Tensions de recrutement : un problème structurel à résoudre à partir des compétences et des territoires
Les participants au webinaire organisé le 1er mars par l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise (OITC) sur le thème récurrent des "difficultés de recrutement dans les territoires" ont tous convenu qu’il s’agissait d’un problème structurel et non conjoncturel, certes exacerbé par la crise sanitaire. Mais plutôt que de tensions, il s’agirait d’inadéquation territoriale entre l’offre et la demande. Les intercommunalités auraient un rôle majeur à jouer.
Après le trou d’air de 2020 qui a affecté quasiment tout le pays, avec plus ou moins de violence, l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise (OITC) a confirmé le 1er mars le rebond de 2021 dans les territoires, qu’il s’agisse de la baisse du chômage, de la progression de l’emploi salarié privé ou des recrutements. "230 zones d’emploi ont reconstitué leur stock d’emplois salariés privés d’avant crise", a indiqué Olivier Portier, créateur et pilote de l’OITC. Cependant, certains territoires présentent une baisse des emplois, notamment les territoires frontaliers, les zones de montagne, Paris et certaines zones franciliennes.
Le constat est plus réservé en ce qui concerne le chômage. "La situation des territoires est plus contrastée entre décembre 2019 et juin 2021", indique l’OITC. Si le rebond a eu lieu partout, il ne permet pas de compenser le choc de 2020 pour revenir à la situation d’avant-crise, notamment dans "les locomotives", celles qui étaient très dynamiques avant la crise : Ile-de-France, Alsace, le long du sillon lorrain, le grand quart nord-est d’Auvergne-Rhône-Alpes et l’aire métropolitaine toulousaine.
Quant à l’évolution des offres d’emploi, le volume d’offres est revenu à son niveau d’avant-crise, voire au-dessus pour un certain nombre de territoires. Les recrutements entre 2019 et 2021 ont également fortement progressé sur quasiment la totalité des territoires, la dynamique est même, pour certains, supérieure à celle d’avant-crise, à l’exception de la Corse, du Plateau de Saclay et dans les zones de montagne où les recrutements sont en baisse.
Deux offres d’emploi sur trois difficiles à pourvoir dans l’industrie
Un contexte qui exacerbe les tensions sur les recrutements, mais celles-ci ne datent pas de la crise sanitaire. "En 2021, près d’une offre sur deux (44%) présentait des difficultés de recrutements sur tous les métiers et en particulier les charpentiers, couvreurs, carrossiers, régleurs et aides à domicile", a confirmé Thomas Raulet, chef de projet Dataviz Territoires d’industrie à la Banque des Territoires, "mais cette tendance était déjà sensible en 2019 et début 2020". Après le creux de 2020, on constate une reprise des difficultés en 2021. "La situation est encore plus marquée dans l’industrie avec deux offres sur trois difficiles à pourvoir, certaines n’arrivant même pas à trouver de candidat", a ajouté Thomas Raulet. Le phénomène avait tendance à se généraliser depuis 2018 à tout le territoire avec des tensions très fortes dans les Pays de la Loire et l’Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi que dans quasiment toutes les grandes métropoles. "Depuis 2021, nous constatons un relatif desserrement, mais avec toujours des points de difficultés constants", souligne le chef de projet, qui invite "à ne plus raisonner que sur la question des métiers, mais de mettre aussi en lumière la problématique des compétences".
"Ce sont les compétences qui sont en tension"
Cette impression de marché du travail en tension est, selon Fabrice Rey, consultant au cabinet FRC, exacerbée par deux choses. D’une part, "le caractère inédit et exceptionnel des recrutements depuis le 2e semestre 2021 avec plus d'1 million d’offres d’emploi sur le site de Pôle emploi, contre 700.000 habituellement", explique-t-il, et d’autre part "le vivier très réduit" de demandeurs d’emploi réellement disponibles, même si Pôle emploi recense entre 5 et 6 millions de chômeurs. Ainsi, "40% travaillent, 50% ont plus de 12 mois de chômage et un tiers plus de 24 mois, enfin un tiers a plus de 50 ans", a détaillé Fabrice Rey, ajoutant qu’une embauche sur deux se faisait en intérim et 40% en CDD, "soit des contrats courts".
