Mobilité - Transports en Ile-de-France : le Navigo dans une mauvaise passe
Le tout jeune passe Navigo à tarif unique à 70 euros pour se déplacer dans les transports publics d'Ile-de-France passera-t-il l'année ? La présidente de la Région, Valérie Pécresse, menace de l'augmenter si elle n'obtient pas de l'Etat des ressources pérennes pour financer cette mesure de l'ancienne majorité socialiste. Elle a fait du financement du titre de transport des abonnés aux transports franciliens son cheval de bataille, dénonçant une mesure "électoraliste" de l'ancienne majorité socialiste, qui n'avait pas été financée et a entraîné un trou de 300 millions d'euros par an dans les caisses du Syndicat des transports d'Ile-de-France, qu'elle préside.
Décidée à "poser la question du vrai prix des transports", Valérie Pécresse a organisé lundi 20 juin, via le Stif, une table ronde au titre sans ambages - "le passe Navigo à 70 euros est-il viable?" - où les intervenants se sont succédé pour pointer l'inefficacité de ce dispositif, défendu par la gauche comme une mesure de "justice sociale". "La ruée vers le passe Navigo n'a pas eu lieu", a dit Valérie Pécresse, affirmant qu'il n'y avait eu qu'une "hausse de 1% des personnes transportées". La présidente de Région, qui attend toujours que le Premier ministre Manuel Valls confirme son engagement pris en février de trouver une recette pérenne, a regretté n'avoir "aucune assurance à ce jour". Mais le chef de l'Etat a tenté de la joindre lundi matin, a-t-elle souligné. Si elle obtient satisfaction, "on gardera ce passe au tarif tel qu'il est", a dit Valérie Pécresse, mais sinon, "nous serons obligés d'augmenter le passe", qui pourrait passer à 80 ou 85 euros.
"C'est une opération de communication pour faire assumer par d'autres la hausse de la tarification", a dénoncé Jean-Pierre Kalfon, administrateur socialiste du Stif, déplorant "une très mauvaise nouvelle pour l'éco-mobilité" et "un coup de massue sur le pouvoir d'achat des Franciliens". Des économistes des transports ont en effet préconisé lors des débats "à court terme, une hausse du tarif de 15 euros". Mais plus largement, ils ont estimé qu'un forfait de transport à tarif unique se traduisait "par un déficit permanent" et ont suggéré à long terme "de revenir à une variation des prix selon les usagers (revenu, âge, trajet, horaires de déplacement...)".
Le transport public "moins cher que les cantines"
La PDG de la RATP Elisabeth Borne a également insisté sur "la faible part payée par les voyageurs" dans le prix des transports d'Ile-de-France (28%, le reste étant pris en charge principalement par l'Etat et les entreprises), en comparaison des autres métropoles mondiales et même françaises, alors que des investissements sont nécessaires. L'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) a elle pointé le fait que le transport public en IDF coûtait pour les usagers "moins cher que les cantines", les tarifs postaux ou les ordures ménagères.
Plusieurs solutions ont été évoquées pour moduler la tarification (par exemple, en fonction des heures creuses ou pleines), mais aussi pour trouver de nouvelles ressources de financement, comme une hausse du versement transport payé par les entreprises. Mais une hausse est déjà entrée en vigueur en juillet 2015, et les entreprises "assurent une part disproportionnée du transport", a dénoncé la CCI Paris Ile-de-France. Parmi les autres mesures possibles, la baisse de la TVA transport de 10% à 5,5%, défendue notamment par le Front de gauche, ou encore la mise en place d'une écotaxe poids-lourds, dont le principe a d'ailleurs été adopté la semaine dernière par les élus de la région, mais dont la mise en place dépendra de l'Etat.
Plusieurs collectifs d'usagers présents dans la salle ont défendu "une mesure de justice et d'égalité", avec un tarif à 70 euros nécessaire "pour que le passe reste attractif". Mais pour Stéphane Beaudet, vice-président (LR) chargé des transports à la région, "améliorer le réseau et ne pas toucher le tarif, c'est une équation impossible".
L'appel des départements de la grande couronne à Manuel Valls
Au lendemain de la table ronde, les départements de l'Essonne, de la Seine-et-Marne, du Val d'Oise et des Yvelines, réunis au sein de l'association Grande Couronne Capitale, ont diffusé un communiqué dans lequel ils demandent à Manuel Valls de "débloquer les financements promis pour garantir le tarif unique et permettre de maintenir les investissements prioritaires dans les transports en Ile-de-France pour améliorer la qualité de service aux usagers". "Sans financements pérennisés, la 'taxe Valls' s'élèvera à 10 à 15 euros mensuels supplémentaires pris sur le pouvoir d'achat des usagers franciliens via une incontournable hausse du trafic", préviennent-ils, rappelant que "contrairement à la province", l'Ile-de-France "n'est pas concernée par le transfert de CVAE des départements vers la région". "Cette mesure ne saurait constituer une solution au financement de l'impasse financière du tarif unique du passe Navigo", estiment-ils.
Dans un autre communiqué, le président de la Métropole du Grand Paris, Patrick Ollier (LR), a jugé "nécessaire que soit rapidement confirmée la décision du Premier ministre sur le financement de cette impasse", soulignant que "près de 4 millions de voyageurs de la Métropole et de la Région utilisent quotidiennement les transports en commun".
Pétition en ligne des élus communistes
De leur côté, les élus communistes d'Ile-de-France ont lancé mardi 21 juin sur internet une pétition intitulée "Non au passe Navigo à 85 euros", dans laquelle ils soulignent qu'un passe à 85 euros "serait une catastrophe pour le pouvoir d'achat des Franciliens, en particulier les moins aisés, et constituerait un choix anti-écologique caricatural". Ils font deux propositions de financement : le retour de la TVA à 5,5% pour les transports publics et une augmentation du versement transport payée par les entreprises, "dans les zones les plus favorisées" économiquement, comme "l'ouest parisien et les secteurs les plus aisés des Hauts-de-Seine".
Enfin, pour les élus écologistes du conseil régional, Valérie Pécresse "agite le chiffon rouge de la viabilité du passe unique pour mieux enterrer cette mesure d'égalité" et va "augmenter les tarifs, quelles que soient les recettes, par pure motivation idéologique", selon un autre communiqué.