Subventions - Trois collectivités locales suspendent leurs subventions à Lactalis
Lactalis, le troisième groupe laitier mondial, est en difficulté dans le bocage normand. Coup sur coup, le conseil régional de Basse-Normandie, le conseil général du Calvados, et la communauté de communes de Bayeux ont fait connaître la suspension de leurs subventions, d’un montant total de 600.000 euros, à un projet d’extension d’usine d’un coût de 11 millions d’euros à Saint-Martin-des-Entrées, près de Bayeux.
Désespérance
"Le conseil général [du Calvados] m’a demandé de suspendre la subvention de 250.000 euros jusqu’à ce que la situation s’éclaircisse", explique sa présidente Anne d’Ornano (divers droite). Voté en décembre, le soutien du département était en effet assorti d’interrogations, notamment sur le sort d’un fournisseur local de boîtes de fromages. "Je n’ai pas eu de réponse", souligne l’élue, qui observe en outre "une désespérance très forte, et très inquiétante, des producteurs de lait du Calvados".
Or, la Fédération nationale des industries du lait (Fnil), dont fait partie le géant Lactalis, a dénoncé le 18 mars l’accord qu’elle avait signé, en juin dernier, avec les producteurs. Les organisations s’étaient entendues en 2009 pour une augmentation du prix du lait, dès ce 1er avril 2010, de 5,5% à 5,8%. Impossible, s’étaient finalement ravisés les industriels à l’approche de ce second trimestre : leurs concurrents allemands, arguent-ils, paient le lait près de 15% moins cher qu’eux.
Sous la pression du gouvernement, certes, un compromis a finalement été trouvé, le 30 mars. Mais "l’accord ne porte que sur le second trimestre", souligne Anne d’Ornano. Et "les producteurs de lait ne pourraient pas comprendre cette subvention de 250.000 euros compte tenu de leurs difficultés", et de "drames humains considérables". Le conseil général a par ailleurs voté à l’unanimité, le 31 mars, une motion adressée au Premier ministre et au ministre de l’Agriculture, demandant "solennellement de prendre acte de (leurs) préoccupations et de bien vouloir les relayer auprès de la Commission européenne".
Si le groupe laitier n’a pas répondu à Localtis, son porte-parole a réagi à l’AFP le 1er avril : "Si le conseil général ne veut pas qu'on investisse, il faut qu'il le dise." Anne d’Ornano, "consciente du poids et de l’importance de Lactalis", espère pour sa part pouvoir de nouveau lui "prouver son attachement".
Pollution
Le nouveau conseil régional de Basse-Normandie a également réagi. Elu le 26 mars, le vice-président chargé de l’économie Philippe Bonneau (PS) a proposé dès le 30 mars l’organisation d’une table ronde avec Lactalis, le conseil général, ainsi que l’intercommunalité de Bayeux, "pour faire le point sur nos subventions de 600.000 euros". "Nos collectivités sont attentives à cet investissement de 11 millions d’euros sur le territoire de Bayeux, qui est sinistré économiquement", apprécie le vice-président. "Mais nous sollicitons Lactalis pour qu’il soit attentif au prix du lait, afin que les producteurs puissent gagner leur vie" et "pour qu’il respecte ses engagements". Si la subvention régionale de 250.000 euros a déjà été votée fin 2009, elle n’a toujours pas été attribuée : Lactalis doit d’abord signer une convention l’engageant à respecter certaines conditions, sociales ou environnementales. La proposition de table ronde suspend de facto son versement. Vendredi 2 avril, Anne d’Ornano jugeait cette invitation "utile".
La subvention de la communauté de communes de Bayeux, enfin, est suspendue pour une raison environnementale : "Il est, en aucune manière, possible de verser une subvention de 100.000 euros à une entreprise qui pollue", a expliqué le 31 mars le président de Bayeux Intercom, Patrick Gomont, à son conseil communautaire, d’après le quotidien Ouest-France. Un élu de Bayeux reprocherait à Lactalis d’avoir rejeté dans une rivière, en mars, des eaux contenant "près de 10 fois plus d'azote et près de 8 fois plus de phosphore que les maximums autorisés". Le groupe laitier acceptera-t-il de s'expliquer face aux trois collectivités ?
Olivier Bonnin