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Environnement - Transition énergétique : le Cese entre dans le débat

En écho au débat national sur l'énergie, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a présenté ce 8 janvier deux projets d'avis sur le sujet. Il considère que l'efficacité énergétique recèle un gisement d'économies qu'il faudrait mieux exploiter, notamment dans le bâtiment, premier secteur en termes de consommation.

Le Cese s'était saisi du sujet il y a dix-huit mois, bien avant qu'il ne soit question d'un débat sur l'énergie, a prévenu Anne-Marie Ducroux, présidente de la section environnement, lors de la présentation des deux projets d'avis sur la transition énergétique et sur l'efficacité énergétique produits par sa propre section et par celle des activités économiques.
Le Cese appelle à faire du thème de l'efficacité énergétique un "objectif prioritaire". Définie comme "une consommation en énergie moindre pour le même service rendu", elle pourrait devenir "la première source potentielle d'énergie domestique à l'horizon 2020", affirment les rapporteurs du projet d'avis, Jacky Chorin, juriste, secrétaire fédéral de la fédération FO Energie et Mines, et Anne de Béthencourt, chargée des relations extérieures au sein de la Fondation Nicolas Hulot. Selon eux, "tout invite" à faire de l'efficacité énergétique "un marché clé du futur et une filière créatrice d'innovation", notamment l'augmentation prévisible du prix de l'énergie et l'obligation de réduire par 4 les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Mais cette ambition implique deux grandes orientations, soulignent-ils. "Au niveau communautaire, l'objectif du paquet climat énergie de 20% d'économies d'énergie à l'horizon 2020 doit devenir contraignant ; et au niveau français, les politiques publiques d'efficacité énergétique doivent s'inscrire dans une vision à long terme, s'appuyer sur les acquis du Grenelle de l'environnement et éviter tout contre-signal qui affaiblirait la progression des efforts."

Pour un taux de TVA réduit sur les travaux d'efficacité énergétique

Ils articulent leurs propositions autour de quatre grands sujets. "Le secteur du bâtiment, qui consomme près de la moitié de l'énergie de notre pays, est celui sur lequel l'effort le plus important est demandé", expliquent les rapporteurs. Le gouvernement s'est fixé l'objectif ambitieux de 500.000 rénovations thermiques par an alors que le Grenelle en visait 400.000 à partir de 2013. Pour atteindre cette cible, il faudra s'attaquer à certains freins ou incohérences qui n'incitent pas a priori les professionnels à poursuivre leur effort de formation et de structuration de la filière "alors que cet objectif de 500.000 rénovations représente un potentiel de maintien ou de création de 100 à 150.000 emplois", estiment les rapporteurs. Parmi les mesures urgentes à prendre, il faudrait selon eux que les travaux d'efficacité énergétique bénéficient du taux réduit de TVA à 5% au même titre que les biens et services de première nécessité, au lieu des 10% annoncés par le gouvernement. Autre disposition importante à leurs yeux : publier enfin le décret d'application de la loi Grenelle 2 précisant les modalités et la nature des travaux d'efficacité énergétique pour les bâtiments tertiaires publics et privés. Ils plaident aussi pour une adaptation de la formation professionnelle à l'évolution de la filière et aux nouveaux besoins du marché et attendent une confirmation de l'entrée en vigueur du principe d'éco conditionnalité des aides publiques - autrement dit une subordination du versement des aides au respect de normes environnementales - au 1er janvier 2014.
Par ailleurs, "la réussite de ce mouvement passe aussi par l'implication et l'information des citoyens : c'est l'enjeu de la généralisation des compteurs communicants en électricité et gaz (gains de consommation pouvant aller jusqu'à 15%), de l'individualisation des charges de chauffage dans le logement collectif (réduction de facture énergétique de 15 à 20%) ou d'un diagnostic de performance énergétique amélioré", ajoutent les rapporteurs. En même temps, insistent-ils, le coût des opérations – 50 milliards d'euros, soit 6 milliards par an pour les seules collectivités publiques, selon une évaluation de l'Association des maires des grandes villes de France – oblige à innover dans l'accompagnement financier. Ils recommandent ainsi que la Caisse des Dépôts lance l'étude d'un programme innovant de soutien à l'efficacité énergétique qui permettrait d'augmenter les ressources financières dédiées. "La BPI, annoncée comme la banque de la transition écologique, doit également jouer un rôle important dans la dynamique des marchés de l'efficacité énergétique, pointent-ils. Les idées innovantes d'un programme de soutien à l'efficacité énergétique et de mécanismes de tiers investissement sont prometteuses pour mobiliser plus de fonds sans creuser la dette publique." Toujours dans le domaine financier, ils appellent à soutenir l'éco-prêt logement social, à confier la responsabilité du contrôle technique de l'éco-PTZ à un tiers certificateur ou à une entreprise sous mention "reconnu Grenelle environnement", et à réformer en profondeur, en le simplifiant, le mécanisme des certificats d'économie d'énergie.

