Sylvie Rozette (Andes) : "Le calcul de la redevance des stades n'est pas appliqué de façon uniforme"
La redevance des stades et arénas du sport professionnel, propriétés des collectivités, est en débat depuis des années. Alors qu'une instruction des Domaines, datée de mai 2022, a posé des règles précises, Sylvie Rozette, adjointe au maire de Limoges chargée des sports et référente de l'Andes (Association nationale des élus en charge du sport) pour le basket professionnel, fait le point sur cette question.
Localtis - La récente instruction des Domaines fixe un cadre et des modalités de calcul des redevances d'occupation des stades par les clubs professionnels. Correspond-elle aux attentes des élus ?
Sylvie Rozette - Dans l'absolu, oui. Cela fait longtemps que ça bidouille [sic] sur ces sujets, ce qui est compliqué vis-à-vis de la Cour des comptes car la mise à disposition d'équipements sportifs est une aide indirecte aux clubs professionnels. Il fallait donc fixer un cadre, trouver un mode de calcul équitable et surtout applicable à tous. Ce cadre est maintenant fixé, mais la difficulté est qu'il n'a aujourd'hui rien d'obligatoire. La fixation des redevances reste très disparate et très aléatoire d'un club à l'autre, d'une discipline à l'autre. J'espère qu'aujourd'hui tout le monde connaît le mode de calcul, mais il n'est pas encore appliqué de façon uniforme sur tout le territoire, loin de là.
Pourtant les élus sont conscients qu'il faut mettre en place une redevance juste…
Oui, mais passer du jour au lendemain d'une redevance minime au cadre de calcul proposé par l'instruction, cela fait exploser les redevances, surtout quand les équipements sont très récents. C'est une charge supplémentaire dans les budgets des clubs. Or les charges relatives aux collectivités sont toujours la variable d'ajustement. Quand un club a des difficultés financières en fin de saison, il va négocier la redevance avec sa collectivité. Ajoutons à cela la conjoncture : les collectivités sont encadrées dans leurs dépenses et vont donc faire l'impasse sur la redevance plutôt que de donner des subventions pour ne pas dépasser leur budget de fonctionnement. Sans sanction prévue par la loi, on continue tous à jouer avec ça.
Observe-t-on une avancée vers une plus grande implication des clubs dans la gestion des stades, par exemple à travers le recours aux baux emphytéotiques administratifs, qui mettent à la charge des clubs les investissements lourds ?
Clairement, il y a une prise de conscience de tout le monde. L'objectif est d'aller vers une autonomisation des clubs vis-à-vis de l'équipement, qui est leur outil de développement. Les modèles évoluent. Si on prend les sports de salle, il leur faut un modèle économique propre, avec des possibilités de recettes hors collectivités les plus développées possibles. Pour cela, ils doivent faire des investissements, proposer des prestations. Pendant longtemps, ils ont sollicité les collectivités, mais d'une façon générale les collectivités ont dit : "Non, cela fait partie de votre développement, de votre modèle économique, on n'a pas à investir là-dedans, on reste sur le côté sportif et réglementaire." Dans les esprits, cette limite est bien réelle, même si les clubs essaient…
L'instruction vise les stades de football et de rugby mais peut s'appliquer aux salles utilisées par des sports largement subventionnés par les collectivités, comme le basket, le hand ou le volley. Dans ce cas, elle s'en remet à l’appréciation des décideurs locaux pour fixer la part variable de la redevance. Cette solution est-elle souhaitable ?
Il faut arriver à trouver le bon équilibre entre la collectivité, qui porte les charges de structures, et le club utilisateur. Mais si les collectivités ne doivent pas toujours en être de leur poche, la redevance n'est pas faite pour couler les clubs. Le pourcentage de la part variable est réfléchi en fonction de cela. À Limoges, quand nous n'avions qu'un club utilisateur du palais des sports, la part variable était plus forte. Aujourd'hui, il y en a deux et nous avons partagé cette part variable. C'est une question d'équilibre entre ce que peut absorber le club et ce que peut absorber la collectivité.
N'est-ce pas contradictoire de publier une instruction pour que les choses soient plus claires tout en laissant les élus se débrouiller dans le cadre des sports de salle ?
Oui, c'est forcément paradoxal, mais on part d'un historique. Des clubs qui pendant longtemps utilisaient de grands équipements pour quasiment rien, se voient appliquer une redevance du jour au lendemain. Ils n'ont pas l'habitude et ça ne rentrait pas dans leur budget prévisionnel. La part fixe est moins difficile à contester, la part variable fait forcément l'objet de discussions. C'est un peu cornélien mais il faut qu'on arrive à faire entrer dans les mœurs que l'utilisation d'un équipement public a un coût, et il n'y a pas de raison que ce ne soit que la collectivité qui l'absorbe.
