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Bâti scolaire : à l'école de la transparence

La transparence dans les établissements scolaires a le vent en poupe. Un atelier de la cellule Bâti et espaces d’apprentissage a permis d'en montrer les avantages et d'en souligner les limites.

Alors que le ministère de l'Éducation nationale vient de publier les résultats de la première "enquête de climat scolaire et victimation auprès des élèves de CM1-CM2", un atelier organisé le 15 mars 2022 par la cellule Bâti et espaces d’apprentissage portée par le rectorat de Lyon et l’Institut français de l’éducation-École normale supérieure de Lyon, sur le thème de la transparence à l’école est venu apporter sa pierre à la réflexion. Et il est ressorti de cet atelier, qui a croisé les regards de professionnels issus de l’enseignement, des collectivités territoriales et de l’architecture, que la transparence des espaces scolaires participait à l'apaisement du climat scolaire. Mais pas seulement.

Mais au fait, à quoi fait-on référence quand on évoque la transparence des espaces scolaires ? Pour Paul Emilieu Marchesseau, architecte d’intérieur et designer, la transparence, c'est d'abord "la matérialité et l'agencement des lieux". Olivier Coutarel, proviseur du lycée Saint-Exupéry de Lyon, complète : "La transparence est également une intention symbolique. Les espaces évoluent conformément à l'époque."

Concrètement, la transparence dans le bâti scolaire se matérialise d'abord et essentiellement par des espaces ouverts à la vue de tous. Au lycée Saint-Exupéry, construit en 1963, une restructuration complète a eu lieu en 2011 pour un coût de 25 millions d'euros. Des surfaces vitrées ont été introduites, tant entre les différents espaces intérieurs qu'en certaines zones de contact avec l'extérieur.

Jusqu'auboutisme

Au collège Jean-de-Tournes, à Fontaines-sur-Saône, actuellement en pleine rénovation, les aménagements ont, entre autres, consisté à donner au bureau de la vie scolaire une vue sur le préau et l'ensemble de la cour, et à doter l'établissement de salles de travail ouvertes aux élèves et de "tiers-lieux", à l'image de ces petites cabines situées au milieu d'espaces plus grands pour travailler en petits groupes.

La transparence peut encore être, plus simplement, le fait d'équiper une bibliothèque de meubles bas afin que la vue embrasse tout l'espace, jusqu'à la zone réservée aux postes informatiques. Mais cela peut aller beaucoup plus loin. L'école d'art Camondo, à Toulon, est qualifiée par Paul Emilieu Marchesseau, qui y enseigne, de "jusqu'auboutiste". Chaque étage est un plateau entièrement ouvert – à l'exception d'une seule pièce – où les salles de cours s'agencent selon les programmes à l'aide de cloisons mobiles ou de simples rideaux. Pour cela, deux régisseurs sont chargés de moduler les espaces au fur et à mesure des besoins.

Coconception

Les premières réflexions que les différents intervenants à l'atelier mettent en avant portent sur la conception. Le point commun entre tous les projets est la prise en compte en amont des besoins de chaque usager des lieux. Ceux de la direction de l'établissement et des enseignants en premier lieu, mais aussi ceux des élèves.

Au stade de la conception, Olivier Coutarel insiste encore sur l'allocation des ressources : "Au bout de dix ans, il a fallu changer les moteurs des stores pour un coût de 120.000 euros." Les coûts des matériaux mais aussi de fonctionnement et d'entretien doivent donc être pris en compte dès le début du projet, tout comme leur durabilité. Car la transparence a aussi ses revers…

En termes techniques et financiers, les surfaces vitrées posent d'abord des problèmes thermiques. Froides, elles nécessitent plus de chauffage l'hiver. Quand le soleil tape, en revanche, la température grimpe vite et il faut opacifier ces surfaces. Ces perturbations thermiques peuvent se doubler de perturbations acoustiques dans le cas de grands espaces ouverts. Des problèmes d'entretien surgissent ensuite, car les vitres induisent des coûts de nettoyage importants. Des problèmes de sécurité s'ajoutent à cela, qu'il s'agisse des dégradations et intrusions depuis l'extérieur ou de dangers pour les usagers à l'intérieur en cas de bris.

Stratégies d'évitement

Mais les problèmes les plus fréquents posés par la transparence sont paradoxalement ceux ayant précisément trait à la philosophie même du projet. Autrement dit, la transparence peut être un obstacle en termes pédagogiques ou plus généralement dans la vie de l'établissement scolaire. Elle  met en effet à mal la confidentialité et introduit une distraction visuelle auprès d'un public – les adolescents dans le cas des collèges et lycées – qui n'en a pas besoin.

Pour remédier à ces obstacles, Olivier Coutarel prône "la réversibilité des usages, la possibilité pour l'administration d'occulter les surfaces vitrées si besoin". De son côté, Rachel Vagney, principale de collège Jean-de-Tournes, témoigne que dans son établissement, "les enseignants ont préféré occulter la vision des salles de classe de façon à ce que les élèves qui passaient de l'autre côté des vitres ne s'arrêtent plus pour les regarder". Plus généralement, dans les établissements concernés, il a fallu créer des règles particulières pour éviter les dérangements intempestifs des personnels administratifs travaillant dans des espaces ouverts. "La logique de surveillance induite par la transparence amène à mettre en place des stratégies d'évitement pour échapper aux regards", concède Olivier Coutarel.

Autonomie

Il n'en demeure pas moins qu'en matière de transparence, les avantages sont importants, a fortiori dans des domaines aussi importants que le climat scolaire ou le travail des élèves. Selon Paul Emilieu Marchesseau, la luminosité naturelle offre un "gain pour les apprentissages" tandis que "la vue sur les espaces verts extérieurs est bénéfique". À condition, bien sûr, que cette vue soit bien choisie. C'est le cas dans le Calvados où l'espace d'étude "Réussir autrement" d'un collège propose une vue sur un château, comme le confie Jean-Baptiste Lesaulnier, chargé de missions modernisation et numérique éducatif au conseil départemental.

Pour Rachel Vagney, la transparence procure "sérénité et apaisement du climat scolaire, les élèves font attention à la manière dont ils se conduisent". Ce que confirme Olivier Coutarel, pour qui le fait de "systématiser une liaison visuelle avec l'extérieur permet la régulation des comportements".

Autre bénéfice de la transparence, et plus particulièrement de la modularité des espaces : l'émanation de nouvelles pratiques pédagogiques, à commencer par l'interdisciplinarité à travers le redimensionnement des salles de cours permettant la présence de plusieurs enseignants. Une approche qui a également le mérite d'offrir des "postures enseignants/élèves moins rigides", estime Paul Emilieu Marchesseau.

Mais l'avantage qui revient le plus souvent au cours des échanges est la conduite vers l'autonomie des élèves. Une autonomie notamment recherchée à travers des "studios médias", séparés de la classe par une simple vitre, qui permettent un travail en petits groupes tout en conservant un contact visuel avec le reste des élèves. "Nous avons beaucoup de demandes d'établissements pour ce type d'aménagement", confie Jean-Baptiste Lesaulnier. Alors, la transparence, future priorité dans la construction des établissements scolaires ?