Amplifier la lutte contre la précarité énergétique

Le deuxième grand sujet développé dans le projet d'avis est celui de la précarité énergétique. "3,8 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique et éprouvent des difficultés à se chauffer. Nous ne pouvons admettre cette situation", poursuivent les rapporteurs. Ils préconisent donc d'amplifier le programme "Habiter mieux", de favoriser le repérage et l'accompagnement des personnes en situation de précarité énergétique et de généraliser une aide pour le chauffage à toutes les énergies. "Nous appelons également à une concertation immédiate pour intégrer la performance énergétique dans les critères de décence pour la location des logements", ajoutent-ils.
Par ailleurs, ils considèrent que l'industrie (21%) et l'agriculture (3%), qui représentent à elles seules près d'un quart de la consommation finale en France, recèlent un "potentiel d'économies d'énergie rentables". Ils citent notamment la directive éco-conception comme un instrument puissant d'incitation pour les industriels. Dans ce secteur, une application ambitieuse de ce texte générerait selon eux un potentiel d'économies de 90 milliards d'euros en Europe, soit 280 euros par ménage. Ils jugent aussi que l'agriculture pourrait contribuer à l'objectif d'efficacité énergétique, notamment en intégrant des objectifs de réduction des consommations énergétiques dans les mesures de verdissement de la prochaine politique agricole commune (PAC). La dernière partie de ce projet d'avis porte sur la situation spécifique de l'outre-mer. Il recommande également une réadaptation des outils existants afin de se doter d'une structure globale de financement axée sur l'efficacité énergétique. "La période qui s'ouvre est décisive", conclut le Cese, qui "invite à ce que l'efficacité énergétique ne soit pas considérée comme une variable d'ajustement mais bien comme une ressource énergétique en tant que telle".

Anne Lenormand

Une feuille de route pour 2020-2050

Le projet d'avis du Cese sur la transition énergétique, dont les rapporteurs sont le climatologue Jean Jouzel et Catherine Tissot-Colle, directeur communication et développement durable du groupe Eramet, vise à mettre au service des pouvoirs publics une série de préconisations pour une transition énergétique échelonnée dans le temps, d'aujourd'hui à 2050. Une transition qui doit être mise "au service de la performance économique et sociale", insistent les rapporteurs qui développent d'abord les attentes du Cese vis-à-vis du débat national qui va véritablement s'ouvrir en janvier.
Ce débat doit selon eux permettre "un résultat pédagogique de diffusion et d'appropriation des principaux enjeux de la transition dans notre pays". Ils soulignent aussi "la nécessaire maîtrise de la demande d'énergie , qu'il s'agisse d'efficacité ou de sobriété", "l'évolution indispensable de notre mix énergétique en concentrant les aides sur les énergies renouvelables présentant un fort potentiel technologique pour les entreprises françaises et celles dont le bilan en termes d'externalités négatives est satisfaisant". Pas question non plus de se contenter d'un simple débat sur le mix de production électrique et la place du nucléaire dans cette production, soulignent-ils : "Ce débat doit être étendu à l'ensemble du bouquet énergétique en intégrant de manière prioritaire la problématique des transports". Pour le Cese, la gouvernance de la transition demande "un cadre volontariste et un partage des responsabilités clarifié, incarné dans des politiques stables, lisibles et compréhensibles par tous". Si l'Etat doit garder son rôle de garant de la cohérence du dispositif, le Cese préconise un renforcement, notamment régional, des programmes opérationnels territoriaux comme les plans climat-énergie. Il juge aussi nécessaire d'encourager la production d'énergie à proximité des lieux de consommation et l'utilisation de la chaleur produite par les réseaux locaux.
"Le passage de la société actuelle à une société sobre en énergie et carbone suppose qu'un prix soit donné à ce dernier", soulignent les rapporteurs qui plaident aussi pour "une véritable politique européenne commune de l'énergie ambitieuse et solidaire, cohérente avec la politique climatique". La question du prix du carbone rejoint celle du financement de la transition. A ce sujet, le projet d'avis prône un "réexamen des mécanismes fiscaux français portant sur l'énergie à l'aune de leur efficacité économique, de la justice sociale et de leur conformité avec les objectifs environnementaux", dont celui de la lutte contre les gaz à effet de serre. En parallèle, il appelle à une "sensibilisation et mobilisation maximales des citoyens et acteurs, tant au niveau national que régional, à travers des actions de formation, d'éducation à l'environnement, de communication associant aussi bien les réseaux associatifs que les entreprises ou les acteurs publics, ou de participation à des projets territoriaux". Enfin, le Cese préconise de soutenir le passage des étapes de R&D au développement de nouvelles filières industrielles. A.L.

 

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