Transfert des digues aux autorités "gemapiennes" : un décret tente de colmater la brèche
En 2024, la gestion des digues domaniales sera transférée aux autorités exerçant la compétence Gemapi. Avec la loi Maptam, le législateur avait octroyé un délai transitoire de dix ans que l’Etat n’a visiblement pas mis à profit pour baliser le terrain. Pour panser cette impréparation, un décret, paru ce 23 novembre, précise in extremis les modalités opérationnelles du transfert.
Un décret (n°2023-1074), paru ce 23 novembre, apporte "des précisions" sur les modalités selon lesquelles la commune ou un groupement de collectivités territoriales (EPCI à fiscalité propre ou groupement de type syndicat mixte) qui exerce la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) est substitué à l'Etat pour la gestion des digues domaniales. Dix ans, c’est le délai octroyé par le législateur dans le cadre de la loi Maptam pour préparer le transfert des digues de l’Etat vers les autorités "gemapiennes". A l’approche de cette échéance cruciale, "des questionnement portant sur les modalités opérationnelles du transfert de ces ouvrages se sont présentés", reconnaît le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Un doux euphémisme… A la suite d’échanges avec les collectivités concernées et les associations d’élus, le gouvernement a donc jugé nécessaire de clarifier le cadre et les modalités du transfert de gestion. C’est l’objet du présent décret.
Impréparation de l'Etat
Cette substitution intervient à l'issue de la période transitoire (c'est-à-dire au plus tard à compter du 29 janvier 2024) pendant laquelle l’Etat, en tant que gestionnaire historique, est tenu de poursuivre cette gestion des digues pour le compte du "gemapien". Malgré le délai prévu par la loi Maptam, force est de constater "une insuffisance de préparation du transfert des digues domaniales", déplore le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) dans un avis défavorable du 7 septembre 2023. Aucun recensement n’a en particulier été réalisé depuis 2014 "ce qui ne permet pas d’avoir une vision claire des ouvrages concernés ni de prendre connaissance des éventuelles disparités territoriales", relève-t-il. Et les conséquences financières de ce nouveau transfert de gestion, qui "vient grever les budgets locaux", "n’ont pas été assez anticipées". Le transfert des digues domaniales porte sur 1.000 km d’ouvrages dont l’état est particulièrement incertain en fonction de leur localisation. Selon les élus du CNEN, la seule réalisation d’une mission de diagnostic de ces ouvrages représenterait une dépense d’un milliard d’euros. Ces derniers alertent par ailleurs sur "les travaux d’envergure à prévoir dans les années à venir pour adapter les digues aux effets du changement climatique". La somme pourrait atteindre 15 milliards d’euros.
Une convention ou pas
Le ministère voit dans les conventions de mise à disposition des digues (prévues à l'article L.566-12-1 du code de l’environnement) "un outil opérationnel" permettant de résoudre les éventuelles difficultés constatées par les parties prenantes. Le décret indique que ces conventions prennent effet au plus tard le 29 janvier 2024. Il est prévu qu’en l’absence d’une telle convention, la gestion de la digue par l’autorité "gemapienne" débute également à la même date. Une "substitution automatique" - via un arrêté préfectoral - qui heurte sans surprise le bloc communal. Le décret précise qu’est annexé à cet arrêté "un procès-verbal, établi après échange contradictoire avec les représentants de la commune ou du groupement de collectivités territoriales bénéficiaire du transfert des digues, comportant les indications figurant aux 1° à 6° de l'article 4", c’est-à-dire ni plus ni moins que les éléments de contenu de la convention.
Poursuite des marchés publics
Le texte détaille l'ensemble des droits et obligations, notamment contractuels, liés à ces ouvrages que le "gemapien" reprend à son compte en tant que gestionnaire quand la période de transition cesse. Lorsqu’un marché public initialement passé par l’Etat est toujours en cours d’exécution à la fin de la période transitoire, le principe posé est que le "gemapien" se substitue à l’Etat pour la poursuite de ce marché. "Les contrats et marchés publics sont exécutés dans les conditions antérieures jusqu'à leur échéance, sauf accord contraire de la commune ou du groupement de collectivités territoriales compétent pour la défense contre les inondations concerné et du cocontractant", temporise le texte.
Par dérogation, le décret permet, à la demande de l’autorité "gemapienne", que l’Etat puisse poursuivre l’exécution de ces contrats de travaux ou de services jusqu’à leur terme. A cette exception près, l’ensemble des autres travaux indispensables à l’entretien des digues incomberont aux seules collectivités "sans concours financiers supplémentaires", s’inquiète le CNEN.
Un patchwork financier
La question financière est abordée - en partie - par un second décret (n°2023-1075) publié concomitamment. L’Etat y garantit le soutien au titre du fonds Barnier à hauteur de 80% jusqu’en 2035 pour le financement des études et travaux de mise en conformité des digues dont la gestion a été transférée de l'Etat à une collectivité après le 1er janvier 2018. Le texte prévoit en outre une "soulte" (le cas échéant, versée en plusieurs fois) pour financer des opérations relatives à des investissements au bénéfice de l'ouvrage dont la gestion est transférée, autrement dit il permet une prise en charge de la compensation prévue au IV de l’article 59 de la loi Maptam. Le ministère table également sur les crédits spécifiques à destination des collectivités gestionnaires des digues dans le cadre du fonds vert. Et pour compléter, la gestion courante devrait également être assurée par la taxe Gemapi. Des discussions ont par ailleurs été engagées avec certaines collectivités "pour étudier des possibilités d’accompagnements financiers complémentaires", fait valoir le ministère devant les élus du CNEN. Pas de quoi les satisfaire au regard de coûts de gestion exponentiels, "notamment en raison de l’absence de travaux d’entretien depuis 2014", pointe l’instance. Pour faire face, certaines collectivités se verront contrainte d’augmenter la taxe Gemapi, regrettent les élus, d'autant que sa vocation première n’est pas d’accompagner la gestion des digues transférées par l 'Etat. Quant au fonds vert, il "n’est pas extensible", rappelle le CNEN, qui plaide pour "l’élaboration d’un fonds spécifique compte tenu des investissements futurs à prévoir à destination des ouvrages de protection".
Notons que le décret (n°2023-1074) introduit une adaptation du décret n°2018-514 du 25 juin 2018 relatif aux subventions de l'Etat pour des projets d'investissement quand une demande de subvention du "gemapien" porte sur des travaux qui font l'objet d'un marché en cours conclu initialement par l'Etat. Il facilite aussi la procédure de désaffectation d'une digue domaniale qui vient d'être transférée dans le cas où elle n'a plus d'utilité pour la prévention des inondations. Enfin, le texte clarifie le fait que la Gemapi s'applique dans les conditions de droit commun en Moselle et en Alsace.
Références : décret n°2023-1074 du 21 novembre 2023 relatif au transfert de la gestion des digues domaniales aux communes et groupements de collectivités territoriales compétents en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations ; décret n°2023-1075 du 21 novembre 2023 relatif au soutien du fonds de prévention des risques naturels majeurs aux travaux de mise en conformité des digues domaniales transférées, JO du 23 novembre 2023, textes n°17 et 18. |