs pourront être incités à "se rapprocher des centres de vaccination pour réserver des plages horaires" et des barnums de vaccination pourront être installés dans les cités administratives. Le ministre réclame aussi un "renforcement des dispositifs d'accompagnement et d'isolement" des cas positifs et cas contacts, avec notamment des "offres de relogement" pour les personnes ne pouvant s'isoler à domicile. "Dans les départements touristiques où l'offre d'hébergement hôtelière est fortement préemptée, vous anticiperez la recherche de solutions alternatives", demande-t-il.
- Entre approbation et manifestations - Une large majorité de Français (76%) approuve la décision du chef de l'État de rendre obligatoire la vaccination pour les personnels soignants et d'autres professions, avec sanctions à la clef, selon un sondage Elabe pour BFMTV. L'extension du pass sanitaire recueille aussi une majorité d'approbations, qui varie de 58% à 76% suivant les lieux concernés. En revanche, c'est une mobilisation plus forte qu'attendue des antivaccins qui s'est manifestée ces derniers jours. Le ministère de l'Intérieur a compté samedi 136 rassemblements ayant réuni 114.000 personnes, dont 18.000 à Paris, avec çà et là les slogans et visuels que l'on sait.
- Des élus visés - Dans un autre courrier aux préfets, le ministre de l'Intérieur leur a demandé dès vendredi soir de renforcer les mesures de protection envers les élus dans le contexte des mobilisations des antivaccins. Ces derniers jours, "des messages de menaces à l'encontre de parlementaires et d'élus se multiplient", écrit Gérald Darmanin dans cette note également adressée aux directeurs de la police et de la gendarmerie. En leur demandant "de mobiliser les forces de sécurité intérieure placées sous [leur] autorité pour rassurer les élus, prévenir ces actes et réagir rapidement en cas d'évènement", le ministre rappelle que des actions "parfois violentes" ont eu lieu sur des "permanences et à l'encontre des assistants parlementaires". Deux députés LREM, Alexandre Freschi (Lot-et-Garonne) et Jean-Marc Zulesi (Bouches-du Rhône) ont posté sur les réseaux sociaux les mails de menaces reçus. "Je suis armé jusqu'au cou. Faites bien attention à ce que vous allez voter concernant le pass sanitaire, vous n'avez pas intérêt à vous tromper de bouton", écrit notamment un expéditeur anonyme.
- La Cnil entendue au Sénat mercredi - La présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis, sera auditionnée mercredi en fin de journée par des sénateurs. La Cnil avait par le passé plaidé pour limiter le pass aux grands rassemblements et exclure "les activités de la vie courante".
- Associer les régions - "Les élus et les professionnels de santé auraient pu être associés à la préparation du projet de loi", écrit Régions de France ce lundi dans un communiqué. Les régions se disent toutefois "disponibles pour aider à la réussite des mesures annoncées dans la continuité de leur position constante en soutien à la vaccination". Et se placent déjà dans la perspective de la rentrée scolaire : elles "feront tout pour faciliter la vaccination des élèves dans les lycées". Mais demandent au gouvernement de "co-construire avec elles cette opération inédite, qui soulève de nombreux points d’organisation pratique, dans la gestion des locaux comme du personnel".