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Architecture scolaire : quand les collectivités orientent l'histoire

Une étude du géographe Pascal Clerc revient sur les grands modèles des bâtiments scolaires à travers l'histoire. Des modèles de plus en plus façonnés par les collectivités territoriales.

L'enseignement se trouve à un tournant historique majeur en ce début de XXIe siècle… et c'est l'architecture des bâtiments scolaires qui nous le dit. Dans une note publiée en janvier 2021, le géographe Pascal Clerc, professeur à l'université Cergy-Paris, raconte une évolution vieille de cinq siècles. Une évolution non linéaire cristallisée autour d'une question : "Doit-on ouvrir [les écoles] au monde extérieur ou au contraire les en séparer ?" Où l'on découvre que les réponses viennent souvent de celles qui sont, depuis les premières lois de décentralisation, chargées de construire et d'aménager les lieux d'enseignement. Nous avons nommé les collectivités territoriales.

À l'appui de sa démonstration, Pascal Clerc décrit quatre modèles historiques. Le premier est celui du "monastère". C'est l'école "Jules-Ferry" de la fin du XIXe siècle, encore très répandu en France, "territoire d’une communauté spécifique au sein duquel il existe des règles spécifiques". Par son architecture, ce modèle poursuit un but : ne pas distraire les élèves de l’étude. "Ainsi, écrit l'auteur, le règlement de 1880 qui définit les normes de construction des écoles primaires précise que la hauteur de l’appui des fenêtres doit être de 1,20 mètre." Pas question de rêvasser en regardant dans la rue ! Autre caractéristique : la cour intérieure est systématiquement fermée. C'est une école "qui isole du monde, mais protège".

Revirement de l'histoire

Le modèle suivant prend le contrepied du précédent. C'est l'"agora" qui "privilégie l’insertion de l’école dans ses environnements par un jeu de circulation des personnes, des objets et des données". L'espace y est ouvert et encourage les circulations entre intérieur et extérieur, à la manière du campus américain ouvert sur la ville. En France, ce modèle fut consacré dans les années 1970.

Par un revirement de l'histoire, un troisième modèle est apparu, la "forteresse". Ici, comme dans le "monastère", il s'agit de contrôler les rapports avec l'extérieur. Mais le prisme a changé. Le souci tient plus de la sécurité que de la recherche de calme et de concentration. La volonté n'est pas de soustraire le regard à l'extérieur mais de contrôler l'accès. "La logique sécuritaire semblant balayer toute autre considération", selon l'auteur. Pascal Clerc note que cette forme s’est considérablement développée à partir des années 2000 et plus encore après les attentats de novembre 2015. Et de citer la région Auvergne-Rhône-Alpes, "à la pointe de cette entreprise" : "En 2018, trois lycées sur quatre y sont équipés d’au moins un dispositif de sécurisation." Une sécurisation qui peut même s'adapter aux nouvelles menaces, sanitaires cette fois : "À la rentrée de septembre 2020, divers établissements scolaires ont expérimenté les caméras thermiques pour détecter la température corporelle des élèves et du personnel."

Intrusion du numérique

"Le modèle de la forteresse n’est plus guère contesté", avance alors l'auteur. Ce modèle entraîne même des revirements. Comme dans cet exemple récent de transformation d'une "agora" en "forteresse". En 1974, le collège du Rheu, près de Rennes, avait ouvert ses portes… ou plutôt n'en avait pas construit. La volonté était d'expérimenter de nouvelles pédagogies et le bâtiment abritait des équipements publics extrascolaires (salle de spectacle) et était en relation directe avec d'autres (bibliothèque, maison des jeunes, résidence pour personnes âgées, etc.). Le tout sans portail ni clôture. Mais en novembre 2020, la commission départementale de sécurité a recommandé l’installation d’une clôture autour du collège en raison de la menace terroriste. Le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine a suivi cette recommandation. L'utopie avait vécu.

Alors, la "forteresse" est-elle là pour longtemps ? Pascal Clerc ne répond pas directement à la question mais imagine déjà un quatrième modèle, en partie virtuel, le "nœud d’échange internet […] qui bouleverse les limites de l’école et le site même de son inscription spatiale par sa mise en réseau à travers la circulation de multiples données numériques". Un bouleversement qui entraîne une interrogation : "On peut se demander si le développement du numérique dans le champ scolaire ne provoquera pas sa fin." Nous n'en sommes pas encore là. Pour l'heure, entre refus d'une technologie qui peut véhiculer le pire et ouverture à une richesse éducative quasi illimitée, "les acteurs du monde éducatif hésitent", pointe l'auteur. Finalement, sans le numérique hier, avec aujourd'hui, il s'agit toujours de choisir entre innovation pédagogique et sécurité des élèves. Entre fermeture et ouverture. La géographie ne serait-elle, comme l'histoire, qu'un éternel recommencement ?