Structuration d’une filière hydrogène : les régions interpellent le gouvernement
Régions de France et l'Association française pour l'hydrogène et piles à combustible (Afhypac) ont adressé, ce 2 avril, une lettre ouverte au Premier ministre pour demander à l’État de concrétiser et pérenniser ses engagements à structurer une filière de l’hydrogène pour diversifier le mix énergétique et décarboner des secteurs comme les transports. Localement, des syndicats d'énergie et des collectivités explorent des solutions. "Mais l’État doit retrouver son rôle stratège", presse Michel Neugnot, président de la commission transports et mobilité de Régions de France.
Le 2 avril, à l'occasion d'un séminaire sur le déploiement territorial de solutions hydrogène organisé par Régions de France et l'Association française pour l'hydrogène et piles à combustible (Afhypac), ces deux acteurs ont partagé leurs ambitions pour cette filière et les raisons de leur interpellation du gouvernement dans ce domaine, à travers une lettre ouverte adressée ce même jour au Premier ministre.
L'été dernier, un plan Hydrogène a été présenté pour donner un cap et un nouvel élan au secteur. "Ce fut un signal fort", reconnaît Philippe Boucly, président de l'Afhypac. Une enveloppe de 100 millions d'euros fut annoncée. "Franchement, on ne sait pas trop où ils sont", indique-t-il. "Des engagements ont été pris pour faire de l'hydrogène l'un des piliers d'un modèle énergétique neutre en carbone. Ils doivent être respectés", appuie Michel Neugnot, président de la commission transports et mobilité de Régions de France.
Dans les mobilités, l'industrie et la logistique, des projets émergent et gagnent en maturité. Par exemple pour verdir le parc ferroviaire et remplacer le petit millier de trains régionaux roulant au diesel par des TER à hydrogène, qui pourraient être expérimentés en 2022. "Ce mode de traction serait moins cher qu'une électrification de ligne, dont le coût est aussi élevé qu'une régénération. Mais cela suppose un minimum de coordination et de concertation dans le temps pour gérer et accompagner une telle rupture technologique", conseille Michel Neugnot.
Les régions explorent aussi l’intégration de l’hydrogène comme vecteur de stockage de l’énergie solaire ou éolienne, en particulier pour améliorer l’autonomie énergétique des zones insulaires. "Nous pourrions l'utiliser avec l'éolien en mer sauf que, dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les objectifs et volumes d'investissements fixés dans ce secteur sont faibles et décevants, déplore Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie. C'est pourtant le moment de muscler les engagements et les moyens !" Le projet Hyport d'installation d'une station hydrogène dans deux aéroports de cette région (Toulouse-Blagnac puis Tarbes-Lourdes-Pyrénées) s'y concrétise. Un "écosystème hydrogène" y verra le jour début 2020. La mise en marche de piles à combustible adaptées aux usages aéroportuaires (auxiliaires de puissance, motorisation) y sera combinée avec la mise en service de flottes de véhicules hydrogène. Pour ce faire, une société de projet a été créée entre le conseil régional et Engie Cofely.
Les zones portuaires, de par leur concentration d'activités industrielles, les enjeux de qualité de l'air et le besoin de créer une valeur ajoutée locale, se prêtent en effet aux solutions hydrogène. "Dans le port de pêche Le Grau-du-Roi-Port-Camargue, nous voulons convertir une partie de la flotte et innover avec le premier chalutier navigant à l'hydrogène", illustre Agnès Langevine. D'autres projets sont en cours à Strasbourg (navettes touristiques sur le Rhin), Toulon (usages liés à la navigation de plaisance), Fécamp et Cherbourg (navires-écoles), La Rochelle (pionnière avec la première navette hydrogène transportant des passagers sur mer), etc. L'Afhypac appelle à développer la réflexion par axe (portuaire, fluvial) et par façade maritime. Selon l'association, de nombreux industriels s'intéressent à l'hydrogène pour le maritime mais un effort de pédagogie reste à fournir pour améliorer l'acceptabilité de cette solution (crainte de l'explosion). "Des procédures devront être simplifiées, des normes évoluer", commente Philippe Boucly.
Vers une intégration territoriale
"Les écosystèmes territoriaux ont un fort potentiel. Mais ne négligeons pas l'importance de rassurer les utilisateurs et les investisseurs", défend Gérard Thépaut, vice-président de Morbihan Énergies. Ce syndicat regroupe 260 communes d'un département où la dynamique prend forme à travers une charte et une société de projet créée pour explorer les usages et besoins possibles, tant côté industrie (usine Michelin de Vannes) que côté mobilité (projet d'une navette hydrogène pour moderniser la ligne ferroviaire Auray-Quiberon). "Des contacts sont aussi pris avec les compagnies du golfe du Morbihan. Pour un déploiement optimal des solutions hydrogène, il faut mutualiser les usages", ajoute Gérard Thépaut.
Pour structurer sa filière, la Nouvelle-Aquitaine s'appuie de son côté sur un cluster fort d'une centaine d'acteurs : "Le but est de fédérer pour construire un projet territorial hydrogène vert", explique Françoise Coutant, vice-présidente de cette région. À Biarritz siège l'une des rares entreprises spécialisées dans la mobilité douce et l'hydrogène, Pragma Industries, qui veut sortir l'usage de cette énergie de la niche dans laquelle elle est cantonnée. Une infrastructure vélo dédiée est annoncée au printemps.
Autre écho, celui d'un département pionnier, la Manche, où l'on estime que ce ne sont pas les usages qui manquent et posent problème mais bien le maillage de stations de recharge et leur coût. Une douzaine vont pousser grâce à l'appui des syndicats d'énergie et du plan "Normandie Hydrogène" doté de 15 millions d’euros sur les cinq prochaines années. "Tous ces projets régionaux constituent les premières briques de structuration d'une filière contribuant à un mix énergétique plus diversifié. Ils portent avec eux des perspectives stratégiques de décarbonation et de reconversion de notre économie, ainsi qu'un fort potentiel de création de valeurs et d'emploi. Mais ils nécessitent des moyens appropriés pour accompagner industriels et porteurs de projets dans l'accomplissement des objectifs du plan acté l'été dernier", concluent l'Afhypac et Régions de France dans leur lettre ouverte.