Troubles de voisinage : le Sénat vote pour limiter les recours
Après lui avoir apporté quelques retouches, le Sénat a adopté ce 12 mars la proposition de loi issue de l'Assemblée et visant à réduire les conflits de voisinage, notamment à la campagne.
Après l'Assemblée nationale en décembre dernier (lire notre article), le Sénat a approuvé ce 12 mars la proposition de loi "visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels" et qui a principalement pour objet de limiter les conflits de voisinage à la campagne. Brandi comme réponse aux agriculteurs qui font face à une multiplication de plaintes de néo-ruraux s'installant à proximité d'exploitations parfois bruyantes, le texte porté par la députée Renaissance du Morbihan Nicole Le Peih introduit dans le code civil le principe d'une responsabilité fondée sur les "troubles anormaux de voisinage", une notion qui existait déjà dans la jurisprudence mais n'était pas codifiée. La proposition de loi insère aussi une exception de taille, qui dégage l'auteur de toute responsabilité lorsque ce trouble découle d'activités préexistantes à l'installation de la personne qui s'estime lésée.
"J'entends les préoccupations de nos agriculteurs, de plus en plus souvent confrontés à des néoruraux souhaitant s'installer au vert sans en accepter toutes les conséquences. Ce n'est pas acceptable, a déclaré le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti devant les sénateurs. Si l'on choisit la campagne, on doit l'accepter telle qu'elle est, avec ceux qui la font vivre."
De nouvelles précisions pour les activités économiques et agricoles
Les sénateurs ont modifié le texte issu de l'Assemblée nationale en restreignant l'application de cette exception aux seules "activités économiques", et en l'élargissant lorsqu'elle concernera les activités agricoles. "Un agriculteur qui est obligé de se mettre aux normes et se voit alors condamné pour troubles de voisinage, il se retrouve dans une injustice flagrante", a dénoncé le sénateur LR de Haute-Loire Laurent Duplomb. Ainsi, la responsabilité ne s'appliquera pas non plus si le trouble provient "d'activités agricoles" qui se sont poursuivies "postérieurement" à l'installation, "dans des conditions nouvelles résultant de la mise en conformité" de l'activité à de nouvelles normes ou s'il n'est pas constaté "une aggravation substantielle du trouble par sa nature ou son intensité". Ils ont aussi précisé la notion d'installation, qui présentait selon eux l’inconvénient de ne pas renvoyer à un acte juridique mais à un critère factuel sujet à interprétation. En renvoyant à "l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage ", ils y voient le double avantage "de prévoir une datation précise et de renvoyer à une réalité juridique plus objective et conforme au principe selon lequel 'celui qui vient aux nuisances ne peut s’en plaindre'".
Le gouvernement a accueilli avec scepticisme ces évolutions, estimant que le texte devait s'appliquer également en ville, sans le restreindre à des activités économiques. "La restriction aux seules activités économiques ne correspond pas à l'esprit du code civil, qui a vocation à être le plus général possible, a estimé Eric Dupont-Moretti. De même, la référence à l'acte ouvrant le droit de jouissance, qui n'inclut ni les permis de construire ni les actes authentiques de vente, restreint excessivement la portée du texte." Le garde des Sceaux a également craint une inconstitutionnalité du dispositif spécifique aux agriculteurs.
Exception pour les aires de jeux des crèches
En séance, les sénateurs sont également parvenus à introduire, contre l'avis du gouvernement, une autre exception pour que les "effets sonores causés par les enfants" dans les aires de jeux des crèches, en particulier, ne soient pas assimilés à des "troubles anormaux du voisinage".
Le texte a été soutenu par la majorité sénatoriale de la droite et du centre. Le groupe écologiste a voté contre tandis que les socialistes se sont abstenus. Députés et sénateurs devront désormais s'accorder sur un texte de compromis lors d'une commission mixte paritaire (CMP).