Tournages en France : l'État veut doper l'offre des studios

Un appel à projets visant à développer et à enrichir l'offre des studios pour attirer plus de tournages en France vient de livrer son verdict. Plusieurs régions pourraient être positivement impactées dans un secteur marqué par une très forte concurrence européenne.

La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, et le secrétaire général pour l'Investissement, Bruno Bonnell, ont annoncé le 19 mai, à l'occasion du Festival de Cannes, la liste des lauréats de l'appel à projets "La grande fabrique de l'image" de France 2030. Cette initiative dotée de 350 millions d'euros et mise en œuvre par la Caisse des Dépôts et le Centre national du cinéma (CNC) vise à faire de la France un leader des tournages, de la production de films, séries et jeux vidéo, de la post-production et de la formation aux métiers du cinéma et de l'audiovisuel.

Pourquoi un tel investissement ? Selon la ministre de la Culture, "les perspectives sont sans précédent pour tous les acteurs de la création et de la production", au point que "le volume des productions pourrait doubler d'ici 2030". Or, la France est actuellement "sous-dotée en infrastructures de tournages".

La France derrière la Hongrie

Dès 2019, un rapport adressé au CNC et à Film France – dont la mission est d'encourager les tournages en France – estimait que les studios susceptibles d'accueillir les productions de séries ou de "blockbusters" internationaux faisaient défaut. En termes de surface totale de studios, la France se positionne, avec 58.000 m2, derrière la Hongrie, l'Allemagne et surtout le Royaume-Uni et ses 360.000 m2. En outre, le nombre de plateaux par studio, la surface des plateaux et la surface des décors extérieurs permanents y sont bien inférieurs.

Les studios français se caractérisent également par une gamme de services peu développée, ce qui accroît leur dépendance économique au seul taux d'occupation, alors que, de surcroît, ils ne sont le plus souvent pas propriétaires de leur foncier.

Si l'on ajoute à cela les forts investissements dont certains pays ont récemment bénéficié – à l'instar des 2 milliards de livres sterling investis au Royaume-Uni et des 300 millions d'euros investis à Cinecitta, en Italie –, on comprend la volonté de la France de "moderniser et amplifier" son appareil de production.

Activités à haute rentabilité

La solution prônée par le ministère de la Culture consiste à attirer d'importants investisseurs en pariant sur une hausse des retours sur investissements, actuellement très faibles en France, puisqu'un plateau coûtant 1,7 euro le mètre carré à la journée ne se loue que 1,8 euro. "Pour faire remonter les prix, avance le ministère de la Culture, il faut réinvestir et rebâtir un tissu industriel en France." Autrement dit, développer des activités à plus haute rentabilité, ce qui passe par la propriété foncière, qui accroît la capacité d'investissement à long terme, mais aussi par une palette de services allant des expertises techniques spécifiques (armuriers, cascadeurs, etc.), à la post-production et prévisualisation (effets spéciaux, nouvelles technologies, etc.), jusqu'aux services financiers (coproduction, aide à l'obtention de subventions, etc.), voire l'hôtellerie ou les visites touristiques.

C'est donc avec cette ambition que 68 dossiers, sur 175 candidatures, ont été retenus dans le cadre de l'appel à projets "La grande fabrique de l'image". Si la moitié concerne des organismes de formation,  onze studios de tournage, douze studios d'animation et cinq studios d'effets spéciaux et de post-production font partie des lauréats.

L'Île-de-France largement aidée

Parmi les onze studios de tournage lauréats, cinq se situent en Île-de-France. Les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie en comptent deux chacune, le Grand Est et les Hauts-de-France un. Ici, le ministère de la Culture évoque un "saut industriel" qui va plus que doubler la surface de plateaux de tournage, pour atteindre 153.000 m², et multiplier par près de quatre celle des décors extérieurs permanents, pour atteindre 187.000 m². Cela placera la France en tête de l'Europe continentale.

L'Île-de-France prédomine encore parmi les studios de production numérique pour l'animation avec cinq sites lauréats. Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France en dénombrent deux, la Bretagne, la Nouvelle-Aquitaine et l'Occitanie un. Enfin, les studios d'effets visuels numériques et de post-production se concentrent en Île-de-France (3) et en Occitanie (2).

Si l'on met de côté les aides aux studios de jeu vidéo et à la formation pour s'en tenir aux seuls studios amenés à proposer une nouvelle offre française en matière de production audiovisuelle et cinématographique, huit régions sont concernées et l'Île-de-France compte treize lauréats sur vingt-huit, soit quasiment la moitié. Ce sont elles qui peuvent espérer des retombées directes ou indirectes estimées à 7,60 euros pour chaque euro investi dans un tournage.

Une équation à plusieurs inconnues

Le "saut industriel" attendu aura-t-il bien lieu ? Le ministère de la Culture prend bien soin de préciser que les nouvelles capacités d'accueil de tournages de la France ne se concrétiseront que "si la totalité des projets vont à leur terme". Or les financements de l'appel à projets – dont les montants individuels n'ont pas encore été communiqués – ne pourront représenter que 25% au maximum des dépenses à venir et devront donc être largement abondés par des investissements de la part des porteurs de projets et, le cas échéant, de leurs partenaires.

Mais surtout, il faudra occuper les nouvelles surfaces de studios construites. Si la production au niveau mondial est à la hausse, la concurrence internationale, a fortiori avec les pays voisins, est rude. D'autre part, le ministère de la Culture reconnaît lui-même que les prix de location des studios sont "stables en Europe". Or en matière de studios, c'est par définition l'aspect économique avant tout autre considération qui entre en jeu. Dans ces conditions, toute hausse des tarifs présente un risque de voir s'envoler les clients.

L'équation à résoudre sera donc la suivante : comment attirer de nouveaux tournages dans des studios agrandis, équipés du dernier cri en matière technologique et dont les investisseurs espèrent une meilleure rentabilité tout en restant compétitifs face à nos voisins, dont certains, à l'image du Royaume-Uni, pratiquent un crédit d'impôt "très favorable" ? Pour corser la difficulté, l'État espère un "changement d'échelle au profit de la création française". Or on apprend par un récent rapport parlementaire que si la France a accru sur une longue période sa production de films, la fréquentation n'a pas suivi cette production, ce qui s'est traduit par des devis moyens en baisse. Autrement dit, il ne faudra pas forcément compter sur les productions françaises pour remplir les carnets de commandes des nouveaux studios, surtout si leurs prix augmentent…