Archives

Transparence de la vie publique : les élus locaux appelés à plus de vigilance en début de mandat

Les élus locaux qui débutent leur mandat montrent "des difficultés" à "s'approprier" leurs obligations déontologiques. Ainsi, un nombre élevé de ceux qui sont soumis à l'obligation de déposer une déclaration d'intérêts et, le cas échéant, une déclaration patrimoniale auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), omettent de le faire dans les délais légaux. La HATVP dresse ce constat dans son rapport d'activité 2021. Un document dans lequel elle avance aussi une dizaine de propositions, dont l'extension des obligations déclaratives à de nouvelles catégories d'élus locaux.

Huit ans après la publication de la loi sur la transparence de la vie publique, un nombre non négligeable d'élus locaux peinent encore à respecter l'obligation de déposer une déclaration d'intérêts et, le cas échéant, une déclaration de situation patrimoniale. "En dépit des multiples actions de formation et de sensibilisation" sur le sujet, les taux de dépôt des déclarations dans les délais "sont dans certains cas insatisfaisants", regrette la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dans son rapport d'activité pour 2021.

La situation est en réalité inégale selon l'ancienneté des élus locaux dans leurs fonctions. "Les élus achevant leur mandat s’acquittent généralement dans les délais de leur obligation de dépôt d’une déclaration de situation patrimoniale de fin de mandat", constate la Haute autorité dans ce rapport que le président, Didier Migaud a présenté à la presse le 1er juin. 80% à 99% des élus qui, en 2021, avaient ce profil, ont ainsi déposé leur déclaration dans les délais. Il n'en a pas été de même, loin de là, des élus qui débutaient leur mandat. A peine plus de la moitié (52%) des conseillers régionaux et départementaux titulaires d’une délégation de signature ou de fonctions, et qui n'avaient pas la qualité d'élus sortants, ont rempli leurs obligations déclaratives dans les temps. Cela s'explique aisément : parfois "élues pour la première fois", les personnes concernées sont "moins informées de leurs obligations déclaratives".

Relances et injonctions

La Haute autorité a relancé les élus qui se trouvaient en défaut, émettant aussi parfois des injonctions. Des actions suivies en général d'effets, puisque 96% à 99% des élus achevant leur mandat ont finalement déposé leur déclaration. Un score qui est toutefois loin d'être atteint pour les élus en début de mandat. 20% des conseillers régionaux ou départementaux titulaires d’une délégation de signature ou de fonctions n'avaient toujours pas rempli leur obligation un mois après l’expiration du délai légal de dépôt des déclarations. La HATVP a transmis leur dossier au procureur de la République.

Autre inquiétude : lorsque les élus locaux ont déposé leur déclaration, ils ont fréquemment commis des erreurs ou des oublis. La faute revient là encore au manque d'expérience des nouveaux élus, mais aussi aux "exigences accrues" imposées aux déclarants. La HATVP évoque "de simples erreurs matérielles", ainsi que des omissions, souvent constatées, concernant "la participation de ces élus aux organes dirigeants d’organismes satellites des collectivités, au sein desquels ils siègent en tant que représentant de leur collectivité". Au total, en tenant compte de l'ensemble des déclarants, la HATVP a transmis au parquet 11 dossiers comportant des manquements, dans le cadre des contrôles au fond qu'elle a effectués.

En comptabilisant les signalements au parquet dans le cadre des contrôles et ceux pour non-dépôt d’une déclaration, le nombre de dossiers transmis à la justice par la Haute autorité depuis 2014 s’élève à 178. Les investigations sont encore en cours pour la plupart. Mais certains sont clos. Ainsi, 28 ont fait l’objet de "condamnations ou de mesures alternatives aux poursuites" et 7 ont donné lieu à un rappel à la loi.

Risques de conflits d'intérêts

A l'occasion des contrôles des déclarations d'intérêts des élus locaux, la Haute autorité a identifié des risques de conflits d'intérêts pour environ 80% des élus municipaux, communautaires et départementaux. Elle a formulé des mesures de prévention à l'attention de chacun de ceux-ci.

