Une vie publique à l'arrêt jusqu'en juillet
Plus d'Assemblée nationale, un Sénat qui suspend l'essentiel de ses travaux. La mise à l'arrêt de l'activité parlementaire signifie l'abandon de nombre de textes qui intéressaient de près les collectivités. Rapide passage en revue, à l'heure où la période de réserve implique aussi le report de pas mal de publications et événements.
C'est officiellement chose faite depuis lundi après-midi avec la publication du décret de dissolution de l'Assemblée nationale, il n'y a plus de députés élus. Les textes en cours d'examen et non adoptés deviennent caducs.
L'annonce d'Emmanuel Macron a pris de court tous les députés, comme le personnel de l'Assemblée. En 1997, il y avait eu des signes avant-coureurs de la dissolution, raconte une source parlementaire. "Là c'est différent, personne n'a vu le coup venir". Environ 2.000 collaborateurs parlementaires se retrouveront au chômage. "On doit faire nos cartons. On a droit à un licenciement économique", explique la collaboratrice d'un député. "L'ironie de l'histoire, c'est qu'on devait recevoir des stagiaires de seconde à partir du 17 juin. Plein de lycéens vont se retrouver dans la panade", glisse-t-elle au passage.
Après les législatives des 30 juin et 7 juillet, quelle qu'en soit l'issue, la nouvelle Assemblée se réunira "de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection", donc le 18 juillet. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, "une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours". L'article 12 de la Constitution précise aussi qu'il "ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections".
Au Sénat, on aurait théoriquement pu poursuivre les travaux parlementaires prévus, même si l'avenir des textes examinés se trouvait de facto mis à mal. Or la conférence des présidents a décidé lundi en fin de journée d'"ajourner ses travaux en séance publique". Seuls les travaux de contrôle, comme les commissions d'enquête en cours, y sont maintenus.
Autant dire que des semaines voire des mois de travaux parlementaires tombent à l'eau. Dont certains suivis de très près par les collectivités. Il suffit de songer au projet de loi Logement abordable, tout récemment adopté en commission au Sénat (voir notre article), pour une séance publique prévue à partir du 18 juin… et dont le secteur de l'habitat débattait avec fougue pratiquement depuis l'arrivée de Guillaume Kasbarian au ministère du logement en février dernier.
On attendait aussi le vote solennel, ce mardi 11 juin, sur le projet de loi de simplification de la vie économique, issu du "plan d'action" présenté en avril dernier par Bruno Le Maire (voir notre article), avec pas mal de mesures intéressant les collectivités, entre autres dans le champ de la commande publique.
Et puis il y avait le projet de loi d'orientation agricole, adopté le 28 mai à l'Assemblée nationale (voir notre article), qui aurait dû être examiné le 24 juin en séance publique au Sénat. Le résultat de longs mois de préparation, puis d'une réécriture destinée à tenir compte du mouvement de colère des agriculteurs.
Deux textes importants concernant l'Outre-mer sont par ailleurs ajournés. Notamment le projet de loi constitutionnelle sur la modification du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, adopté à l'Assemblée nationale le 15 mai. Emmanuel Macron avait averti mi-mai qu'un Congrès serait réuni "avant la fin juin" pour entériner la réforme si indépendantistes et loyalistes ne trouvaient pas un accord sur un texte plus global. Il y avait en outre le projet de loi constitutionnelle sur la suppression du droit du sol à Mayotte, dont la présentation en Conseil des ministres était prévue pour le mois de juillet
Parmi les textes législatifs dont le parcours est interrompu, on citera aussi plusieurs propositions de loi d'origine parlementaire :
- la proposition de loi écologiste visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), adoptée en première lecture par le Sénat le 30 mai dernier (lire notre article), qui devait être examinée en deuxième lecture par l'Assemblée nationale ;
- la proposition de loi d'origine sénatoriale visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève adoptée en première lecture par le Sénat le 9 avril dernier (lire notre article) et transmise à l'Assemblée nationale le lendemain ;
- la proposition de loi créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière adoptée en première lecture par le Sénat le 27 mars dernier (lire notre article), qui devait être examinée en deuxième lecture par l'Assemblée nationale ;
- la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales, adoptée le 14 février en première lecture par le Sénat (lire notre article), transmise le lendemain à l'Assemblée nationale ;
- la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, adoptée en première lecture par le Sénat le 13 février dernier (lire notre article), transmise le 15 février à l'Assemblée nationale.
