Toilettes scolaires : comment le corps des enfants et leurs besoins sont-ils pris en compte à l’école ?

Les auteurs d’un ouvrage "Penser les toilettes scolaires : genre, intimité et sociabilité" ont décortiqué le vécu des enfants de la maternelle au lycée dans ces "petits coins" de l’école où se construisent "des apprentissages informels au fil de la scolarité". Du manque d'intimité à la vétusté, en passant par l'absence de poubelles pour jeter les protections hygiéniques, il ressort de ces travaux que les toilettes doivent être rénovées mais surtout repensées "à partir des usages des enfants".

Que se passe-t-il dans les toilettes des établissements scolaires ? Selon qu’ils sont "filles" ou "garçons", "grands" ou "petits", quel regard portent les enfants sur ces espaces collectifs et individuels ? Comment les occupent-ils à mesure qu’ils grandissent, que les portes se ferment, que des murs s’élèvent et que la possibilité leur est offerte de se retrouver seuls à l’abri du regard des autres ?  En résumé, comment le corps des enfants et leurs besoins sont-ils pris en compte à l’école ? Autant de questions auxquelles le livre "Penser les toilettes scolaires : genre, intimité et sociabilité", présenté lors d'un webinaire organisé le 29 mars 2023, répond. Pour écrire cet ouvrage, les quatre auteurs se sont déplacés sur le terrain, en école maternelle, élémentaire, au collège ou au lycée, à la fois pour visiter les lieux, parfois les faire photographier par les enfants et pour recueillir les témoignages des jeunes et des adultes qui les encadrent. 

En maternelle, les enfants ne "font pas caca à l’école"

Et tout commence par la maternelle, où l'enfant doit "devenir propre" pour passer du "statut de bébé à celui d'élève", résume Gladys Chicharro, ethnologue et sinologue, maîtresse de conférences au département de sciences de l’éducation de l’université Paris 8. Pour l'enfant, "être autonome", "savoir se retenir" est une "capacité scolaire". "Il apprend à différer la satisfaction immédiate de ses besoins", décrit Gladys Chicharro. 

A ce stade, il ressort des témoignages que "les enfants apprécient leurs toilettes et leur petite taille", souligne l'ethnologue. Question pudeur et intimité, elle voit dans l'apparition des cloisonnettes une bonne "solution pour délimiter les espaces intimes des enfants". "C'est un progrès même si ce n’est pas idéal", concède-t-elle. Le système français est comparé à celui de la Norvège, où, à niveau équivalent, les toilettes sont déjà un espace clos par une porte pleine. 

Gladys Chicharro décrit aussi "des rituels" qui s’instaurent avant la récré, avant la sieste…Ce sont les Atsem qui emmènent les enfants par groupes de quatre ou cinq enfants, "en petit train", une formule qui selon la chercheuse "respecte davantage les besoins des enfants" que d'y aller en classe entière. En tout cas, ces rituels, entièrement confiés aux Atsem, sont "une manière d’imprimer un rythme sur les corps des enfants". Pour autant, très tôt, constate la chercheuse, les élèves de maternelle affirment qu’ils ne "font pas caca à l’école" et qu'ils le font "le matin ou le soir, chez eux mais pas à l’école". Elle relève le malaise des adultes encadrants sur la question de savoir si les enfants sont capables de s’essuyer les fesses tout seuls, du fait, suppose-t-elle, "des craintes liées à la pédophilie". Ainsi, "favoriser l’autonomie de l’enfant, permet de nier ce problème de l'essuyage des fesses", conclut-elle.

Les enfants "architectes de leurs toilettes de rêve"

En élémentaire, les toilettes offrent l'occasion d'un apprentissage d'une culture du corps genrée. Dans l'école visitée par les chercheurs mais dans bien d'autres aussi, c'est déjà, d'un côté les garçons et de l'autre les filles. Celles des garçons seraient-elles plus sales que celles des filles ? La question est posée mais rien ne saute aux yeux des chercheurs. En revanche, Lucette Colin, psychologue clinicienne, docteure en psychanalyse et également maître de conférences au département des sciences de l’éducation de l’université Paris 8, relève que les toilettes sont appréhendées comme un "espace sportif par les garçons" : "on escalade la porte des toilettes des filles, il y a l’idée que les toilettes des filles sont un spectacle alors que pour les filles, c’est le lieu des secrets et d’une intimité collective". C'est donc dès l'élémentaire que les filles intègrent "qu’elles vont être regardées". "Il apparait aussi, ajoute Lucette Colin, que l’adulte éducateur est totalement absent des toilettes à partir de l’élémentaire". Ainsi, les toilettes deviennent un lieu pour se cacher, manger des bonbons, parfois déjà regarder son portable… Pour les enseignants, la question de savoir si une demande d'aller aux toilettes correspond à un besoin physique réel ou un besoin d’échapper au travail scolaire peut se poser.  
Les chercheurs soulignent enfin que les toilettes de l'école élémentaire visitée dans le cadre de la rédaction de ce livre, située en zone d'éducation prioritaire, outre qu'elles sont en nombre insuffisants, sont dans un état de dégradation avancé : absence de lunette, verrous cassés, portes difficiles à fermer, absence de papier toilettes, carreaux cassés …"On sent que les enfants se sont emparés de la photo pour montrer ce qui ne fonctionne pas", relève Lucette Colin. 

