Transition alimentaire : de nouvelles réponses aux besoins de structuration territoriale et de financement
Si la nécessité d’une transition vers un système alimentaire plus durable et ancré dans les territoires fait désormais l’objet d’un large consensus, les modalités de mise en œuvre de tels changements sont encore complexes à appréhender localement. Fort de son expertise sur des exploitations maraîchères bio en insertion, le Réseau Cocagne propose aujourd’hui son appui aux collectivités et associations désireuses de structurer des "filières bio-solidaires". Par ailleurs, l’accélération de la transition alimentaire nécessitant aussi des financements conséquents, la Banque des Territoires lancé un appel à manifestation d’intérêt doté de 23 millions d’euros pour les trois prochaines années. Par des investissements en fonds propres ou quasi-fonds propres dans des outils de transformation, des plateformes de distribution, des projets d’économie circulaire ou encore des tiers-lieux alimentaires, l’objectif est d’accompagner le système alimentaire vers "plus de durabilité et de résilience".
Manque de main-d’œuvre au moment des récoltes du printemps 2020, fermeture des marchés, des restaurants et des cantines scolaires, inquiétudes sur les circuits d’approvisionnement et réflexions sur la souveraineté alimentaire de la France, précarisation d’une partie de la société imposant d’intensifier l’aide alimentaire… en matière d’alimentation, la crise du Covid-19 a constitué un accélérateur des prises de conscience sur la fragilité de notre système mais aussi des initiatives destinées à trouver des solutions (voir nos articles d’avril et de juin 2020, de mars et de mai 2021). Alors que les associations d’élus affirment la nécessité d’une transition alimentaire ancrée dans les territoires, le gouvernement a lancé ces derniers mois toute une série d’appels à projets dans le cadre du plan de relance, notamment en faveur des projets alimentaires territoriaux (PAT), des jardins partagés, de l’accès de tous à une alimentation saine et durable et de l’agriculture urbaine (les "quartiers fertiles").
Autour de l’agriculture et de l’alimentation, l’ambition consiste à relever simultanément les défis de sécurité alimentaire, de préservation de l’environnement et des ressources, de santé, de justice sociale et de développement local. Et si les initiatives se multiplient sur les territoires, elles n’apportent souvent qu’une partie de la réponse, sans forcément de coordination entre elles malgré le développement des PAT (voir notre article de mars 2021). "On se rend compte aujourd’hui qu’il y a beaucoup de projets qui se construisent à l’aveugle les uns des autres, à l’échelle des collectivités comme des porteurs de projet tels que les associations", observe Julien Adda, directeur du Réseau Cocagne, interrogé par Localtis. Il importe selon lui d’identifier ces intentions de projets, pour mieux les articuler dans des projets de territoire.
Filières alimentaires territoriales : s’adresser aux plus exclus pour "toucher à l’universalité"
Soutenir la structuration de "filières bio-solidaires" : c’est ce que le Réseau Cocagne se propose d’expérimenter avec l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) qu’il a lancé ce 6 juillet 2021 auprès des collectivités et des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS). Lauréat de plusieurs appels à projets de France Relance sur l’insertion par l’activité économique (IAE), la structuration de filières locales et l’alternative à l’aide alimentaire, le Réseau Cocagne va continuer à accompagner la mise en route de Jardins de Cocagne, ces exploitations maraîchères bio en insertion qui ont été inventées en 1991 et sont aujourd’hui une centaine en France. Désormais, il s’agira d’adosser les nouveaux jardins à des associations ayant "les reins suffisamment solides pour pouvoir assumer les cinq premières années entre l’émergence, la création et l’installation", explique Julien Adda. Intégrés dans un parcours d’accompagnement individuel et collectif, une dizaine de porteurs de projet bénéficieront d’une expertise agronomique et d’un appui en ingénierie – diagnostic de territoire, construction d’un réseau d’adhérent, structuration de débouchés, etc.
