Commande publique - Transparence et "chantier masqué" font-ils toujours bon ménage ?
Par une ordonnance du 10 janvier 2012, devenue définitive puisqu'aucun recours n'a été déposé, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon s'est prononcé sur la question de savoir si un sous-critère de prix évalué "fictivement" devait être communiqué aux candidats lors d'une procédure de sélection des offres.
Tel un titre de roman-fiction, le "chantier masqué" est un moyen de ne pas publier une partie des éléments du critère prix afin de contourner une pratique coutumière, pratique qui veut que les candidats proposent des prix avantageux pour les grosses quantités et répercutent la différence de prix sur les petites quantités. Avec un détail quantitatif estimatif (DQE) "masqué", l'acheteur public compare des quantités fictives élaborées néanmoins à partir des prix remis par les candidats dans le bordereau des prix unitaires. Ils sont donc représentatifs des travaux commandés. C'est par conséquent un document qui permet la comparaison de différents prix mais sans en communiquer le contenu aux candidats.
Dans les faits, la ville de Toulon avait ouvert une consultation afin de passer un marché de travaux à bons de commande destiné aux "petites réfections de voirie et revêtement modulaire". Le candidat évincé, à savoir la Société varoise de construction routière, reproche à la ville de ne pas avoir respecté les obligations de publicité et de mise en concurrence. Plus précisément, il invoque une violation du principe de transparence en raison d'un DQE non révélé aux candidats. Transparence et DQE masqué font-ils bon ménage ? C'est la question à laquelle le juge des référés du tribunal administratif a dû répondre.
Dans l'affaire, le critère prix se décomposait entre, d'une part le DQE classique avec un bordereau des prix unitaires et forfaitaires, et d'autre part un DQE "fictif" non remis aux entreprises. Le juge a considéré que l'existence du DQE, bien que masqué, avait été porté à la connaissance des candidats. En effet, le règlement de consultation et l'avis d'appel d'offres mentionnaient le recours à ce schéma de comparaison des prix.
C'est en ce sens que le juge conclut : "Dès lors que ce sous-critère et son objet étaient clairement mentionnés à l'avis d'appel d'offres et précisés au règlement de la consultation, [l'acheteur] n'a pu dans ces conditions méconnaitre les dispositions de l'article L.551-1 du Code de justice administrative." Ainsi, le recours à un DQE masqué respecte la matière précontractuelle, sans contrevenir au principe de transparence.
Une pratique quasi inusitée dont l'utilité laisse perplexe
Cette solution s'inscrit au sein de quelques décisions jurisprudentielles récentes. Ainsi, l'ordonnance du 8 juin 2010 du tribunal administratif de Marseille avait, dans une hypothèse similaire, encadré la liberté du pouvoir adjudicateur dans l'utilisation du DQE "fictif". De même, un arrêt du Conseil d'Etat du 2 août 2011 valide la simulation d'un sous-critère prix en raison de son caractère indispensable à l'évaluation du critère prix, mais précise que doivent être communiqués les "sous-critères qui sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection".
Le recours au "chantier masqué" n'est pas une pratique très courante. S'il a pour ambition de se rapprocher le plus possible de la réalité des prix, l'impact sur le résultat attendu reste plus ou moins incertain. Ne s'agit-il pas essentiellement d'une manière pour l'acheteur public de se rassurer ? En tout cas, il semble qu'une telle pratique génèrerait une charge de travail supplémentaire pour les collectivités territoriales… Peut-on alors parler de "gain substantiel" ?
L'Apasp
Références : ordonnance du 10 janvier 2012 du tribunal administratif de Toulon, Société varoise de construction routière ; arrêt du Conseil d'Etat du 2 août 2011, syndicat mixte de la vallée de l'Orge aval.