La fin de la législature met de facto fin aux travaux des commissions d'enquêtes lancées à l'Assemblée nationale. Certaines étaient sur le point de remettre leur rapport, comme la commission d'enquête sur la future autoroute A69. D'autres venaient tout juste de les entamer : celle enquêtant sur les "abus et violences" dans le secteur de la culture ou celle sur la dette, lancée par la droite. Une autre enfin avait déjà procédé à de nombreuses auditions mais avait encore un important programme de travail en vue : celle sur "les manquements des politiques de protection de l’enfance" (voir notre article).
La dissolution devrait par ailleurs suspendre la parution de documents très attendus comme la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas carbone (lire notre article) ainsi que le plan national d'adaptation au changement climatique (lire notre article).
Nouvelle période de réserve oblige, les ministres devraient ne plus se déplacer ni beaucoup s'exprimer en tant que tels. D'autant plus d'ailleurs qu'une bonne partie d'entre eux ont fait savoir qu'ils étaient candidats aux législatives (Gérald Darmanin, Guillaume Kasbarian, Dominique Faure, Roland Lescure, Fadila Khattabi…). Les chantiers au long cours sont évidemment stoppés net. On songe par exemple à la concertation sur la décentralisation qui aurait dû se mettre en place pour discuter des préconisations du rapport Woerth.
Restent quelques interrogations, donc le devenir de la nouvelle réforme de l'assurance chômage. Les rares membres du gouvernement à s'exprimer dans les médias restent prudents sur l'avenir d'une réforme politiquement inflammable et renvoient la décision finale à Emmanuel Macron et Gabriel Attal. "Nous faisons tout le travail de préparation et ensuite il appartiendra au président de la République, au Premier ministre et à la ministre en charge de voir si les conditions sont réunies pour aller jusqu'au bout et ça sera à eux de le dire dans les prochains jours", a ainsi expliqué Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture, lundi sur BFM Business. Les nouvelles règles doivent impérativement passer par la publication du décret avant le 1er juillet. Sans nouveau décret à cette date, quel qu'en soit son contenu, plus aucune règle n'encadrerait l'indemnisation des chômeurs. A ce stade, le projet porté par le gouvernement est examiné par le Conseil d'Etat. Il est en outre toujours au menu de la commission consultative de la négociation collective, qui doit se réunir ce mercredi.
La mise sous cloche de la vie politique publique touche naturellement un champ plus large que le Parlement et le gouvernement. La Cour des comptes par exemple, appliquant une "période de réserve", a suspendu la publication de ses travaux jusqu'au 8 juillet. Elle aurait dû présenter ce 11 juin un rapport sur le programme France Services.
Elle touche aussi directement la sphère des collectivités et des élus puisque deux associations d'élus ont annoncé le report de leur rendez-vous annuel. L'Association des petites villes (APVF), qui aurait dû se réunir à Amboise ces 14 et 15 juin pour ses 26es Assises, redonne ainsi rendez-vous les 19 et 20 septembre. De même, Villes de France a pris la décision de reporter son congrès, initialement prévu les 4 et 5 juillet, au 2 et 3 octobre, toujours à Sélestat.
Bien que la démarche apparaisse surtout symbolique, on notera que le Conseil constitutionnel a été saisi ce 11 juin de deux recours contre le décret de convocation des électeurs paru la veille, plusieurs juristes mettant en question la "sincérité du scrutin" au vu d'un délai trop court. Un autre recours a par ailleurs été déposé : La France Insoumise (LFI) conteste le "gel des listes électorales" prévu par le décret. "Il n’est plus possible de s’inscrire sur les listes électorales pour pouvoir voter aux élections législatives anticipées", indique en effet le ministère de l'Intérieur, puisque l'élection aura lieu "à partir des listes électorales et des listes électorales consulaires extraites du répertoire électoral unique (...) telles qu’arrêtées à la date du présent décret" paru moins de 24 heures après l'annonce du Président de la République.