Un rapport sénatorial appelle à "surseoir" à la généralisation du service national universel

Coûts, logistique, nécessité d'un débat parlementaire… la généralisation du séjour de cohésion du service national universel (SNU) n'est pas réalisable actuellement, selon un rapport sénatorial publié le 8 mars 2023. Chiffrant les deux grandes options actuellement envisagées par le gouvernement – organisation du séjour de cohésion pour toute une classe d’âge sur ou hors temps scolaire –, le rapporteur Éric Jeansannetas demande que le Parlement puisse se prononcer sur le SNU. 

Dans un rapport d’information examiné le 8 mars 2023 par la commission des finances du Sénat, le sénateur Éric Jeansannetas (SER, Creuse) appelle à "surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion" du service national universel (SNU). Le rapporteur spécial de la mission "sport, jeunesse et vie associative" invoque principalement le coût que supposerait une telle généralisation : au moins 1,75 milliard d’euros, et plus vraisemblablement entre 2,4 et 3,1 milliards d’euros par an selon une estimation réalisée en 2018 par les inspections générales.

"La logistique requise" pour une telle généralisation "est sans commune mesure avec celle qui est actuellement mise en œuvre dans la phase expérimentale du SNU", insiste le sénateur. Ce dernier soulève en outre la question de "l’acceptabilité sociale du séjour de cohésion obligatoire pour l’ensemble des élèves de seconde" et recommande la tenue d’un "véritable débat" au Parlement sur le SNU. En effet, la généralisation du séjour de cohésion soulève des "questions importantes relatives aux libertés individuelles des jeunes et la façon dont la Nation reconnaît leur engagement", justifie le rapporteur. Jugeant que la mission d’intérêt général, la deuxième étape du SNU, "n’est pas satisfaisante en l’état actuel" (voir notre article du 2 mars 2023), Éric Jeansannetas propose également de supprimer cette phase du dispositif "au profit de la phase 3, l’engagement volontaire sur plusieurs mois".

Une généralisation sur temps scolaire plus "réaliste" d'un point de vue logistique

Dans le cadre du contrôle budgétaire du SNU, Éric Jeansannetas s'est vu présenter deux scénarios de généralisation du séjour de cohésion par les services de Sarah El Haïry, secrétaire d’État en charge de la jeunesse et du SNU. Le premier est celui d’une généralisation du SNU hors temps scolaire, "dans la lignée des expérimentations qui ont été menées jusqu’à présent". Selon les projections figurant dans le rapport, un tel scénario suppose d’organiser trois à quatre séjours de cohésion dans l’année, avec un grand nombre de participants par période de séjours (de 210.000 à 280.000), et de mobiliser entre 2.100 et 2.800 centres et de 40.000 à 50.000 encadrants.

Dans le second scénario, qui "a la préférence de la secrétaire d'État", le SNU est généralisé sur le temps scolaire, ce qui permet d’organiser entre 13 et 15 séjours par an et de répartir ainsi davantage le nombre de jeunes pour chaque séjour – entre 56.000 et 65.000 -, mais également le nombre de centres requis – entre 750 et 860 – et d’encadrants – entre 14.000 et 16.000. Dans cette configuration, les encadrants sont moins nombreux mais plus mobilisés – entre 90 et 120 jours en moyenne par an contre 30 à 45 dans le premier scénario.

"Si le second scénario est plus 'réaliste' que le premier en termes de nombre d’encadrants et de centres d’hébergement requis, il suppose une articulation entre l’administration du SNU et l’Éducation nationale qui reste à construire", souligne le rapporteur. Ce dernier ajoute qu’"il n’est pas certain que le SNU puisse se 'fondre' entièrement dans l’obligation scolaire" et qu’une loi serait a minima nécessaire pour imposer aux élèves un tel séjour de deux semaines en hébergement collectif.

La disponibilité des centres d’hébergement : la "problématique majeure" de la généralisation

S’appuyant sur ces chiffres, le rapporteur de la commission des finances du Sénat met l’accent sur les deux "difficultés majeures" que suppose la généralisation du SNU : l’encadrement et l’hébergement. Il s’agit d’ailleurs des deux gros postes de dépenses de fonctionnement prévues : 34% pour l’hébergement et la restauration et 25% pour l’encadrement. 

Quel que soit le scénario privilégié, organiser le séjour de cohésion pour toute une classe d’âge "sera impossible sans la mise en place d’une véritable stratégie de recrutement du personnel", avance le rapporteur. "Plusieurs années" seraient nécessaires pour rendre une telle filière "opérationnelle", selon le sénateur qui ajoute que "son coût serait important". La disponibilité du personnel d’encadrement sur temps scolaire se pose également, puisqu’il est précisé qu’"environ 50% des chefs de centre" sont actuellement des "membres de l’Éducation nationale et des corps en uniforme".

Et encore davantage que le recrutement, la "problématique majeure du projet de généralisation du SNU" est celle de la disponibilité des centres d’hébergement, selon le rapport sénatorial. D’après des retours "quasi unanimes" recueillis par Éric Jeansannetas, "il a déjà été difficile de trouver suffisamment de lieux d’accueil pour les sessions de 2021 et de 2022". Pour rappel, un peu moins de 15.000 jeunes en 2021 et un peu plus de 32.000 jeunes en 2022 ont participé à un séjour de cohésion du SNU. Pour le rapporteur, dans le scénario d’une généralisation hors temps scolaire, "l’hébergement reposerait majoritairement sur les internats scolaires" mais ces internats ne pourraient offrir qu’environ 100.000 places.

Dans l’autre configuration d’un séjour de cohésion organisé sur temps scolaire, les internats ne seraient pas disponibles et les centres de vacances seraient donc prioritairement mobilisés. Mais ces derniers "ne sont pas tous disponibles hors de la période estivale, leur répartition sur le territoire est inégale et, surtout, ils sont loin d’avoir tous la taille requise pour accueillir des séjours de cohésion". Plusieurs hypothèses sont évoquées : recourir aux centres disponibles bien que de petite taille, avec le risque de coûts augmentés et d’une dépendance vis-à-vis des gestionnaires privés de ces centres, ou rénover des "centres existants, qui ne sont plus aux normes voire qui ont fermé", ce qui implique là encore des coûts mais aussi des délais allongés.