Les modalités de calcul de la part variable impliquent une connaissance des revenus du club tirés de l'exploitation de l'équipement (billetterie, loges, panneaux publicitaires, restauration, produits dérivés, etc.). Les collectivités ont-elles les moyens de connaître ces données ?
À Limoges, oui. Ayant participé aux travaux d'élaboration de l'instruction, je suis beaucoup plus sensible à ces points. Mais quand on interroge les collègues en commission du sport professionnel de l'Andes, c'est très différent selon chaque collectivité et chaque club. Aujourd'hui, sur les sports de salle, il n'y a aucune harmonisation. Certains clubs, restés sur d'anciens modèles, donnent 20 ou 25.000 euros par an, quand, de notre côté, nous essayons d'appliquer le mode de calcul au plus juste, en épluchant le chiffre d'affaires tiré de l'exploitation de la salle. Ce n'est pas simple, car nos clubs nous disent que ça ne se passe pas de la même manière ailleurs.
Y a-t-il un travail au niveau national, avec les ligues professionnelles, pour permettre une application homogène des modes de calcul ?
Les ligues n'ont pas envie d'entrer là-dedans, elles ne veulent pas se mettre en porte-à-faux. Pour elles, chaque club doit se débrouiller avec sa collectivité. Mais on s'est longtemps tiré une balle dans le pied en disant oui à tout, et les ligues et les clubs ont continué sur le même modèle.
Pour ne pas fragiliser le modèle économique des clubs, l'instruction suggère un plafonnement global de la redevance correspondant à un taux de 8 à 10% du chiffre d’affaires total du club. Ce type de plafonnement a-t-il été mis en place ?
Non, pas à ma connaissance. Si je prends l'exemple du stade de Limoges [rénové pour 63 millions d'euros et d'un coût d'exploitation annuel d'un million, ndlr], si je devais appliquer le mode de calcul préconisé au club de rugby, seul utilisateur, j'arriverais quasiment à la hauteur de son budget de fonctionnement.
On attend depuis une dizaine d'années un cadre européen précis sur la redevance des stades. Où en est ce dossier ?
On est toujours en attente. C'est assez étonnant car ce sujet est important pour tout le monde. Des travaux ont été menés, y compris par Bercy, mais c'est toujours le flou artistique alors que j'ai des collègues chez lesquels il n'y a pas de redevance pour le sport professionnel. On est hors la loi faute de cadre réglementaire. Et avec la période actuelle et l'augmentation des coûts des fluides, on va avoir du mal à appliquer le mode de calcul de la redevance, sinon on explose les budgets des clubs. Et on ne veut pas plomber les clubs pour aller boucher les trous après.
Justement, les mesures du plan de sobriété énergétique touchant le sport professionnel vont de la diminution du chauffage des pelouses à la réduction de l'éclairage lors des rencontres, en passant par la gratuité des transports en commun les jours de match. Comment les accueillez-vous ?
Ces mesures sont essentiellement de bon sens. Les collectivités avaient bien conscience qu'il fallait baisser le chauffage et réduire l'éclairage, en allumant vingt minutes au lieu d'une heure avant le coup d'envoi des matchs. Le plan n'est pas révolutionnaire et ce ne sont pas de vraies solutions. Et je suis vent debout contre la gratuité des transports en commun, car cela revient une fois de plus à la charge des collectivités, et c'est à nouveau une aide indirecte de la part des collectivités. C'est une mesure que je ne comprends pas, d'autant plus que les transports ont des coûts énergétiques.
Il faudrait venir au stade en vélo ?...
Ou à pied, ou en métro quand il y en a un. Mais mettre des transports gratuits, parfois des transports supplémentaires, cela a un coût très important pour les collectivités, sans compter que pour ceux qui vont dans des espaces de réception après les matchs, ce ne sera jamais la bonne heure. On va obliger les gens à rentrer tout de suite après le match. C'est au club de travailler avec les sociétés de transports pour coupler un billet de match avec les transports.
Quelles seraient les bonnes mesures de sobriété énergétique ?
Avec le prix de l'énergie qui flambe, il n'y a pas de bonnes mesures du jour au lendemain. Il faut des travaux d'investissements pour diminuer les coûts, en passant les éclairages LED, revoir les cahiers des charges sur l'éclairage des matchs imposés par les retransmissions télévisées, et mettre en place un système de péréquation en faveur de ceux qui paient les fluides et réalisent les investissements.
On en revient à l'instruction sur la redevance qui exclut les droits TV du chiffre d'affaires à prendre en compte dans le calcul au prétexte qu'ils ne sont pas intrinsèquement liés à l'équipement sportif…
Sous prétexte des droits TV, on réalise des investissements et des consommations hyper importants. Mais vu le contexte, on fait tous machine arrière, on n'a pas le choix. C'est un peu artisanal, chacun se débrouille dans son coin comme il peut, en fonction de ses priorités. De petites villes qui n'ont qu'un club de Ligue 2 de football jouent le jeu pour leur notoriété.