Un rapport pour appréhender les discriminations
L'Observatoire des inégalités vient de rendre public son premier rapport sur les discriminations. Le but est d'"objectiver le débat", de tenter de mesurer ce phénomène de manière globale, tout en révélant les lacunes en matière de connaissances.
"Les discriminations sont une atteinte à la dignité même des personnes, aux valeurs de la République et c'est inacceptable", selon Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, qui présentait le 28 novembre 2023 à la presse le premier rapport de son organisme sur les discriminations. Comme pour les autres rapports de l'Observatoire, le but de la démarche est d'"objectiver le débat" et cela "sans exagération", en réalisant une synthèse des données disponibles. "Un manque de connaissances évident" est déploré sur le sujet, même si "la création du Défenseur des droits en 2008 a permis d’améliorer l’information".
"On ne peut pas dire si ça augmente ou ça diminue"
Une discrimination est "une sorte d’inégalité illégale", même si l'Observatoire a choisi une définition "plus large", expose Louis Maurin. L'absence d'accessibilité d'un bâtiment ou d'une gare est par exemple assimilée à une discrimination vis-à-vis des personnes handicapées – on peut d'ailleurs observer que ce manque d'adaptation n'est pas conforme à la loi de 2005 sur le handicap, malgré les assouplissements du cadre législatif concédés au fil du temps. Le rapport aborde les discriminations liées aux origines et à la couleur de peau, au genre, au handicap, à l'orientation sexuelle et, de façon plus succincte, à l'appartenance syndicale.
Ce premier travail est "incomplet", admettent les auteurs, puisque manquent en particulier des éléments sur les discriminations liées aux religions. Autre limite présentée par le directeur de l'Observatoire : "on ne peut pas dire si ça augmente ou ça diminue". Il est effet "difficile de répéter un testing (*), une opération grandeur nature qui coûte cher, plusieurs fois dans les mêmes conditions", précise Anne Brunner, directrice des études de l'Observatoire. Cela a parfois été fait, nuance-t-elle, ce qui a notamment permis de mettre à jour le fait que "l'adresse [et en particulier le fait d'habiter dans un quartier défavorisé, ndlr] n’est plus un motif de discrimination" puisque "on ne constate plus d’écart sur la seule base de l’adresse".
"Un sentiment de discrimination aujourd'hui largement répandu"
Pour saisir l'ampleur des discriminations en France, la première difficulté consiste à distinguer le déclaratif des faits. "Le sentiment de discrimination est aujourd'hui largement répandu : une personne sur cinq dans la population de 18 à 49 ans dit en avoir été victime", indique Anne Brunner. Ce taux grimpe à 28% pour les descendants d'immigrés et à 32% pour les personnes nées en Outre-mer. Cela dans un contexte où, sur le plan des valeurs, la société se déclare "plus ouverte qu’avant, avec une évolution assez rapide et très marquée sur ces 20 dernières années", contextualise Anne Brunner. C'est à dire qu'il y a beaucoup moins de racisme, de sexisme et d'homophobie qu'avant, au moins dans les déclarations.
"La société évolue vers plus de tolérance, mais les formes les plus violentes de discrimination et de rejet ne semblent pas diminuer", juge l'Observatoire, sur la base de chiffres sur les crimes et délits à caractère raciste, sexiste, anti-LGBT et au détriment de personnes handicapées. "Ces faits autrefois passés sous silence sont plus souvent dénoncés et mieux enregistrés", salue l'Observatoire.
Origines, handicap : mise à jour d'"écarts défavorables" dans le cadre de testings
Au-delà de ces violences, la discrimination est "un traitement défavorable" subi par certaines catégories de la population et "qu’il est difficile de mettre au jour". Le rapport rend compte de certains résultats, mis en évidence en particulier dans le cadre de testings. Par exemple, le fait qu'"un candidat au nom français a près de 50% de chances supplémentaires d’être rappelé par un employeur par rapport à un candidat au nom maghrébin".
Le rapport mérite d'être lu dans le détail pour appréhender certaines nuances. Par exemple, selon un testing réalisé en 2020 par le CNRS, des personnes handicapées – dans le cas du testing, des candidats indiquant sur leur candidature "une surdité sévère, compensée par un appareil auditif" - n'ont pas les mêmes probabilités d'accéder à un entretien d'embauche que des personnes ne mentionnant pas de handicap. Pour un poste de responsable administratif, l'écart était de 5,5 points dans le privé en défaveur des personnes handicapées, mais il était favorable à ces dernières dans le public. Pour un poste d'aide-soignante, l'écart était dans les deux cas défavorable aux personnes handicapées : de 5,8 points dans le privé et de 12,5 points dans le public.
L'Observatoire rappelle que l'obligation d'employer au moins 6% de personnes handicapées n'est pas respectée dans les entreprises de plus de 20 salariés et dans deux fonctions publiques sur trois, la territoriale faisant "office de bon élève" (voir notre article).
Critères de discrimination : la surenchère ?
L'Observatoire des inégalités réalise également un décompte des emplois fermés aux étrangers non européens (exclusions qualifiées par Louis Maurin de "discriminations légales") : 5 millions, dont 4,1 millions dans la fonction publique ou dans le parapublic et, parmi ces derniers, 1,5 million dans les collectivités.
Figurent également sur le rapport les 25 critères de discrimination interdits par la loi, dont certains moins connus à l'instar des "opinions politiques ou philosophiques", des "caractéristiques génétiques" ou de la "vulnérabilité économique". Interrogé sur la proposition de loi portée par une cinquantaine de députés pour "reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire", Louis Maurin ne se dit "pas certain qu’à force d’allonger la liste on améliore la compréhension du problème".
* Les testings sont définis dans le rapport comme "des expériences menées par des chercheuses et chercheurs qui prennent sur le fait la petite partie des employeurs, médecins, propriétaires ou agences immobilières qui défavorisent certains profils".