Développement local - Une monnaie normande d'ici 2018 ?
La Normandie souhaite créer d'ici 2018 une monnaie régionale. Il s'agirait d'une première en France. Car si de nombreuses expériences sont actuellement menées, avec une trentaine de monnaies locales en circulation et une cinquantaine en projets, peu le sont sur un espace géographique aussi vaste. A part des monnaies comme Le Galleco, qui circule à Rennes, Redon, Fougères et leurs alentours, ou l'Eusko, au Pays basque, la plupart des monnaies sont ainsi mises en œuvre sur des territoires locaux plus limités. Et aucune n'a encore jamais été créée à l'échelle régionale. La création de cette monnaie normande a été annoncée par Hervé Morin, président de la région Normandie, le 2 juin 2016, à l'occasion d'une conférence sur l'économie sociale et solidaire. Plusieurs objectifs sont visés, dont en premier lieu le développement de l'économie locale. Mais la région souhaite aussi favoriser les circuits courts, le commerce de proximité et les démarches de développement durable, et permettre la construction d'un sentiment d'appartenance collectif. Cette monnaie pourrait être 100% numérique, à l'image de la monnaie locale SoNantes.
Le président de la région Normandie compte bâtir cette monnaie avec celles qui existent déjà. Dans la région, plusieurs monnaies ont été mises en place. L'Agnel à Rouen, lancée en novembre 2015, dispose déjà de près de 500 utilisateurs, 82 prestataires, et sept points de change, pour près de 35.000 unités en circulation. Il existe aussi depuis peu la Normaille à Caen, et Le Grain, au Havre, lancé en septembre 2015, qui compte 600 utilisateurs, 60 prestataires et 14.000 grains en circulation.
Un rôle des citoyens limité ?
Les représentants de ces monnaies, qui bataillent depuis plusieurs années pour faire connaître les bénéfices des monnaies locales complémentaires, ont accueilli avec enthousiasme la décision de la région Normandie. "Cette annonce d'Hervé Morin est une reconnaissance de tout le travail que nous avons réalisé depuis six ans, explique à Localtis Serge Delamare, co-président de l'association du Grain monnaie locale, de plus elle vient faire écho à l'appel que nous avions lancé dans la presse." Dans cet appel de mars 2016, l'association avait estimé qu'à terme, "une initiative de ce genre doit passer dans le domaine public". "Pour autant, à aucun moment, on ne devra lâcher la main, qu'il y ait toujours un contrôle citoyen contrairement aux banques", détaillait aussi l'appel.
C'est justement cette question de la démocratie citoyenne qu'interrogent les experts. Marie Fare, maître de conférence en sciences économiques, université Lumière-Lyon 2, spécialiste des monnaies locales, estime ainsi qu'il faut bien faire la distinction entre un projet de monnaie piloté et mis en œuvre par la collectivité, et un projet encouragé par la collectivité. Le projet normand appartenant au premier cas, "qui sera chargé de la définition des caractéristiques de la monnaie, de ses objectifs, de ses règles de gouvernance, la collectivité ou les citoyens ?", se demande-t-elle. "Si la monnaie est préalablement dessinée par la collectivité, le rôle des citoyens dans la définition de ses caractéristiques, et par conséquent, le processus de mobilisation et d'adhésion qui en découle s'en trouvent fortement limités", poursuit-elle. Pour Serge Delamare, il est pour le moment impossible de faire des projections, les modalités du pilotage et du fonctionnement de la future monnaie normande n'étant pas arrêtées.
Mais, "dans un premier temps, c'est la dimension citoyenne du pilotage du projet, avec la participation active des monnaies locales complémentaires citoyennes normandes dans le dispositif qui nous permettra de voir comment ce projet va se positionner vis-à-vis des différents projets citoyens, détaille-t-il, cette phase sera donc primordiale pour savoir comment les monnaies locales accompagneront le développement de cette monnaie régionale".
Un potentiel "considérable"
Autre interrogation : la capacité des citoyens à s'approprier une monnaie purement électronique, et à la différencier des autres monnaies locales complémentaires (carte de fidélité par exemple). "La majorité des monnaies locales souhaitant intégrer un volet électronique envisage une combinaison papier et électronique mais pas la suppression d'une des formes au profit de l'autre", explique Marie Fare.
Mais pour le moment, les contours de cette future monnaie régionale sont encore incertains. Interrogée par Localtis, la région a signalé qu'il était encore trop tôt dans le processus pour en dire plus sur ses objectifs, le volume concerné, et son fonctionnement. "Ce qui est sûr, affirme Serge Delamare, c'est que si la coopération région-monnaies locales fonctionne bien, et que les bons choix sont faits, les impacts positifs aux niveaux économique, social et environnemental pourraient être considérables pour notre région."