Terrain synthétique neutre en carbone : Eysines marque un but pour l'environnement
L'abandon des microplastiques dans les pelouses de football synthétiques est un défi pour les collectivités désireuses de renouveler leurs équipements. À Eysines, en Gironde, la solution a été trouvée grâce à une installation inédite en France : une pelouse à base de canne à sucre neutre en carbone.
En football, on a pris l'habitude de nommer "champ de patates" un terrain en mauvais état. Et si dorénavant on nommait "champ de canne à sucre" le terrain parfait, tant sur le plan sportif qu'environnemental ? L'idée pourrait venir d'un terrain rénové du côté d'Eysines, en Gironde, à un jet de ballon de la rocade bordelaise. Un terrain en pelouse synthétique dont les fibres sont fabriquées à base de résidus de canne à sucre et qui a la particularité d'être neutre en carbone. Une première en France.
Sur la plaine de 30 hectares du domaine du Pinsan, la commune d'Eysines regroupe l'essentiel de ses équipements sportifs : terrain de basket, courts de tennis, piscine et huit terrains de football. Parmi eux, le terrain en synthétique, construit en 2009, arrivait en fin de vie. Début 2021, la mairie décide de le remplacer. Oui, mais comment ? "Nous avions la volonté de réduire l'impact environnemental de tout nouveau projet en construction et en exploitation, confie Olivier Tastet, adjoint au maire chargé des sports. Et après notre piscine, dont le chauffage est produit par de la biomasse pour 92%, le terrain de football était la seconde opération d'un projet global." Un objectif d'autant plus important à atteindre que le domaine du Pinsan se situe dans une zone naturelle sensible.
Pour avancer dans son projet, la mairie d'Eysines fait appel à Armelle Merle, consultante en programmation et gestion des équipements sportifs, qui se met immédiatement en quête de la meilleure solution. Et finit par tomber sur la Ligaturf Cross GTzéro, un gazon synthétique en polyéthylène fabriqué par la société Polytan à partir de déchets de canne à sucre. Un produit qui va au-delà des espérances de la municipalité, laquelle visait simplement "une optimisation environnementale", puisqu'il s'avère neutre en carbone – y compris au stade de la fabrication en usine grâce au recours à l'électricité hydraulique – et se révèle même capable d'absorber du CO2 au stade de l'exploitation. Voilà pour la question du gazon synthétique stricto sensu.
Puits à carbone
Restait à régler deux problèmes : celui de la sous-couche, qui assure le confort de jeu, et celui du remplissage de la pelouse, qui permet la bonne tenue des brins d'herbe. Ici, la contrainte était forte : depuis 2017, l'utilisation de granulats issus du recyclage de pneumatiques usagés (contenant des HAP, ou hydrocarbures aromatiques polycycliques) dans la fabrication des terrains de sport synthétiques est remise en cause en raison des risques sanitaires qui leur sont associés (lire notre article du 22 février 2018). L'interdiction des HAP au niveau européen est attendue pour 2022 et on s'achemine vers une mise en conformité obligatoire sous six ans. Autant dire qu'on ne peut plus se permettre d'y recourir pour des équipements dont la durée de vie va bien au-delà de cette échéance.
Pour le remplissage, plusieurs produits naturels sont mis en œuvre depuis quelques années : la fibre de coco, les noyaux d'olives broyés, le liège ou encore le sable. C'est ce dernier que souhaitait utiliser la mairie d'Eysines. Un matériau qu'elle estime économique et disponible localement. Sur le moyen et long terme, le sable se révèle même supérieur à ses concurrents : il est imputrescible, stable et ne nécessite aucun réassort, contrairement, par exemple, au liège, beaucoup plus volatil.
Quant à la sous-couche, si elle est bien constituée de SBR (styrène-butadiène à base de pneus recyclés), celui-ci est encapsulé grâce à un liant Cardyon pour former une couche monolithique qui ne dégage pas de microplastiques dans l'environnement. Mieux : le Cardyon est le second "puits à carbone" du dispositif. Dernier avantage de cette sous-couche : sa durée de vie de trente ans lui permettra d'accueillir deux ou trois tapis successifs.
Une vraie demande des collectivités
Une fois le projet adopté, restait à le matérialiser. Pour la mise en œuvre, les délais étaient serrés. Ils ont été tenus. Les études ont eu lieu au printemps 2021 pour une inauguration le 24 octobre. Quant au financement, d'un montant total de 460.000 euros TTC, qui comprend la dépose de l'ancienne pelouse et la pose de la nouvelle, il devrait se répartir entre la commune, le conseil départemental – qui a en accepté le principe en raison des vertus environnementales du projet alors qu'il refusait ces dernières années de financer les terrains synthétiques – et le Fafa (fonds d'aide au football amateur de la Fédération française de football).
Alors l'avenir du football est-il lié à la canne à sucre ? Philippe Debast, directeur général de Lafitte paysage et environnement, l'entreprise mandataire sur le projet, le pense : "Pendant de nombreuses années, les industriels ont essayé de développer des produits, c'était beaucoup de marketing, un peu de poudre de perlimpinpin. Là c'est une vraie innovation. C'est un produit qui séduit beaucoup les collectivités, car il est beaucoup plus facile de faire passer un projet de terrain synthétique neutre en carbone. Aujourd'hui, nous avons une vraie demande."
Mais avant les collectivités, ce sont les joueurs et joueuses d'Eysines qui ont été conquis par leur nouveau terrain. La densité augmentée de ses fibres assure le confort, son sable permet une "glissance" et prévient les traumatismes musculaires et sa sous-couche propose une bonne restitution d'énergie. "Les caractéristiques du nouveau terrain permettent de multiplier par 4,5 la fréquentation par rapport à un gazon naturel, se réjouit Nadine Longuy, directrice des sports de la commune. Actuellement, il est utilisé à raison de 25 à 30 heures par semaine et nous le réservons aux clubs et aux scolaires". Une exception toutefois : mardi 14 décembre, une trentaine d'élus locaux et responsables d'équipements sportifs venus de tout le Sud-Ouest l'ont découvert et n'ont pu s'empêcher de "taper le cuir". L'invitation semblait, il est vrai, irrésistible.