Mais pour Patrick Vanoli, directeur du pôle intelligence marché chez Randstad, "ce ne sont pas les métiers qui sont en tension, mais les compétences". "Pôle emploi raisonne sur des référentiels métiers sans tenir compte des compétences nécessaires pour exercer tel ou tel poste, ce qui empêche de rapprocher les demandeurs d’emploi des attentes des entreprises", a déploré Patrick Vanoli soulignant également "qu’une entreprise qui n’arrive pas à recruter considère très rapidement que son métier est en tension sans remettre en cause ses pratiques de recrutement".
Intégré un axe "travail, emploi, compétence par territoire"
Tant Fabrice Rey que Patrick Vanoli ont invité à travailler davantage sur les compétences mais pas seulement techniques. "Gérer son stress, communiquer, être créatif, savoir prendre des décisions…, ces aptitudes prennent une part croissante dans les exigences des employeurs", a affirmé Fabrice Rey. Reste à savoir qui doit se charger de cet aspect de la formation. "On injecte des sommes folles dans le développement de la formation professionnelle, laissant supposer que c’est suffisant, alors que la problématique est bien plus profonde que cela". Aussi faut-il que les entreprises soient capables de définir leurs attentes, tant en compétences qu’en savoir-être, pour permettre aux candidats de se mettre à niveau. Face à cet enjeu "important", c’est "l’ingénierie pédagogique" qu’il faut repenser et travailler en commun à l’échelle des territoires.
Car l’OITC constate également "une très forte hétérogénéité des situations territoriales suivant la qualification" (lire ci-dessous), ce qui appelle à avoir "une réflexion territorialisée", suggère Olivier Portier. Face à ces disparités, Fabrice Rey invite à "repenser ce qu’est une stratégie de développement économique, des plans d’action par filière et par secteur en fonction des besoins locaux en intégrant un axe travail, emploi, compétence par territoire de manière quasi chirurgicale".
Développement de l’emploi local : les intercommunalités au premier plan
Sauf que pour arriver à bâtir des plans d’action à une échelle locale, encore faudrait-il disposer de données territorialisées. "On ne connait pas le nombre de demandeurs d’emploi par catégorie (A, B et C), par code Rom et par territoire", regrette Patrick Vanoli.
Certes, a reconnu Fabrice Rey, "les communes et les intercommunalités mettent depuis plusieurs dizaines d’années des sommes importantes dans des outils territoriaux en faveur de l’emploi (maison de l’emploi, missions locales, Plie…), mais à partir du champ du social". Or il faudrait, selon lui, aujourd’hui se poser la question de savoir jusqu’où aller pour accompagner le développement des entreprises. "Si on considère que c’est à l’Etat et aux régions de se préoccuper de ces questions, on passe à côté des vrais enjeux", pointe-t-il, "car ce qui intéresse l’Etat, c’est de suivre la mise en œuvre de ses mesures sur les territoires et les régions, c’est le développement et l’ajustement de l’offre de formation pour répondre aux besoins". Rien dans ses interventions ne concerne le développement d’un tissu local en fonction de ses spécificités en mesure de réellement réguler les marchés locaux de l’emploi. Aussi, "seules les intercommunalités peuvent poser des éléments d’analyse et engager des actions en faveur d’un secteur", a prévenu Fabrice Rey.
Très forte hétérogénéité des situations territoriales suivant la qualificationSur les 15 métiers et compétences les plus recherchés, l’OITC a présenté un focus sur 4 d’entre eux en s’intéressant aux territoires où ils étaient les plus demandés :
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