Taxation des géants du net : Pierre Moscovici dévoile ses mesures
Alors que les géants du net échappent aujourd'hui en grande partie à la fiscalité, la Commission européenne propose d'introduire la notion de "présence numérique" en complément du principe de présence physique qui conditionne aujourd'hui le droit fiscal. Une taxe intérimaire de 3% sur le chiffre d'affaires permettrait aussi de combler le vide généré par des activités aujourd'hui insaisissables : ventes de données, recettes publicitaires ou places de marchés...
"Nous construisons une fiscalité du XXIe siècle", s'est félicité le commissaire aux Affaires économiques Pierre Moscovici, mercredi 21 mars, en présentant ses propositions pour la taxation des géants du numérique. "L’économie numérique est une chance pour l’Europe" mais les "développements vertigineux" qu’elle connaît "posent des questions juridiques et fiscales", a-t-il déclaré, lors d’une conférence de presse, à Bruxelles.
Les géants du numérique génèrent de juteux profits en Europe mais très peu taxés. Par exemple, une entreprise comme Google n'acquitterait que 9% d'impôts à l'échelle européenne alors que le taux moyen sur le continent est de 23%. "Les règles nationales ou internationales conçues il y a un siècle reposent sur le ‘principe physique’ d’une société", a rappelé le commissaire. Or "un Etat ne peut taxer une entreprise que si elle a un siège social, des bureaux, des magasins ou des usines sur son territoire".
Présence numérique
Par le jeu de l’optimisation fiscale dans des pays tels que le Luxembourg ou l’Irlande, il est donc facile aujourd'hui de contourner ces règles. Dans sa proposition de directive, qu’elle souhaite voir adoptée d’ici la fin de l’année, la Commission européenne veut tout d'abord introduire l’idée de "présence numérique". Sans être présente sur le territoire, une entreprise pourra donc être imposée sur ses activités numériques dès lors qu’une des trois conditions suivantes sera remplie : elle génère plus de 7 millions d’euros de revenus dans un Etat, elle compte plus de 100.000 utilisateurs par an ou elle a signé plus de 3.000 contrats au cours de l’année dans ce même pays.
Une taxe de 3% sur le chiffre d'affaires
Mais ce n’est pas tout. La Commission entend aussi s’attaquer à des sources de revenus autres que les profits traditionnels : la publicité générée par le trafic (notamment sur Google ou Facebook), les transactions opérées sur les places de marchés et la commercialisation des données recueillies auprès des utilisateurs (notamment en fonction de leurs centres d’intérêts)… Autant de créations de valeur très difficiles à calculer et qui échappent aujourd’hui à toute taxation. "Ce vide crée une inégalité de traitement", a commenté Pierre Moscovici. A l’initiative de la France qui porte ce chantier depuis le mois de septembre, ralliée depuis par plusieurs Etats membres dont l’Allemagne, la Commission propose de créer une "taxe intérimaire" de 3% du chiffre d’affaires réalisé dans l’Etat membre. Les entreprises seront imposables si elles génèrent 750 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’échelle mondiale dont 50 au sein de l’Union européenne. Un niveau qui vise à épargner les startups européennes et à ne pas entraver l’essor de champions européens. La Commission escompte un gain de 5 milliards d’euros annuels. 150 sociétés seront concernées à l’échelle du continent, a indiqué Pierre Moscovici, se défendant ainsi de vouloir introduire une "Gafa tax" ou "une taxe anti-US" au moment où le torchon brûle entre l’Europe et les Etats-Unis après les mesures prises par ces derniers sur l’acier et l’aluminium. "Nous taxons des activités, non des entreprises", a-t-il insisté. L’Europe espère ainsi éviter que des Etats membres agissent dans leur coin. On rappellera au passage qu’une mission a été confiée à l’Inspection générale des finances, en France, précisément sur le thème des distorsions de concurrence entre commerces numériques et physiques.
Un consensus difficile à trouver
Le sujet de la taxation des entreprises du numérique était au menu du G20 réuni à Buenos Aires lundi et mardi. En l’absence de consensus à l’échelle internationale, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne se sont félicitées, mercredi, de l’initiative européenne. "Nous continuons à soutenir les travaux de l'UE en cours et espérons qu’ils permettront de lancer une forte dynamique de discussions au niveau du G20 et de l’OCDE", ont-ils indiqué dans un communiqué commun. "Notre prochaine étape sera d’analyser en profondeur les détails de ces propositions. Nous attendons avec intérêt et appelons à des discussions constructives au sein du Conseil afin de parvenir à un accord aussi vite que possible." Mais pour avoir une chance d’aboutir, ces propositions doivent être votées à l’unanimité des Etats membres. Ce qui risque d’être compliqué. Difficile en effet de voir des pays à la fiscalité "accueillante" se tirer une balle dans le pied. Pour pallier cette difficulté, le président des Hauts-de-France Xavier Bertrand est monté au créneau mardi en écrivant aux deux commissaires chargés du dossier, Pierre Moscovici et son homologue à la concurrence Margrethe Vestager, mais aussi à Emmanuel Macron et Angela Merkel, pour leur proposer un moyen de faire sauter ce verrou : actionner l’article 116 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui "peut être invoqué dans la mesure où des disparités de législations entre Etats membres faussent la concurrence au sein du marché intérieur ". Et qui ne nécessite, lui, qu’un vote à la majorité qualifiée…