Les auteurs ont proposé aux enfants de cette école de devenir "les architectes de leurs toilettes de rêve" en les dessinant. "L’usager, même quand il est un enfant, est une personne ressource", souligne Lucette Colin, qui estime qu'on ne peut rénover qu’à partir des usages des enfants. Il en ressort un modèle qui ressemble à celles que les enfants ont chez eux : a minima les enfants réclament des portes pleines, des systèmes de fermeture simples. Certains suggèrent qu'ils disposent de lingettes, de désodorisant et qu'elles soient chauffées…

Au collège, les adultes se renvoient "le sale boulot"

Au collège, place au jeu de la "patate chaude" où plusieurs catégories d’adultes se renvoient "le sale boulot", décrypte Pascale Garnier, sociologue et professeure en sciences de l’éducation, co-responsable du parcours de master Métiers de la petite enfance, université Sorbonne Paris Nord. Les responsabilités sont partagées mais aussi renvoyées dans ce que les auteurs désignent comme un "marronnier des acteurs scolaires". Lors du webinaire, un graphique est exposé, représentant d'un côté une direction du collège "coincée", des enseignants "à distance", des conseillers principaux d'éducation (CPE) "en première ligne, des surveillants dans la cour pour contrôler", des "agents techniques du département dépassés" et "des parents d'élèves dont les préoccupations évoluent de la 6e à la 3e".  
Dans les toilettes visitées, les chercheurs ont observé côté garçons des urinoirs et des toilettes en nombre très limité par rapport à la population scolaire. Côté filles, ils décrivent beaucoup de détritus, une cloison absente entre deux portes, un distributeur de savon cassé... "S'ils font le bazar, c’est parce que c’est déjà le bazar". Cette petite phrase entendue au sein de l'équipe éducative est rapportée par les chercheurs qui constatent que l’adolescence est désignée comme la "causalité de la vétusté du collège". En 6e, cet espace est toujours un lieu de sociabilité genrée et de réunion pour les filles "avec toujours ces empiètements des garçons chez les filles", constatent les auteurs du livre.  
Les toilettes du collège sont enfin un lieu sous surveillance : "l'accès au papier est restreint - il faut le demander au personnel de la vie scolaire - et des sanctions/réparations sont données aux fauteurs de troubles". 

Au lycée, la bataille de l’intime enfin gagnée

D’un "espace-temps privé à un lieu de rencontres apaisées". Le chapitre du livre consacré au lycée témoigne du fait qu'au lycée, les toilettes sont "enfin propres",  les enfants ont "enfin droit à des portes pleines pour protéger leur intimité", le "droit à des miroirs" et à "un accès libre au papier toilette". Fini le temps où les assistants d’éducation entraient sans crier gare. Les toilettes deviennent de fait le seul lieu de "liberté" du lycée pour "transgresser les interdits". Finies aussi les glissades, jeux d'eau et boulettes de papier collées au plafond des W.C de maternelle et d'élémentaire. Lucette Colin décrit la nostalgie pour les garçons de la descente dans les toilettes des filles mais précise que "la réciproque n’est pas vraie".
Les toilettes lycéennes sont le lieu où l’on peut téléphoner, fumer car "les détecteurs de fumée ne fonctionnent pas", relèvent les chercheurs. C'est même le lieu de possibles relations sexuelles…
"L'ambiance particulièrement détendue permet d'aborder la question des règles", rapporte Lucette Colin. Ce lien identitaire partagé entre les filles leur permet de demander une serviette hygiénique…"Ceci n'allait pas de soi au collège car toutes les filles ne sont pas réglées au collège" et qu'il n'y avait "pas de poubelles à disposition pour jeter les serviettes usagées", regrettent les chercheurs. Ce qui impose aux filles de dissimuler serviettes et tampons hygiéniques. Et si les poubelles ne sont pas ou peu présentes au collège, que dire des écoles, où, au niveau du CM1, CM2 certaines filles ont déjà leurs règles ? "Quand il n’y a pas de poubelle, cela revient à dire que les règles n’existent pas", estime Pascale Garnier, co-auteure, pour qui ça, "c’est d’une violence !".