Territoires éducatifs ruraux : une bonne note de terrain, peut mieux faire au national

Un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche sur les territoires éducatifs ruraux met en avant leur bon fonctionnement au niveau local, et particulièrement intercommunal, mais un manque de pilotage national. Les synergies créées entre l'éducation et la santé des jeunes sont également relevées.

"Personne ne sait trop ce que c'est, mais ça marche!" Voilà résumés, par la voix d'un président d'EPCI du Lot-et-Garonne, le fonctionnement et l'apport des territoires éducatifs ruraux (TER) tels qu'ils résultent d'un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) remis au ministre de l'Éducation nationale et à la ministre des Sports en juin 2023 et publié... un an et demi plus tard, fin décembre 2024.

Lancés en 2020-2021 pour développer des "alliances éducatives" en milieu rural et favoriser l'ambition des élèves ruraux, notamment dans leur orientation, les TER étaient en 2023 au nombre de 64. Ils regroupaient alors 86 collèges et 632 écoles, le tout réparti dans 570 communes. 

Des acteurs légitimes

D'un point de vue fonctionnel, rappelle l'IGESR, les TER mettent en synergie des dispositifs de droit commun et d'appels à projets. Pour cela, ils bénéficient chacun d'une dotation propre de 30.000 euros et s'appuient par ailleurs sur différentes sources de financement : plans mercredi et PEDT (projets éducatifs de territoire), contrats locaux de santé (CLS), contrats territoriaux d'éducation artistique et culturelle (CTEAC), appel à projets "Notre école faisons-la ensemble", etc. En plus de ces dispositifs de droit commun, chaque collectivité concernée peut mettre en place ses propres mesures.

D'un point de vue institutionnel, le rapport estime que la légitimité des acteurs engagés, dont celle de l'Éducation nationale, "est suffisante, avec l'appui des élus, pour structurer ces dynamiques positives". Il relève aussi que la présence d'un TER a "systématiquement renforcé la liaison" entre les acteurs au sein de l'Éducation nationale et que "le retour des familles et des élus sur les TER est positif".

Synergie des services publics

Si tous ces effets étaient au cœurs des attentes initiales, ce n'était pas le cas de deux autres phénomènes. Le premier tient à "l'émergence d'une coordination, départementale ou locale, entre les champs social et éducatif". En l'occurrence, le rapport constate une "convergence des politiques éducatives, sociales et de prévention en santé publique, portées par les différents ministères et les conseils départementaux [et] régionaux [...] qui permet de répondre de façon pérenne et cohérente aux besoins identifiés dans les TER". Le rapport en conclut que l'expérimentation "peut renforcer structurellement les environnements éducatifs dans les espaces ruraux ainsi que la synergie entre services publics au bénéfice des habitants et de la politique portée par les élus" et favoriser "la convergence des politiques portées par les structures en charge des questions sociales et de santé. Le tout "sans création d'aucune norme nouvelle".

Pour produire tous ces bénéfices, le TER a notamment fait montre d'une capacité à décloisonner  les politiques publiques et à porter une vision stratégique en faveur de la ruralité, se réjouit le rapport. Comme l'affirme une personne interrogée par la mission : "Avec le TER, les représentants de chacune des institutions et des partenaires ont travaillé ensemble, en dépassant le turn-over des personnes."

L'EPCI plutôt que la commune

Le second phénomène inattendu est "la cohérence de ces politiques à l'échelle de l'EPCI plutôt que de la seule commune". L'intégration des EPCI dans la plupart des TER permet en effet de maintenir un lien étroit avec les communes non signataires des TER et de dépasser la seule prise en compte des indicateurs sociaux et d'éloignement, prônée par l'Éducation nationale. La mission a constaté que "la prise en compte de ce seul indicateur a fait prendre des décisions de périmètre difficilement soutenables sur le long terme" et considère que "le modèle le plus simple à piloter reste celui d'un TER correspondant au périmètre d'un EPCI".

La mission demande d'ailleurs de désigner l'EPCI comme périmètre commun aux politiques touchant les questions sociales et éducatives portées conjointement par la CAF et les services départementaux de l'Éducation nationale (DSDEN). Ces derniers sont d'ailleurs perçus comme renforçant les moyens dédiés à la coordination, alors  que la quasi-totalité des départements se sont engagés dans une alliance partenariale entre services publics. Ce qui n'est en revanche pas le cas des académies, dont l'action trop orientée vers l'application des politiques nationales, "ne constitue pas un cadre favorable au suivi de dispositifs expérimentaux".

Malgré le rôle-clé des EPCI dans les TER, le rapport met aussi en exergue l'importance de l'échelon départemental, qui "permet d'assurer l'ingénierie, la cohérence et la convergence des politiques éducatives et sociales portées par l'ensemble des services publics".

"Manque d'impulsion" ministérielle

En termes de pilotage toujours, mais au niveau national cette fois, la mission déplore qu'"aucune orientation nationale n'a[it] été donnée aux académies" et propose "d'établir un pilotage pérenne sur la durée". Plus largement, et alors que le déploiement des TER se traduit localement par un rapprochement entre les CAF, les MSA, les ARS, les CPAM et les DSDEN, "le soutien national à ces dynamiques n'est pas installé". Le rapport se prononce donc pour "une coordination entre les ministères sociaux et celui de l'Éducation nationale" sur le sujet de la ruralité. Le "manque d'impulsion" de ce dernier en faveur des TER est par ailleurs souligné. Au point que "certaines académies n'ont pas touché leurs dotations au bout des trois années d'expérimentation".

Autre carence : le ministère a déployé l'expérimentation TER sans en prévoir l'évaluation. Or il apparaît "nécessaire qu'une étude d'impact et une évaluation de long terme (dix ans) soit maintenant installée, notamment du fait de la nouvelle extension du programme, qui doit s'élargir de 65 à 300 TER"... Et peut-être davantage. L'IGESR préconise en effet pour les cinq prochaines années "la généralisation de la dynamique TER à l'ensemble des EPCI ruraux de la France", soit 875 intercommunalités.