Au sujet des risques de conflits d'intérêts et de prise illégale d'intérêts, la HATVP note que la récente modification intervenue dans le cadre de la loi "3DS" au profit des élus siégeant dans des organismes extérieurs demeure imparfaite. Les nouvelles dispositions excluent par principe ces risques lorsqu’un élu participe, comme membre de l’organe délibérant d’une collectivité ou d’un groupement de collectivités, à une délibération portant sur un organisme extérieur dans lequel il siège comme représentant de cette collectivité ou de ce groupement. Elles ne sont toutefois opérantes que lorsque la désignation de l’élu est intervenue "en application de la loi". Mais, selon la HATVP, "il paraît peu aisé", pour un élu local, de savoir de manière certaine si sa désignation répond à cette condition. La Haute autorité préconise par conséquent de "définir des critères" permettant de déterminer quels sont les organismes pour lesquels les élus représentant leur collectivité ne sont pas tenus de "se déporter" (c'est-à-dire s'abstenir de prendre part à des débats et un vote).

Reconversions professionnelles

Abordant aussi les contrôles des mobilités public-privé et des cumuls d'activités, la HATVP constate que les administrations ont "une appropriation encore insuffisante" de ceux-ci. S'agissant en particulier des projets professionnels dans le secteur privé, elle préconise un élargissement des contrôles aux vice-présidents et conseillers délégués des conseils régionaux et départementaux et des établissements publics de coopération intercommunale de plus de 100.000 habitants, aux adjoints au maire des communes de plus de 100.000 habitants et, plus généralement, à toutes les personnes titulaires de fonctions exécutives locales soumises à des obligations déclaratives auprès de la HATVP. La Haute autorité estime que pendant les trois années suivant la fin de leurs fonctions, ces personnes devraient avoir pour obligation de la saisir avant toute reprise d’une activité professionnelle dans le secteur privé. Ceci pour prévenir tout risque de prise illégale d'intérêts. Actuellement, l'obligation de saisine ne s'impose qu'aux chefs d'exécutifs locaux soumis à des obligations déclaratives auprès de la HATVP. L'autorité indépendante ajoute que les contrôles des départs vers le secteur privé devraient aussi s'imposer aux agents – quel que soit leur statut – employés par "les établissements publics rattachés aux collectivités territoriales tels que les offices publics de l’habitat".

Culture de la prévention des conflits d'intérêts

Chargée aussi de réguler l'action des lobbies auprès des pouvoirs publics, la HATVP avait alerté sur la nécessité de resserrer le champ des contrôles qui seront opérés à partir du 1er juillet prochain dans le cadre des actions conduites auprès des collectivités locales. Le message a été entendu, puisque la récente loi 3DS restreint leur application à venir aux entités locales de plus de 100.000 habitants, soit 42 communes et 130 EPCI à fiscalité propre. Auparavant, le dispositif concernait 490 communes et 741 EPCI à fiscalité propre. A partir du 1er juillet prochain, les représentants d’intérêts devront donc déclarer, sur un répertoire numérique tenu par la Haute autorité, leurs actions de lobbying auprès des élus et des agents concernés. Mais, selon l'instance, ce cadre juridique gagnerait à être encore adapté, afin de prendre en compte notamment les particularités des entreprises publiques locales. "Les responsables de ces entreprises, potentiellement représentants d’intérêts au sens de la loi, peuvent être en même temps les personnes publiques décisionnaires (maire ou président d’EPCI, par exemple) auprès desquelles l’entreprise réalise des actions d’influence", explique la HATVP.

Si les élus locaux ne déposent pas encore tous leurs déclarations dans les délais et si la législation en matière de déontologie est encore perfectible, le président de la HATVP se félicite de la progression de "l'acculturation des décideurs publics" aux questions d'éthique publique. Ils "sont de plus en plus sensibilisés aux situations à risque et interrogent les référents déontologues ou la Haute Autorité", observe-t-il dans un entretien publié dans le rapport d'activité. Didier Migaud constate de plus que "peu à peu, les déclarants intègrent aussi les avantages qu’ils peuvent tirer du contrôle de leurs déclarations, notamment en matière de prévention des conflits d’intérêts".