Redevances des stades : le compte n'y est toujours pas
Les clubs professionnels de football ne paient toujours pas une redevance au juste prix pour les équipements publics qu'ils utilisent. C'est ce qui apparaît lorsqu'on analyse les rapports publiés ces dernières années par différentes chambres régionales des comptes.
De nombreuses conventions de mise à disposition de stades à des sociétés sportives par des collectivités locales ne sont pas conformes au Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). C'est ce qu'il ressort de plusieurs rapports d'observations définitives publiés ces dernières années par différentes chambres régionales des comptes (CRC), rapports que Localtis a consultés et analysés.
Depuis 2019, environ un tiers des stades faisant l'objet d'une convention de mise à disposition entre une collectivité propriétaire et un club de Ligue 1 de football ont été visés dans un rapport. Il s'agissait de rapports portant, soit sur la société sportive utilisatrice de l'équipement (Brest, Rennes), soit sur l'équipement lui-même (Lens), soit plus largement sur la collectivité propriétaire de l'équipement (Angers, Lille, Metz, Troyes).
Le sujet de la redevance est systématiquement mis en lumière par les CRC pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le stade d'un club de football professionnel constitue le plus souvent un équipement emblématique de la ville. Ensuite, son coût – qui varie de 75 millions à plus de 300 millions d'euros pour les stades destinés à des équipes professionnelles construits depuis 2011 – et son montage financier – notamment à travers le recours à un partenariat public-privé (PPP) – engagent la collectivité pour plusieurs décennies. Enfin, le stade est un objet juridico-politique sensible. Si les clubs n'ont le plus souvent pas les moyens de se payer leur outil de travail et s'en remettent à l'investissement public, les autorités locales voient d'un bon œil la présence sur leur territoire d'une équipe porteuse d'une image positive, parfois au prix de quelques entorses légales. Parallèlement, tant la loi française, par le biais du CG3P, que le droit européen encadrent la mise à disposition d'un équipement public à une société privée.
Hausse des BEA
Sur la forme des relations entre clubs et collectivités, on observe dans une majorité de cas l'existence d'un contrat d’autorisation d’occupation temporaire (AOT), avec toutefois une évolution notable vers la responsabilisation financière des clubs : ils sont toujours plus nombreux à assurer l'entretien des installations et, le cas échéant, à financer certains travaux. Différents rapports soulignent à cet égard que les clubs prennent parfois en charge des travaux qui, aux termes de la convention d'AOT, devraient revenir au propriétaire. Ce qui n'est pas sans poser problème. La CRC de Bretagne avertit dans son rapport sur le Stade rennais : "La SASP [société anonyme sportive professionnelle] a dépensé au-delà de ses obligations pour des travaux portant sur des biens dont la commune est propriétaire, sans tenir compte du caractère précaire et révocable d’une convention de mise à disposition, et sans visibilité à long terme sur l’amortissement de ces travaux." Et la chambre de conclure que le mode de fonctionnement établi entre la ville et la SASP, s’apparente, "dans les faits, à un bail emphytéotique administratif (BEA)".
On note justement un recours accru au BEA, lequel donne au club un droit réel sur le stade contre redevance et permet notamment la réalisation de travaux à ses frais pour améliorer les installations et en tirer profit. S'il ne concernait que Paris et Lens à l'époque de l'Euro 2016, il s'est élargi ces dernières années à Angers et Metz. Dans le cas d'Angers, la CRC des Pays de la Loire se félicite que la conclusion d’un BEA ait permis de mettre fin à "la fragilité juridique de la mise à disposition du stade" mais aussi de "dégager les effectifs [de la collectivité] en charge de l’entretien du stade Raymond-Kopa et de la maintenance de l’équipement". Voilà pour les aspects positifs…
Un coût pour la collectivité
Tous les stades n'offrant pas la même capacité et la même qualité d'installations, il n'est pas étonnant de trouver dans les rapports des montants de redevance très différents. Ils s'étalent en effet de 0,2 à 4,7 millions d'euros par an.