Les collectivités, en particulier les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), sont invitées à répondre à l’AMI pour accompagner l’émergence et le développement du projet, identifier si besoin une structure porteuse ou soutenir son montage (sous forme d’association ou de société coopérative d’intérêt collectif notamment). L’idéal étant, pour le Réseau Cocagne, que les départements – au titre de l’insertion sociale et de la cohésion territoriale – et les régions – au titre de l’ESS et du développement économique agricole – s’impliquent également, pour consolider le projet.
"L’offre créée sera forcément contributive d’un projet de territoire, qu’il soit projet alimentaire territorial (PAT) ou territoire zéro chômeur, pôle territorial de coopération économique (PTCE), une suite d’agenda 21, un projet de métropole ou de département", anticipe Julien Adda. Pour ce dernier, si le projet a dès le départ l’ambition de s’adresser aux personnes pauvres et exclues, "alors on a une chance de toucher à l’universalité". Si le Réseau Cocagne a été autant sollicité depuis le début de la crise sanitaire, c’est pour son expertise particulière mêlant maraîchage biologique, insertion par l’activité économique (IAE) et distribution en circuits courts, avec également une offre de paniers solidaires pour les plus fragiles. Au-delà des projets de Jardins de Cocagne – qui sont le support d’ateliers chantiers d’insertion -, l’accompagnement pourra porter sur la création d’activités de transformation et de plateformes logistiques en insertion, ou encore de tiers-lieux alimentaires. De tels investissements peuvent être notamment soutenus par le ministère du Travail, dans le cadre de France Relance ou via le fonds départemental d’insertion accordant des aides au démarrage et au développement.
Financer toute la chaîne de valeur pour "accélérer la transition alimentaire"
Si l’enjeu de structuration est premier, c’est bien l’accès à des financements qui permettra aux filières alimentaires territoriales de se développer. Pour "accélérer la transition alimentaire", la Banque des Territoires a lancé le 28 juin 2021 un AMI à destination de structures de l’ESS, de l’économie mixte ou plus largement de l’économie "à impact" (entreprises solidaires d’utilité sociale, entreprises à mission, etc.) Ouvert jusqu’en 2023 et doté de 23 millions d’euros, ainsi que de 5 millions d’euros supplémentaires de crédits d’ingénierie, l’AMI vise à "intervenir sur l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire, de la production - dans certains cas spécifiques - à la consommation, en passant par les étapes de transformation, de distribution et notamment en circuits courts et de revalorisation des déchets", précise à Localtis Hugo Menestret, chargé d’investissement à la Banque des Territoires. Il s’agit selon lui d’accompagner le système alimentaire vers "plus de durabilité et de résilience", soit "d’améliorer à la fois sa capacité à préserver et à régénérer les ressources naturelles et sa résistance à tout type de menaces et de chocs qui peuvent advenir".
Mobilisés depuis 2019 dans ce secteur, des investissements en fonds propres ou quasi fonds propres ont d’ores et déjà été réalisés dans des légumeries en insertion, des fermes urbaines, ou encore des coopératives développant des ceintures maraichères à l’extérieur des villes. Dans le cadre de l’AMI, la Banque des Territoires financera notamment des projets issus de PAT, en particulier lorsqu’il s’agira de projets de filières locales intégrées – composées d’activités de production, de transformation ou préparation et de distribution. Autres projets ciblés : des démarches de production assorties d’une prise en compte globale de la chaîne de valeur (de type permaculture ou aquaponie), des outils de transformation, des plateformes logistiques de denrées alimentaires, des marchés d’intérêt local ou des plateformes de distribution en partie dématérialisée, des projets d’économie circulaire liée à l’alimentation ou encore des tiers-lieux alimentaires. Les projets devront être suffisamment aboutis et d’envergure – au moins 500.000 euros de besoin de financement – pour faire l’objet d’un investissement de la Banque des Territoires qui interviendra principalement en prêt subordonné à intérêt participatif (d’un montant minimal de 200.000 euros). Un premier relevé de candidatures aura lieu à l’automne 2021 avant d’autres sessions, la Banque des Territoires espérant financer dans ce cadre 50 à 100 projets au cours des trois prochaines années.