Le premier problème qui se pose alors est de savoir si cette redevance permet de couvrir les dépenses que l'investissement et l'entretien de l'équipement font peser sur la collectivité. Dans plusieurs cas de figure, la réponse est clairement négative. "L’équilibre du budget du stade de l’Aube dépend largement de la subvention [de la communauté d’agglomération] dont il bénéficie", écrit la CRC du Grand Est à propos de Troyes. "Le coût net annuel de l’équipement pour la MEL [Métropole européenne de Lille] a été évalué à 7,5 millions d'euros", estime la CRC des Hauts-de-France à propos de Lille, où fin 2018, la dette restante au titre du PPP s’élevait à 209,9 millions.
Si la redevance proprement dite est parfois augmentée d'un remboursement des frais de fonctionnement, notamment les soirs de match, les CRC sont néanmoins unanimes : il faut en revoir le montant… à la hausse. Ou à tout le moins en préciser les contours afin de rester dans la légalité.
Modes de calcul
Pour le cas d'Angers, la CRC détaille le mode de calcul élaboré par les parties pour déterminer le montant de la redevance, à savoir un taux horaire d’occupation pour 1 heure 45 correspondant à la durée d'un match de football. Mais comme le rappelle la chambre, "le stade accueille des spectateurs qui arrivent au fil de l’eau au moins une heure avant et évacuent les lieux au mieux dans l’heure qui suit la fin du match". Et elle conclut : "La valorisation était par conséquent volontairement minorée."
Le cas du BEA pose un problème particulier. Comment intégrer le montant des travaux prévus dans le calcul de la redevance ? À Metz, le conseil municipal a fixé le montant annuel de la redevance à 100 euros eu égard, notamment, aux "lourds investissements à réaliser". En l'occurrence, le club s'est engagé à prendre à sa charge des travaux à hauteur de 30 millions d’euros. Or, deux estimations des services des Domaines établissaient la redevance, l'un à 863.950, l'autre à 435.106 euros. "Ces deux montants sont très éloignés de la redevance symbolique votée par la commune", relève la CRC, lesquels pourraient donc être constitutifs "d’un avantage indu".
Chiffre d'affaires
Mais le manquement mis en exergue quasi systématiquement par les CRC dans leurs rapports tient au manque de proportionnalité entre le montant de la redevance et le chiffre d'affaires généré par le club à travers l'exploitation du stade. La CRC de Bretagne résume : "Puisque établie sur une base forfaitaire, la redevance n’a pas de lien avec le chiffre d’affaires généré par l’équipement mis à disposition." Et rappelle la règle issue de l’article L. 2125-3 CG3P : "La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation." Dès lors, les CRC demandent aux collectivités, comme l'illustre le cas de Lille, d'"élargir l’assiette de la formule d’intéressement de la redevance due par le Losc à l’ensemble de recettes liées à l’exploitation du stade".
Mais la révision de la redevance n'est pas toujours chose aisée, notamment dans le cas d'un BEA. Concernant Metz, la CRC du Grand Est nous apprend en effet que "ne sont prévues au contrat ni clause de révision ou d’actualisation de la redevance, ni prise en compte exhaustive des caractéristiques propres du bien et des avantages de toute nature que l'autorisation d'occuper ou d'utiliser le bien procure au preneur, pour une durée de 50 ans". À Lens, la CRC des Hauts-de-France souligne également que "le bail ne prévoit pas" de révision de la redevance. Et ajoute : "Étant entendu que la commune de Lens n’a pas participé au financement des travaux de rénovation [qui ont fait l'objet d'un prêt de la région, ndlr], selon les stipulations du bail elle n’est pas fondée à procéder unilatéralement à l’augmentation de la redevance versée par le Racing club de Lens." Il revient donc, dans ce cas, à la collectivité d'engager des démarches pour procéder à la signature d'un avenant au BEA. Autrement dit, à négocier avec le club.
"Le problème n'a jamais été bien réglé par la loi, et les collectivités territoriales se sont retrouvées coincées." Voilà comment Jacques Thouroude, alors président de l'Association nationale des élus en charge du sport (Andes), résumait le dossier de la redevance des stades en 2015. Sept ans plus tard, la situation ne semble guère avoir évolué.